TROIS PETITES HISTOIRES
UNE HISTOIRE NAVRANTE
Une fille qui n'a pas de chance, c'est Clarisse.
Elle est fiancée avec un type chic : Emile Regret, fabricant de
monuments funèbres.
Il y a quelques mois, voilà qu'Émile perd les deux bras, qui lui
tombent d'étonnement en voyant l'Opéra-Comique reconstruit.
Six semaines plus tard, il perdait les deux jambes qu'il avait mises
à son cou à la suite d'une réunion électorale orageuse.
Aussi, Clarisse a des inquiétudes et l'autre jour, voyant le tronc
qui lui représente actuellement son fiancé et craignant un nouvel
avatar imprévu, elle faisait avec ferveur cette oraison mentale :
— Mon Dieu, faites qu'il en reste assez pour que je puisse encore
l'épouser 1
UN TUYAU
Lacroix! s'écria mon interlocuteur bedonnant et décoré, certes
il faut faire quelque chose pour l'avoir; ainsi, tenez, moi qui n'ai
pas d'autre capacité que celle de mon estomac, c'est elle qui m'a
valu cette rosette qui rougit de plaisir de se voir à ma boutonnière.
J'ai passé la moitié de ma vie à déjeuner, dîner, souper, banque-
ter, festoyer en vue de l'obtenir. Ce que j'ai avalé de petits fours
rancis et bu de Champagne éventé est incalculable.
C'en est devenu un mérite, car tout est affaire de proportion ici-
bas- sauvez votre femme qui se noie, ça ne compte pas; sauvez
voti-t. chef de bureau, vous aurez la médaille d'or.
D'ailleurs, jeune homme, un buffet bien garni est aussi un champ
de bataille quand on ne se contente pas de valser devant. J'ai eu
mes blessures qui marquent l'ordre de mes promotions :
A la dyspepsie j'ai été fait officier d'académie, à la gastrite aiguë
officier de l'Instruction publique, à la néphrite chevalier de la Lé-
gion d'honneur et officier au diabète.
Et impossible de ne pas considérer mon mérite : mes bulletins de
santé dans les journaux étaient mes citations à l'ordre du jour et
quant à mes borborygmes et mes flatulences on les prenait, à juste
titre, pour de véhémentes réclamations.
Donc, jeune homme, mangez et buvez en ville le plus que vous
pourrez ; tout le monde ne peut pas faire de même et ça vous mè-
nera loin.
RESTAURANT NOUVEAU JEU
Ce que l'on perd de temps dans les restaurants de Paris est
excessif.
Entre le potage et Y idem au cresson vous pourriez danser un
quadrille des lanciers, lire le Temps — ô dérision ! — d'un bout à
l'autre, aller faire une demande en mariage, ou une période d'ins-
truction militaire si vous êtes réserviste. Et c'est impossible, il faut
attendre, -rincer, grogner, taper, interpeller la fille de salLe et
subir sa goguenardise.
— Et ce fromage, Marie ?
— Ça marche, m'sieu, ça marche!
Une maison qui me nourrira pendant deux mois pour cette petite
réclame, la maison Poulain, restaurant à la carte, clientèle case-
moi-Polyte c'est-à-dire composée de Russes, d'Anglais, d'Américains,
d'Aztèques et d'Iroquois, a résolu ce problème : elle s'est annexé
un salon de coiffure tenu par Charette.
Poulain et Charette sont bien fait pour aller ensemble et c'est
déjà signe qu'on y va plus vite qu'ailleurs.
Vous arrivez au restaurant, vous commandez un potage. Pendant
qu'on vous met le couvert et qu'on vous sert ce potage vous allez
vous faire tailler la barbe ; entre le bouillon et le beefsteck un
champoing est indiqué ; puis une coupe de cheveux à la Bressant
en attendant les petits pois; du légume au dessert on vous frise la
moustache et enfin du dessert au café on vous fait une délicieuse
lotion au portugal. Vous n'avez pas même besoin de changer de
serviette.
Après le café et tandis que le coiffeur vous brosse le ventre—
quelle ironie ! — vous constatez que vous avez fort bien dîné, que
vous êtes frictionné, coiffé, frisé sans avoir mis plus de temps
qu'ailleurs et que vous n'avez pas trouvé plus de cheveux dans le
potage.. ......______....___________________K......_a___________&_______«**^m£
Ajoutons que la maison Poulain a les gâteaux de riz comme spé-
cialité. Avec le système qu'elle a adopté, elle .peut impunément
échauffer sa clientèle.
Texte et dessina de Lebègub.
UNE HISTOIRE NAVRANTE
Une fille qui n'a pas de chance, c'est Clarisse.
Elle est fiancée avec un type chic : Emile Regret, fabricant de
monuments funèbres.
Il y a quelques mois, voilà qu'Émile perd les deux bras, qui lui
tombent d'étonnement en voyant l'Opéra-Comique reconstruit.
Six semaines plus tard, il perdait les deux jambes qu'il avait mises
à son cou à la suite d'une réunion électorale orageuse.
Aussi, Clarisse a des inquiétudes et l'autre jour, voyant le tronc
qui lui représente actuellement son fiancé et craignant un nouvel
avatar imprévu, elle faisait avec ferveur cette oraison mentale :
— Mon Dieu, faites qu'il en reste assez pour que je puisse encore
l'épouser 1
UN TUYAU
Lacroix! s'écria mon interlocuteur bedonnant et décoré, certes
il faut faire quelque chose pour l'avoir; ainsi, tenez, moi qui n'ai
pas d'autre capacité que celle de mon estomac, c'est elle qui m'a
valu cette rosette qui rougit de plaisir de se voir à ma boutonnière.
J'ai passé la moitié de ma vie à déjeuner, dîner, souper, banque-
ter, festoyer en vue de l'obtenir. Ce que j'ai avalé de petits fours
rancis et bu de Champagne éventé est incalculable.
C'en est devenu un mérite, car tout est affaire de proportion ici-
bas- sauvez votre femme qui se noie, ça ne compte pas; sauvez
voti-t. chef de bureau, vous aurez la médaille d'or.
D'ailleurs, jeune homme, un buffet bien garni est aussi un champ
de bataille quand on ne se contente pas de valser devant. J'ai eu
mes blessures qui marquent l'ordre de mes promotions :
A la dyspepsie j'ai été fait officier d'académie, à la gastrite aiguë
officier de l'Instruction publique, à la néphrite chevalier de la Lé-
gion d'honneur et officier au diabète.
Et impossible de ne pas considérer mon mérite : mes bulletins de
santé dans les journaux étaient mes citations à l'ordre du jour et
quant à mes borborygmes et mes flatulences on les prenait, à juste
titre, pour de véhémentes réclamations.
Donc, jeune homme, mangez et buvez en ville le plus que vous
pourrez ; tout le monde ne peut pas faire de même et ça vous mè-
nera loin.
RESTAURANT NOUVEAU JEU
Ce que l'on perd de temps dans les restaurants de Paris est
excessif.
Entre le potage et Y idem au cresson vous pourriez danser un
quadrille des lanciers, lire le Temps — ô dérision ! — d'un bout à
l'autre, aller faire une demande en mariage, ou une période d'ins-
truction militaire si vous êtes réserviste. Et c'est impossible, il faut
attendre, -rincer, grogner, taper, interpeller la fille de salLe et
subir sa goguenardise.
— Et ce fromage, Marie ?
— Ça marche, m'sieu, ça marche!
Une maison qui me nourrira pendant deux mois pour cette petite
réclame, la maison Poulain, restaurant à la carte, clientèle case-
moi-Polyte c'est-à-dire composée de Russes, d'Anglais, d'Américains,
d'Aztèques et d'Iroquois, a résolu ce problème : elle s'est annexé
un salon de coiffure tenu par Charette.
Poulain et Charette sont bien fait pour aller ensemble et c'est
déjà signe qu'on y va plus vite qu'ailleurs.
Vous arrivez au restaurant, vous commandez un potage. Pendant
qu'on vous met le couvert et qu'on vous sert ce potage vous allez
vous faire tailler la barbe ; entre le bouillon et le beefsteck un
champoing est indiqué ; puis une coupe de cheveux à la Bressant
en attendant les petits pois; du légume au dessert on vous frise la
moustache et enfin du dessert au café on vous fait une délicieuse
lotion au portugal. Vous n'avez pas même besoin de changer de
serviette.
Après le café et tandis que le coiffeur vous brosse le ventre—
quelle ironie ! — vous constatez que vous avez fort bien dîné, que
vous êtes frictionné, coiffé, frisé sans avoir mis plus de temps
qu'ailleurs et que vous n'avez pas trouvé plus de cheveux dans le
potage.. ......______....___________________K......_a___________&_______«**^m£
Ajoutons que la maison Poulain a les gâteaux de riz comme spé-
cialité. Avec le système qu'elle a adopté, elle .peut impunément
échauffer sa clientèle.
Texte et dessina de Lebègub.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Trois petites histoires
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1898
Entstehungsdatum (normiert)
1893 - 1903
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 4.1897-1898, No. 190 (25 Juin 1898), S. 2
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg