E-ZEZ -A_G-É EATI O 1ST S
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* *
En clients généreux, nous octroyâmes des bocks à la petite Alice, â
la diaphane Irma et à la grosse Georgette. Sans parler de « la vieille
Blanche à qui ses quarante ans et son ancienneté dans rétablisse-
ment valaient d’avoir son bock servi d’office à la plupart des tables.
Ce soir-là, toutes ces dames étaient d’une gaieté folle. La patronne
ayant décidé de faire, le lendemain, fête du 14 juillet, un petit sacrifice,
et de fermer la « boîte ».
Alice se réjouissait à la pensée d’aller en canot sur la Marne, avec
son « ami », calicot au Louvre.
Irma devait obtenir de son rond-de-cuir des cartes pour assister, dans
la tribune d’honneur, à la grande revue de Longchamps.
Quant à Georgette, elle devait passer l’après-midi à un concert du
Point-du-lour, avec son épicier, et manger des pommes frites.
— Et toi, Blanche, qu’est-ce que tu fais demain? demanda Gus-
tave.
Blanche déclara qu’elle resterait chez elle, à faire un
bèsigue'avec une voisine.
— En voilà un plaisir 1 Tu vas bien t’amuser, pour
un 14 juillet !
Aux mots de « s’amuser », Blanche haussa
les épaules.
Qiii s’était amusé plus qu’elle... dans sa
jeunesse? Qui, mieux qu’elle, pouvait
dire ce qu’on entend par là?
Des parties de canot, des re-
vues de soldats, des concerts
et des « frites», tout cela c’était,
pour elle, ,de la petite bière !
Quand on a connu la' haute
vie, de pareilsamusements vous
paraissent bien mesquins!
Irma, Georgette, Alice ap-
prouvaient du regard. Toutes
s’inclinaient devant la supério-
rité du passé de la « vieille », —
devenu légendaire.
Celle-là, en vérité, savait ce
que c’est que la noce! Elle avait
connu des plaisirs... après lesr
quels on peut tirer l'échelle!
Et, sans se faire prier, la
« vieille» remâcha son histoire.
A l’époque de sa splendeur,
quand elle était jolie, elle avait
été entretenue par un «journa-
liste », qui l’avait bien aimée.
C’était « un,type calé », qui re-
cevait de l’argent d’un de ses
oncles, qui était sénateur. Il la
conduisait « en voiture » au
Grand Prix; l’avait mise dans
ses meubles, et lui donnait sou-
vent des billets de théâtre.
La vieille continuait à retra-
cer ce tableau enchanteur. Et
moi... je restais bouche béante.
Etait-il Dieu possible que son
imagination m’eût ainsi trans-
formé !
Car cet ancien amant, ce fa-
meux journaliste dontelle émer-
veillait ses compagnes, c’était
MOI !
Très fier, au fond, de ma barbe bien fournie et de mon teint bronzé,
je suivais la ligne des boulevards, en homme qui revient de Pékin, de
Canton, de Bombay et de Tananarive; en homme à qui les maisons
semblent plus hautes, plus nombreuses les enseignes et plus jolies les
femmes.
— Comment ça va, Émile ?
Je lui tendais la main ; il me donna la sienne et sourit bêtement, —
cherchant à avoir l’air de se rappeler qui j’étais.
— Tu ne me reconnais pas?... Édouard.
— Tiens, parbleu! c’est Édouard!... Eh bien, comment ça va?
J’avais dû bien changer pendant ces vingt années. Car la même petite
scène recommença avec Edmond, avec Gustave et avec Isidore.
Après une longue « vadrouille » de café en café, nous échouâmes
enfin à la Grotte de P/iœbé, — une brasserie de femmes.
1
Qui, à l’âge de vingt ans, at-
tendais anxieusement l’appari-
— Vous comprenez bien qu'un
- - -•% • • ,
3i-' .-/L-Aà-jiV--'v
ne peut pas faire monter cette vache dans la chambre !
Dessin d'A. F*'*1’1’
J
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En clients généreux, nous octroyâmes des bocks à la petite Alice, â
la diaphane Irma et à la grosse Georgette. Sans parler de « la vieille
Blanche à qui ses quarante ans et son ancienneté dans rétablisse-
ment valaient d’avoir son bock servi d’office à la plupart des tables.
Ce soir-là, toutes ces dames étaient d’une gaieté folle. La patronne
ayant décidé de faire, le lendemain, fête du 14 juillet, un petit sacrifice,
et de fermer la « boîte ».
Alice se réjouissait à la pensée d’aller en canot sur la Marne, avec
son « ami », calicot au Louvre.
Irma devait obtenir de son rond-de-cuir des cartes pour assister, dans
la tribune d’honneur, à la grande revue de Longchamps.
Quant à Georgette, elle devait passer l’après-midi à un concert du
Point-du-lour, avec son épicier, et manger des pommes frites.
— Et toi, Blanche, qu’est-ce que tu fais demain? demanda Gus-
tave.
Blanche déclara qu’elle resterait chez elle, à faire un
bèsigue'avec une voisine.
— En voilà un plaisir 1 Tu vas bien t’amuser, pour
un 14 juillet !
Aux mots de « s’amuser », Blanche haussa
les épaules.
Qiii s’était amusé plus qu’elle... dans sa
jeunesse? Qui, mieux qu’elle, pouvait
dire ce qu’on entend par là?
Des parties de canot, des re-
vues de soldats, des concerts
et des « frites», tout cela c’était,
pour elle, ,de la petite bière !
Quand on a connu la' haute
vie, de pareilsamusements vous
paraissent bien mesquins!
Irma, Georgette, Alice ap-
prouvaient du regard. Toutes
s’inclinaient devant la supério-
rité du passé de la « vieille », —
devenu légendaire.
Celle-là, en vérité, savait ce
que c’est que la noce! Elle avait
connu des plaisirs... après lesr
quels on peut tirer l'échelle!
Et, sans se faire prier, la
« vieille» remâcha son histoire.
A l’époque de sa splendeur,
quand elle était jolie, elle avait
été entretenue par un «journa-
liste », qui l’avait bien aimée.
C’était « un,type calé », qui re-
cevait de l’argent d’un de ses
oncles, qui était sénateur. Il la
conduisait « en voiture » au
Grand Prix; l’avait mise dans
ses meubles, et lui donnait sou-
vent des billets de théâtre.
La vieille continuait à retra-
cer ce tableau enchanteur. Et
moi... je restais bouche béante.
Etait-il Dieu possible que son
imagination m’eût ainsi trans-
formé !
Car cet ancien amant, ce fa-
meux journaliste dontelle émer-
veillait ses compagnes, c’était
MOI !
Très fier, au fond, de ma barbe bien fournie et de mon teint bronzé,
je suivais la ligne des boulevards, en homme qui revient de Pékin, de
Canton, de Bombay et de Tananarive; en homme à qui les maisons
semblent plus hautes, plus nombreuses les enseignes et plus jolies les
femmes.
— Comment ça va, Émile ?
Je lui tendais la main ; il me donna la sienne et sourit bêtement, —
cherchant à avoir l’air de se rappeler qui j’étais.
— Tu ne me reconnais pas?... Édouard.
— Tiens, parbleu! c’est Édouard!... Eh bien, comment ça va?
J’avais dû bien changer pendant ces vingt années. Car la même petite
scène recommença avec Edmond, avec Gustave et avec Isidore.
Après une longue « vadrouille » de café en café, nous échouâmes
enfin à la Grotte de P/iœbé, — une brasserie de femmes.
1
Qui, à l’âge de vingt ans, at-
tendais anxieusement l’appari-
— Vous comprenez bien qu'un
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Dessin d'A. F*'*1’1’
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Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1898
Entstehungsdatum (normiert)
1893 - 1903
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 5.1898-1899, No. 217 (31 Décembre 1898), S. 2
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg