MES JOIES
DU NOUVEAU ! DU NOUVEAU !
Je sors de eliez le directeur de... ne nom-
mons point le théâtre, pour ne pas lui l'aire
de la réclame.
Il m'a reçu d’une façon charmante, oh !
mais là, charmante.
,,—.M’apportez:-vous quelque chose? m’a-
t-il dit dés l’abord.
‘ Cette question, je dois l’avouer, m’a récon-
forté et bien vite, j’ai sorti de la poche de
mon pardessus un manuscrit volumineux
que j’avais caché jusque-là, telle une arme
meurtrière, afin de ne point effrayer mon
homme.
En voyant paraître la chemise rouge turc,
timbrée au coin des armes de Carpentier,
copiste, le directeur sursaute, pareil à un lion
affamé à qui l’on montre un quartier de bœuf.
— Est-ce du nouveau, au moins?
Et comme je no réponds rien : <
— Ah ! fait-il, en levant les bras au ciel
du nouveau ! du nouveau ! Il me faut du non
veau, n’en fût-il plus au monde! Voyons,
ciu’y a-t-il dans votre affaire?
— Mais, monsieur! c’est un drame, un
drame en cinq actes.
— Et combien de tableaux?
— Cinq actes et cinq tableaux.
— Et les décors ?
—; Les décors! Eli bien! au premier: un
salon ! au deux : un jardin ! au trois : une au-
berge ! au quatre : une forêt, et au cinq...
— Un salon ! Et
La propreti! est uiie
demi-vertu.
— J’ai toujours aimé la
propreté. Lorsque j’étais
riche, je passais la meil-
leure partie de mon temps
dans fa salle de bains.
c’est tout! Et vous
appelez ça du théâ-
tre !
— Mais, si vous
voulez bien lire mon
manuscrit, vous ver-
rez : l’intrigue est
très forte, les carac-
tères originaux et
curieux, la situa-
tion...
— L’intrigue! les
caractères ! les si-
tuations ! Qu’est-ce
que vous voulez que
■ ça me fiche, tout ça!
Est-ce du théâtre?
— 11 me semble,
cependant !
— Et il vous sem-
ble mal, voilà tout!
Vous faites un dra-
me ! Eh bien ! flan-
En style Empire, c’est tout ce qui me reste!
Dessin d’A. Faivue
quez-moi quinze tableaux et quinze décors!
Puis des clous, des attractions sensation-
nelles! Avez-vous un échafaudage qui tombe
sur la tête du traître? un homme qui tombe
dans de la vraie eau? une planche qui s'ef-
fondre? une roue de moulin avec son engre-
nage? Non, vous n’avez pas de ça; alors
Av;
... Et maintenant, encore que dos revers de fortune m’ont mis sur le pavé, je trouve cependant
le moyen de prendre ma douche tous les matins. v Dessins de G. Delaw
qu’est-ce que vous voulez que je fiche de votre
situation, de vos intrigues, de vos caractères?
Apportez-moi du Molière, pendant que vous
y êtes !
Et le directeur a un tel haussement
d’épaules que, tout seul, mon manuscrit s'eni-
gouffre dans ma poche.
Je m’éclipse...
A peine rentré chez moi, je viens de grif-
fonner un scénario, je ne vous dis que ça.
Au premier acte : une usine à gaz, une
vraie usine à gaz, où l’on fabrique du vrai
gaz! Au 8° : la machine élévatoire de Mirly,
la vraie machine, avec de la vraie eau! Au
13e : de la neige, de la vraie neige, qui tom-
bera sur de vrais arbres ! Au 17e : un vrai
couvreur réparera un vrai toit, et sera pré-,
cipité dans le vide, un vrai vide, par un vrai
coup de vent. Enfin, au dénouement, le traître
sera emmuré vivant dans un vrai mur, par'
de vrais maçons, avec du vrai mortier; on
pourra toucher et se rendre compte.
Quant à la pièce, je m’en fiche: au besoin,
je n’en mettrai pas.
Seulement, comme tout cela coûtera très
cher, il se peut que les actionnaires, — de
vrais actionnaires — fassent une vraie fail-
lite.
Rodolphe Brinqer,
DU NOUVEAU ! DU NOUVEAU !
Je sors de eliez le directeur de... ne nom-
mons point le théâtre, pour ne pas lui l'aire
de la réclame.
Il m'a reçu d’une façon charmante, oh !
mais là, charmante.
,,—.M’apportez:-vous quelque chose? m’a-
t-il dit dés l’abord.
‘ Cette question, je dois l’avouer, m’a récon-
forté et bien vite, j’ai sorti de la poche de
mon pardessus un manuscrit volumineux
que j’avais caché jusque-là, telle une arme
meurtrière, afin de ne point effrayer mon
homme.
En voyant paraître la chemise rouge turc,
timbrée au coin des armes de Carpentier,
copiste, le directeur sursaute, pareil à un lion
affamé à qui l’on montre un quartier de bœuf.
— Est-ce du nouveau, au moins?
Et comme je no réponds rien : <
— Ah ! fait-il, en levant les bras au ciel
du nouveau ! du nouveau ! Il me faut du non
veau, n’en fût-il plus au monde! Voyons,
ciu’y a-t-il dans votre affaire?
— Mais, monsieur! c’est un drame, un
drame en cinq actes.
— Et combien de tableaux?
— Cinq actes et cinq tableaux.
— Et les décors ?
—; Les décors! Eli bien! au premier: un
salon ! au deux : un jardin ! au trois : une au-
berge ! au quatre : une forêt, et au cinq...
— Un salon ! Et
La propreti! est uiie
demi-vertu.
— J’ai toujours aimé la
propreté. Lorsque j’étais
riche, je passais la meil-
leure partie de mon temps
dans fa salle de bains.
c’est tout! Et vous
appelez ça du théâ-
tre !
— Mais, si vous
voulez bien lire mon
manuscrit, vous ver-
rez : l’intrigue est
très forte, les carac-
tères originaux et
curieux, la situa-
tion...
— L’intrigue! les
caractères ! les si-
tuations ! Qu’est-ce
que vous voulez que
■ ça me fiche, tout ça!
Est-ce du théâtre?
— 11 me semble,
cependant !
— Et il vous sem-
ble mal, voilà tout!
Vous faites un dra-
me ! Eh bien ! flan-
En style Empire, c’est tout ce qui me reste!
Dessin d’A. Faivue
quez-moi quinze tableaux et quinze décors!
Puis des clous, des attractions sensation-
nelles! Avez-vous un échafaudage qui tombe
sur la tête du traître? un homme qui tombe
dans de la vraie eau? une planche qui s'ef-
fondre? une roue de moulin avec son engre-
nage? Non, vous n’avez pas de ça; alors
Av;
... Et maintenant, encore que dos revers de fortune m’ont mis sur le pavé, je trouve cependant
le moyen de prendre ma douche tous les matins. v Dessins de G. Delaw
qu’est-ce que vous voulez que je fiche de votre
situation, de vos intrigues, de vos caractères?
Apportez-moi du Molière, pendant que vous
y êtes !
Et le directeur a un tel haussement
d’épaules que, tout seul, mon manuscrit s'eni-
gouffre dans ma poche.
Je m’éclipse...
A peine rentré chez moi, je viens de grif-
fonner un scénario, je ne vous dis que ça.
Au premier acte : une usine à gaz, une
vraie usine à gaz, où l’on fabrique du vrai
gaz! Au 8° : la machine élévatoire de Mirly,
la vraie machine, avec de la vraie eau! Au
13e : de la neige, de la vraie neige, qui tom-
bera sur de vrais arbres ! Au 17e : un vrai
couvreur réparera un vrai toit, et sera pré-,
cipité dans le vide, un vrai vide, par un vrai
coup de vent. Enfin, au dénouement, le traître
sera emmuré vivant dans un vrai mur, par'
de vrais maçons, avec du vrai mortier; on
pourra toucher et se rendre compte.
Quant à la pièce, je m’en fiche: au besoin,
je n’en mettrai pas.
Seulement, comme tout cela coûtera très
cher, il se peut que les actionnaires, — de
vrais actionnaires — fassent une vraie fail-
lite.
Rodolphe Brinqer,
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum (normiert)
1899 - 1899
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 5.1898-1899, No. 235 (6 Mai 1899), S. 2
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg