LES GAIETÉS DU MARIAGE
I. — LA. VISITE IMPRÉVUE
UNE TEMPETE SOUS DEUX CRANES
— Veuillez, donc souiller ce siège de votre contact...
Cette simple phrase, d’un goût exquis, lancée avec une majesté
dont le Servatoire lui-même n’a plus le monopole, et accompagnée
d'un geste à l'aire faire un nez à celui de Cyrano en personne, lit
perdre contenance (mieux vaut perdre contenance que... je m’en-
tends) à M.' Chamouillard, qui s’anéantit sur l’unique chaise de
l'atelier.
L’artiste continua, en tanguant sur ses longues jambes et en pé-
trissant sa barbe férocement rouge :
— Je vous écoute, allez!...
Chamouillard toussa, se moucha, regarda le parquet, le plafond,
les trouva également sales, puis bredouilla.:
— Je voudrais quelque chose d’immense... Je ne regarde pas au
prix...
— Je comprends, une toile do 120?
— De deux cents francs, si vous voulez.
— Non, 120, c'est le numéro de la toile. Ça fait un châssis de 1,94
sur 1,30.
— Ah 1 parfaitement, 1,94 sur 1,30. Oui, oui... Mais, est-ce que ce
sera assez grand ?
— Dame, pour un portrait... A moins que vous ne le désiriez plus
grand que nature, plus que reine!!
— Plus... plus grand que nature? Est-ce que ça ferait bien?
— Si vous avez de vastes appartements et que le tableau soit
exposé sur un panneau de dimensions respectables, je crois que
plus grand que nature conviendrait mieux... Ainsi, un exemple :
savez-vous bien, monsieur, qu’Eiffel n’aurait pas dû faire sa tour
large à la base et étroite à son sommet?
(Chamouillard transforma ses yeux en boules de loto, « loto mo-
bile » même, si vous voulez.)
— En effet, quelle est la partie la plus visible? C’est la base. Quel
est le point le plus éloigné pour notre rayon visuel? C’est le som-
met. Or, je démontre qu’en art tout ce qui tend à se dissimuler doit
être grossi, et tout ce qui peut être aperçu doit se diminuer...
(Chamouillard ruisselait.)
— En conséquence, cela revient à dire qu’en art pur, la tour
Eiffel devrait tenir sur la pointe !
Et le rapin, d’un doigt menaçant, sembla poignarder le plafond de
l’atelier.
Puis sa tête flamboyante s’inclina un instant sur sa poitrine, et il
murmura en voix d’or, comme en extase :
— Oh! des exemples, des exemples, j’en trouve partout! Tenez,
les cigognes... elles ont des pattes fuselées, mais un corps énorme,
si bien que, lorsqu’elles sont juchées sur un toit, nous apercevons
le corps aussi bien que les pattes!... Et si nous passons aux grues...
— Pardon, interrompit Chamouillard anxieux, vous n’avez pas
l’intention de faire ma femme avec des petites jambes et une grosse
tête?
Le peintre bondit d’horreur jusqu’au coin le plus reculé de l’ate-
lier, s’accula, la tête tournée vers le mur, et s'écria d’une voix ca-
verneuse :
■— Cet homme a blasphémé!...
Positivement, Chamouillard se sentit remué. Il hasarda timi-
dement :
— Si nous nous occupions maintenant des menus objets qui en-
toureront mon Héloïse?
— Elle s’appelait Héloïse, dit le rapin en revenant à cloche-pied?
Alors, les attributs ne manqueront pas, l’Histoire nous autorise
aux emprunts... De quelle couleur étaient ses cheveux?
II. - AVANT LE BAL
— C’est pour voir dans la glace un cor qui me fait souffrir.
Dessins d’Abel Fuvaa
I. — LA. VISITE IMPRÉVUE
UNE TEMPETE SOUS DEUX CRANES
— Veuillez, donc souiller ce siège de votre contact...
Cette simple phrase, d’un goût exquis, lancée avec une majesté
dont le Servatoire lui-même n’a plus le monopole, et accompagnée
d'un geste à l'aire faire un nez à celui de Cyrano en personne, lit
perdre contenance (mieux vaut perdre contenance que... je m’en-
tends) à M.' Chamouillard, qui s’anéantit sur l’unique chaise de
l'atelier.
L’artiste continua, en tanguant sur ses longues jambes et en pé-
trissant sa barbe férocement rouge :
— Je vous écoute, allez!...
Chamouillard toussa, se moucha, regarda le parquet, le plafond,
les trouva également sales, puis bredouilla.:
— Je voudrais quelque chose d’immense... Je ne regarde pas au
prix...
— Je comprends, une toile do 120?
— De deux cents francs, si vous voulez.
— Non, 120, c'est le numéro de la toile. Ça fait un châssis de 1,94
sur 1,30.
— Ah 1 parfaitement, 1,94 sur 1,30. Oui, oui... Mais, est-ce que ce
sera assez grand ?
— Dame, pour un portrait... A moins que vous ne le désiriez plus
grand que nature, plus que reine!!
— Plus... plus grand que nature? Est-ce que ça ferait bien?
— Si vous avez de vastes appartements et que le tableau soit
exposé sur un panneau de dimensions respectables, je crois que
plus grand que nature conviendrait mieux... Ainsi, un exemple :
savez-vous bien, monsieur, qu’Eiffel n’aurait pas dû faire sa tour
large à la base et étroite à son sommet?
(Chamouillard transforma ses yeux en boules de loto, « loto mo-
bile » même, si vous voulez.)
— En effet, quelle est la partie la plus visible? C’est la base. Quel
est le point le plus éloigné pour notre rayon visuel? C’est le som-
met. Or, je démontre qu’en art tout ce qui tend à se dissimuler doit
être grossi, et tout ce qui peut être aperçu doit se diminuer...
(Chamouillard ruisselait.)
— En conséquence, cela revient à dire qu’en art pur, la tour
Eiffel devrait tenir sur la pointe !
Et le rapin, d’un doigt menaçant, sembla poignarder le plafond de
l’atelier.
Puis sa tête flamboyante s’inclina un instant sur sa poitrine, et il
murmura en voix d’or, comme en extase :
— Oh! des exemples, des exemples, j’en trouve partout! Tenez,
les cigognes... elles ont des pattes fuselées, mais un corps énorme,
si bien que, lorsqu’elles sont juchées sur un toit, nous apercevons
le corps aussi bien que les pattes!... Et si nous passons aux grues...
— Pardon, interrompit Chamouillard anxieux, vous n’avez pas
l’intention de faire ma femme avec des petites jambes et une grosse
tête?
Le peintre bondit d’horreur jusqu’au coin le plus reculé de l’ate-
lier, s’accula, la tête tournée vers le mur, et s'écria d’une voix ca-
verneuse :
■— Cet homme a blasphémé!...
Positivement, Chamouillard se sentit remué. Il hasarda timi-
dement :
— Si nous nous occupions maintenant des menus objets qui en-
toureront mon Héloïse?
— Elle s’appelait Héloïse, dit le rapin en revenant à cloche-pied?
Alors, les attributs ne manqueront pas, l’Histoire nous autorise
aux emprunts... De quelle couleur étaient ses cheveux?
II. - AVANT LE BAL
— C’est pour voir dans la glace un cor qui me fait souffrir.
Dessins d’Abel Fuvaa
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Les Gaietés du mariage
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum (normiert)
1899 - 1899
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 5.1898-1899, No. 238 (27 Mai 1899), S. 2
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg