IMPRESSIONS DE CAMPAGNE
L'ŒIL DE VEAU
L'œil est tout, a dit Manet qui, je crois, avait laissé son œil au
fond (?). Ingres a soutenu que le nombril ô.tait l'œil du ventre. Un
commissaire de police est un quart d'œil (il en faut huit pour faire
deux yeux). -
Sans l'œil, rien ; c'est au point qu'un gigot « qui: n'a pas d'œil'»
■■ vous côupe l'appétit ; une soupe à la tortue, privée d'œil, aperdu son
arôme (La Cuisinière des Salons, page 29). Un restaurateur qui ne
vous fait pas l'œil est une quantité négligeable, etc.
Oui, sans l'œil, rien ; nous n'existons plus.
Félix, le tendre ami de Camille de Labarre, savait cela, et son
âme s'en attristait, car depuis plusieurs mois, sa vue baissait pro-
gressivement. Un matin, à l'heure du petit déjeuner, Camille le vit
prendre son vase pour sa tasse à café. « Mon trésor, lui dit-elle, tu
es par trop myope ; si tu veux m'être agréable, prends ton cha-
peau et va consulter M. Machinchouette, le célèbre oculiste bien
connu. •
— J'aurais dû y penser plus tôt, répondit-il en un soupir.
Et il sortit. •
M. Machinchouette introduisit Félix dans une chambre noire ;
des rayons lumineux, intenses, vinrent frapper ses prunelles, qui
se dilatèrent sous l'influence de puissantes lentilles.
— Ce n'est rien, dit Machinchouette, vous avez simplement deux
gouttes de vermouth gommé dans chaque œil.
— Du vermouth gommé l.mais je ne bois que de l'absinthe!
— Je ne contredis pas, mais qui vous dit que monsieur votre
père ou grand-père ne s'enivrait pas avec du vermouth gommé.
— Alors... ? ' '
— Je vais vous ôter les yeux pour y faire un curetage; il me fau-
dra deux mois.
— Deux mois !
— Oui. Pour les attendre patiemment, je vous prêterai des yeux
de veau; ma vache a justement vélé ces jours-ci... Ne bougez
plus.
L'opération réussit à merveille. A partir de ce moment, la vie
devint insupportable pour Félix : il voyait tout en veau, avait un
profond mépris du bœuf, affirmant ainsi sa vitalité. S'il passait dans
un champ de betteraves, il se mettait à plat-ventre et croquait à
belles dents.
Malgré lui, le veau reprenait le dessus. Il eut procès sur procès
pour avoir dévalisé des champs de luzerne. Se voyant ruiné, il réso-
lut d'en finir avec l'existence, monta dans son grenier et se suicida
en se jetant dans la rue par un œil-de-bœuf.
Georges Brandimbourg.
L'ŒIL DE VEAU
L'œil est tout, a dit Manet qui, je crois, avait laissé son œil au
fond (?). Ingres a soutenu que le nombril ô.tait l'œil du ventre. Un
commissaire de police est un quart d'œil (il en faut huit pour faire
deux yeux). -
Sans l'œil, rien ; c'est au point qu'un gigot « qui: n'a pas d'œil'»
■■ vous côupe l'appétit ; une soupe à la tortue, privée d'œil, aperdu son
arôme (La Cuisinière des Salons, page 29). Un restaurateur qui ne
vous fait pas l'œil est une quantité négligeable, etc.
Oui, sans l'œil, rien ; nous n'existons plus.
Félix, le tendre ami de Camille de Labarre, savait cela, et son
âme s'en attristait, car depuis plusieurs mois, sa vue baissait pro-
gressivement. Un matin, à l'heure du petit déjeuner, Camille le vit
prendre son vase pour sa tasse à café. « Mon trésor, lui dit-elle, tu
es par trop myope ; si tu veux m'être agréable, prends ton cha-
peau et va consulter M. Machinchouette, le célèbre oculiste bien
connu. •
— J'aurais dû y penser plus tôt, répondit-il en un soupir.
Et il sortit. •
M. Machinchouette introduisit Félix dans une chambre noire ;
des rayons lumineux, intenses, vinrent frapper ses prunelles, qui
se dilatèrent sous l'influence de puissantes lentilles.
— Ce n'est rien, dit Machinchouette, vous avez simplement deux
gouttes de vermouth gommé dans chaque œil.
— Du vermouth gommé l.mais je ne bois que de l'absinthe!
— Je ne contredis pas, mais qui vous dit que monsieur votre
père ou grand-père ne s'enivrait pas avec du vermouth gommé.
— Alors... ? ' '
— Je vais vous ôter les yeux pour y faire un curetage; il me fau-
dra deux mois.
— Deux mois !
— Oui. Pour les attendre patiemment, je vous prêterai des yeux
de veau; ma vache a justement vélé ces jours-ci... Ne bougez
plus.
L'opération réussit à merveille. A partir de ce moment, la vie
devint insupportable pour Félix : il voyait tout en veau, avait un
profond mépris du bœuf, affirmant ainsi sa vitalité. S'il passait dans
un champ de betteraves, il se mettait à plat-ventre et croquait à
belles dents.
Malgré lui, le veau reprenait le dessus. Il eut procès sur procès
pour avoir dévalisé des champs de luzerne. Se voyant ruiné, il réso-
lut d'en finir avec l'existence, monta dans son grenier et se suicida
en se jetant dans la rue par un œil-de-bœuf.
Georges Brandimbourg.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Impressions de Campagne
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Objektbeschreibung
Bildunterschrift: - Il faut être pour passer toute sa vie dans l'herbe.
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1898
Entstehungsdatum (normiert)
1893 - 1903
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 4.1897-1898, No. 199 (27 Août 1898), S. 2
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg