CRITIQUE DE L'AGE DE PIERRE
. Ceci se passait en des temps tellement anciens qu'il est impossible
de savoir, au juste, s'ils ont existé.
L'imagination des historiens n'en affirme pas moins, Ô J. Rosny!
que c'était l'âge de « la pierre taillée».
Pourtant, les habitants de l'époque n'étaient pas autrement
tailleurs ».
Ils rôdaient innocemment et superbement nus comme des
Rodins; ils s'ornaient, l'été, de rayons de soleil et, L'hiver, de
pardessus de neise.
Ils ignoraient aussi la gastronomie, ayant pour coutume
de s'entre-dévorer tout vifs.
Ce fut l'invention du premier homme-steck.
Cela se mangeait saignant et aux hommes-de-terre.
Rien de plus simple que cette cuisine :
Le « chef », prononcez le plus fort, a trempait une
soupe » au plus faible, qui jouait le rôle de comestible.
En somme, la vie était courte et bonne.
Bonne pour le dineur, courte pour le « dîné ».
Ce dernier, toutefois, gardait l'avantage de « faire
de vieux os », à la condition de les laisser vieillir
sans lui.
Autre agrément : « ça ne manquait pas de
fjmmes ».
On adorait ces « tendrons » pour leur délica-
tesse et leur légèreté. Plus elles étaient « menu »,
plus elles devenaient « chair » à tout le monde.
Aussi chacun de nos primitifs s'empressait-il de
choisir entre elles « une moitié ».. Il mangeait l'autre le lendemain.
Cette manière de se mettre en ménage — ou plutôt de mettre le
ménage en soi — fut précisément la cause de 1 aventure que nous
tenons à raconter le plus préhistoriquement possible, car on en su-*
bit encore aujourd'hui les lâcheuses conséquences :
Quœrcns— nous employons exprès le latin, ô érudition! pour
mieux marquer l'ancienneté de l'événement — quœrens quem de-
rorot, c'est-à-dire, cherchant quelqu'un â se mettre sous la dent, un
jeune chef, aussi vaillant qu'intrépide, vint à passer devant un antre
habité par la plus fraîche et plantureuse demoiselle de la région.
— n Antrez », lui dit naïvement la jeune personne...
Mais, dès le début du tôte-à-tète, elle sentit, tel un roman-feuilleton,
que la sienne tombait à ses
pieds.
Pouvait-elle, après cela,.
'kv> ne pas se laisser prendre,
(iy aussi, « le cœur et la main »?
Hâtif hymen où la mariée'
fut elle-même le repas de
noce !
Ravi d'une victoire si les-
tement" consommée», l'heu-.
reux gourmet éprouva d'ex-
traordinaires enthousiasmes
digestifs. Transporté de joie
et de « frissons nouveaux »,
il dansait avec élégance, il
s'accompagnait de hou-hou
et de ha-ha qui étaient
comme des rimes et des
rythmes. Gloire suprême,.il/
fut soudain le premier artiste, le pre-
mier qui s'avisa de donner aux émotions une forme de beauté.
C'était du plus bel effet, et la tribu rassemblée le couvrait
de hurlements approbateurs. *
Alors, par contraste, on vit sortir des rangs un vilain gros
bonhomme que ce succès horripilait. C'était un grincheux
préadamite en qui surgissait tout à coup
une vocation pour le métier de critique. 11
ne'comprit la poésie qu'au point de vue
« nutritif » et se jeta sur le novateur pour;
n'en faire qu'une bouchée.
Mais le débutant était de force.-
Roulé d'abord, il prit une souriante re-
vanche â la seconde passe et servit au.
magister une de ces raclées antédilu-
viennes qui, dans les rencontres de
cette époque, s'échangeaient toujours,
(i avec résultats ».
Ces coutumes n'ont guère varié de-
puis lors.
Il y a toujours des artistes,.inventeurs du neuf, pour,
ajouter aux grossières pâtures des foules le dessert, le
joli hors-d'œuvre, parfois le chef-d'œuvre.
Mais il y a aussi les successeurs de l'antique sarceyo-
phage (en'grec, ô bachot! mangeur de chair), il y a les_t
bêcheurs dont la rage. s'éveille à l'apparition de tout
nouveau poète et qui, selon dès -formules non moins
renouvelées de l'âge de pièrrej se mettent en mesure de
« voir ce qu'il y a dans le ventre », s'apprêtent à « le
vider » et commencent, tout au moins, par lui dédier « un
fort éreintement ». Louis Mullem.
LES PLAISIRS de l escarpolette' Dessin 'de Radiquet,
. Ceci se passait en des temps tellement anciens qu'il est impossible
de savoir, au juste, s'ils ont existé.
L'imagination des historiens n'en affirme pas moins, Ô J. Rosny!
que c'était l'âge de « la pierre taillée».
Pourtant, les habitants de l'époque n'étaient pas autrement
tailleurs ».
Ils rôdaient innocemment et superbement nus comme des
Rodins; ils s'ornaient, l'été, de rayons de soleil et, L'hiver, de
pardessus de neise.
Ils ignoraient aussi la gastronomie, ayant pour coutume
de s'entre-dévorer tout vifs.
Ce fut l'invention du premier homme-steck.
Cela se mangeait saignant et aux hommes-de-terre.
Rien de plus simple que cette cuisine :
Le « chef », prononcez le plus fort, a trempait une
soupe » au plus faible, qui jouait le rôle de comestible.
En somme, la vie était courte et bonne.
Bonne pour le dineur, courte pour le « dîné ».
Ce dernier, toutefois, gardait l'avantage de « faire
de vieux os », à la condition de les laisser vieillir
sans lui.
Autre agrément : « ça ne manquait pas de
fjmmes ».
On adorait ces « tendrons » pour leur délica-
tesse et leur légèreté. Plus elles étaient « menu »,
plus elles devenaient « chair » à tout le monde.
Aussi chacun de nos primitifs s'empressait-il de
choisir entre elles « une moitié ».. Il mangeait l'autre le lendemain.
Cette manière de se mettre en ménage — ou plutôt de mettre le
ménage en soi — fut précisément la cause de 1 aventure que nous
tenons à raconter le plus préhistoriquement possible, car on en su-*
bit encore aujourd'hui les lâcheuses conséquences :
Quœrcns— nous employons exprès le latin, ô érudition! pour
mieux marquer l'ancienneté de l'événement — quœrens quem de-
rorot, c'est-à-dire, cherchant quelqu'un â se mettre sous la dent, un
jeune chef, aussi vaillant qu'intrépide, vint à passer devant un antre
habité par la plus fraîche et plantureuse demoiselle de la région.
— n Antrez », lui dit naïvement la jeune personne...
Mais, dès le début du tôte-à-tète, elle sentit, tel un roman-feuilleton,
que la sienne tombait à ses
pieds.
Pouvait-elle, après cela,.
'kv> ne pas se laisser prendre,
(iy aussi, « le cœur et la main »?
Hâtif hymen où la mariée'
fut elle-même le repas de
noce !
Ravi d'une victoire si les-
tement" consommée», l'heu-.
reux gourmet éprouva d'ex-
traordinaires enthousiasmes
digestifs. Transporté de joie
et de « frissons nouveaux »,
il dansait avec élégance, il
s'accompagnait de hou-hou
et de ha-ha qui étaient
comme des rimes et des
rythmes. Gloire suprême,.il/
fut soudain le premier artiste, le pre-
mier qui s'avisa de donner aux émotions une forme de beauté.
C'était du plus bel effet, et la tribu rassemblée le couvrait
de hurlements approbateurs. *
Alors, par contraste, on vit sortir des rangs un vilain gros
bonhomme que ce succès horripilait. C'était un grincheux
préadamite en qui surgissait tout à coup
une vocation pour le métier de critique. 11
ne'comprit la poésie qu'au point de vue
« nutritif » et se jeta sur le novateur pour;
n'en faire qu'une bouchée.
Mais le débutant était de force.-
Roulé d'abord, il prit une souriante re-
vanche â la seconde passe et servit au.
magister une de ces raclées antédilu-
viennes qui, dans les rencontres de
cette époque, s'échangeaient toujours,
(i avec résultats ».
Ces coutumes n'ont guère varié de-
puis lors.
Il y a toujours des artistes,.inventeurs du neuf, pour,
ajouter aux grossières pâtures des foules le dessert, le
joli hors-d'œuvre, parfois le chef-d'œuvre.
Mais il y a aussi les successeurs de l'antique sarceyo-
phage (en'grec, ô bachot! mangeur de chair), il y a les_t
bêcheurs dont la rage. s'éveille à l'apparition de tout
nouveau poète et qui, selon dès -formules non moins
renouvelées de l'âge de pièrrej se mettent en mesure de
« voir ce qu'il y a dans le ventre », s'apprêtent à « le
vider » et commencent, tout au moins, par lui dédier « un
fort éreintement ». Louis Mullem.
LES PLAISIRS de l escarpolette' Dessin 'de Radiquet,
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Les Plaisirs de l'escarpolette
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1898
Entstehungsdatum (normiert)
1893 - 1903
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 4.1897-1898, No. 204 (1er Octobre 1898), S. 2
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg