— D’un blond, comment dirai-je'? spécial.
— Bien, vermillon ! laissa tomber férocement le peintre.
— Quand je rencontrai ma femme, elle était dans les modes. Je
voudrais que vous fissiez une allusion fine à ce commerce. J’ai
pensé à un mannequin dans le fond ?
— Eulil ça pourrait prêter à la confusion. Je préférerais un car-
ton au second plan.
— Mais... on né saura pas ce qu’il y a dedans?
— Pour qui me prenez-vous, môsieur? clama le rapin humilié.
J’y collerai une étiquette et « une vraie » Modes, sur un petit bout
dè papier. Sera-ce assez réalisme'? Et puis, j’ajouterai des ailes !...
— Oh 1 voui, riposta Chamôuillard en délire. Ét puis, dans le fond,
un paysage, Charentonneau, par exemple. Et puis, des attributs
rappelant ma profession : j’étais aplatisseur. de cornes. Et puis, le
restaurant où on se rencontra pour la première fois, la Colombe
amoureuse. Et puis, aux pieds d’Héloïse, une petite source...
— Ah ! non, ce serait pornographique!
— Et puis, moi, monsieur; moi, adossé à un arbre, et murmurant
d’une voix lugubre : « Elle ne reviendra plus ! »
— Diable ! c’est assez difficile de faire parler les gens en pein-
ture... Enfin, on pourra employer le procédé des rébus!
11 y eut un silence majestueux que Chamôuillard rompit le pre-
mier, en laissant tomber d’une voix inquiète :
— Mais croyez-vous, monsieur, que le tableau ne sera pas un peu
chargé ?
Le rapin regarda Chamôuillard en face, et répondit sans sourciller :
— A.u contraire!
Ppis, il s’affala à plat-ventre sur le parquet, et, fiévreusement,
griffonna sur une immense feuille de papier, le compte suivant,
dont il donna lecture à son client hébété :
1° Avoir refait la femme de Chamôuillard ...... 500 fr.
2° Lui avoir mis, dans l’une ou l’autre main, ad libi-
tum, un carton de modes, avec des ailes. 12 fr.
3° Achat et collage de l’étiquette du carton. 0 fr.
4° Panorama de Charentonneau (les arbres se paye-
ront à part, d’après le tarif du bois en grume). 250 fr.
5° Le restaurant de la Colombe amoureuse, avec ses
dépendances (si la Colombe doit avoir l’air vraiment
amoureuse, le prix sera naturellement doublé). 104 fr.
0° Le portrait de Al. Chamôuillard, prononçant une
phrase lugubre, en aplatisseur de cornes, d’une voix
caverneuse. 200 fr.
7“ Séance de pose d’un professeur du Conservatoire,
français et vacciné, pour la voix de M. Chamôuillard. . 100 fr.
— Total, voyons... total... 1,167 francs 80. C’est pour rien!
»
75
80
»
i)
»
LES SOLDATS AU SALON
— J’ai entendu dire comm’ ça qu’ c’était d’la peinture lieliée. Qué qu’ ça
veut dire ?
— Ça veut dire que l’artiss’, ij est obligé d’ licher .sa peinture pour ne pas
Crever de faim ! Dessin de O’Gué.
— Pour rien'?'? Mais c’est... c’est dix fois trop cher! bredouilla
Chamôuillard effaré.
— Trop cher! et l’art, môssieur, qu’en fais-tu?
Et, profond comme les tranchées de la rue de Rivoli, le peintre
déboutonna sa vareuse, prit dans sa poche intérieure une pipe qu’il
brandit avec un geste d’empereur romain payant l’ouvreuse de Ma-
rigny, et laissa tomber :
— Vicomte, je ne vous retiens plus !
Subjugué, Chamôuillard s’inclina, et sortit à reculons; ce qu’on
appelle, en tactique, protéger ses derrières.
Perplexe, il descendit l’escalier en pensant :
. — Oh ! ces artistes!... Sont-ils assez inabordables, surtout quand
ils ont des conceptions grandioses !
Puis, trois marches plus bas :
— Pour me reconstituer Héloïse, si j’allais tout simplement chez
un photographe? Paui.us Pf.yuel.
— Toi, t’es un artiste arrivé ou un amateur. Je ne connais que les bour
siers pour avoir des feutres pareils I Dessin de Uadiquet.
— Bien, vermillon ! laissa tomber férocement le peintre.
— Quand je rencontrai ma femme, elle était dans les modes. Je
voudrais que vous fissiez une allusion fine à ce commerce. J’ai
pensé à un mannequin dans le fond ?
— Eulil ça pourrait prêter à la confusion. Je préférerais un car-
ton au second plan.
— Mais... on né saura pas ce qu’il y a dedans?
— Pour qui me prenez-vous, môsieur? clama le rapin humilié.
J’y collerai une étiquette et « une vraie » Modes, sur un petit bout
dè papier. Sera-ce assez réalisme'? Et puis, j’ajouterai des ailes !...
— Oh 1 voui, riposta Chamôuillard en délire. Ét puis, dans le fond,
un paysage, Charentonneau, par exemple. Et puis, des attributs
rappelant ma profession : j’étais aplatisseur. de cornes. Et puis, le
restaurant où on se rencontra pour la première fois, la Colombe
amoureuse. Et puis, aux pieds d’Héloïse, une petite source...
— Ah ! non, ce serait pornographique!
— Et puis, moi, monsieur; moi, adossé à un arbre, et murmurant
d’une voix lugubre : « Elle ne reviendra plus ! »
— Diable ! c’est assez difficile de faire parler les gens en pein-
ture... Enfin, on pourra employer le procédé des rébus!
11 y eut un silence majestueux que Chamôuillard rompit le pre-
mier, en laissant tomber d’une voix inquiète :
— Mais croyez-vous, monsieur, que le tableau ne sera pas un peu
chargé ?
Le rapin regarda Chamôuillard en face, et répondit sans sourciller :
— A.u contraire!
Ppis, il s’affala à plat-ventre sur le parquet, et, fiévreusement,
griffonna sur une immense feuille de papier, le compte suivant,
dont il donna lecture à son client hébété :
1° Avoir refait la femme de Chamôuillard ...... 500 fr.
2° Lui avoir mis, dans l’une ou l’autre main, ad libi-
tum, un carton de modes, avec des ailes. 12 fr.
3° Achat et collage de l’étiquette du carton. 0 fr.
4° Panorama de Charentonneau (les arbres se paye-
ront à part, d’après le tarif du bois en grume). 250 fr.
5° Le restaurant de la Colombe amoureuse, avec ses
dépendances (si la Colombe doit avoir l’air vraiment
amoureuse, le prix sera naturellement doublé). 104 fr.
0° Le portrait de Al. Chamôuillard, prononçant une
phrase lugubre, en aplatisseur de cornes, d’une voix
caverneuse. 200 fr.
7“ Séance de pose d’un professeur du Conservatoire,
français et vacciné, pour la voix de M. Chamôuillard. . 100 fr.
— Total, voyons... total... 1,167 francs 80. C’est pour rien!
»
75
80
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i)
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LES SOLDATS AU SALON
— J’ai entendu dire comm’ ça qu’ c’était d’la peinture lieliée. Qué qu’ ça
veut dire ?
— Ça veut dire que l’artiss’, ij est obligé d’ licher .sa peinture pour ne pas
Crever de faim ! Dessin de O’Gué.
— Pour rien'?'? Mais c’est... c’est dix fois trop cher! bredouilla
Chamôuillard effaré.
— Trop cher! et l’art, môssieur, qu’en fais-tu?
Et, profond comme les tranchées de la rue de Rivoli, le peintre
déboutonna sa vareuse, prit dans sa poche intérieure une pipe qu’il
brandit avec un geste d’empereur romain payant l’ouvreuse de Ma-
rigny, et laissa tomber :
— Vicomte, je ne vous retiens plus !
Subjugué, Chamôuillard s’inclina, et sortit à reculons; ce qu’on
appelle, en tactique, protéger ses derrières.
Perplexe, il descendit l’escalier en pensant :
. — Oh ! ces artistes!... Sont-ils assez inabordables, surtout quand
ils ont des conceptions grandioses !
Puis, trois marches plus bas :
— Pour me reconstituer Héloïse, si j’allais tout simplement chez
un photographe? Paui.us Pf.yuel.
— Toi, t’es un artiste arrivé ou un amateur. Je ne connais que les bour
siers pour avoir des feutres pareils I Dessin de Uadiquet.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Les Soldats au salon; Toi, t’es un artiste arrivé ou un amateur. Je ne connais que les boursiers pour avoir des feutres pareils!
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Objektbeschreibung
Bildunterschrift: - J’ai entendu dire comm’ ça qu’ c’était d’la peinture lichée. Que qu’ ça veut dire? - Ça veut dire que l’artiss’, il est oblige d’licher sa peinture pour ne pas crever de faim! Signatur O.Gué (tätig 1899-1903) vermutliche Identität Ogé, Eugène (1861-1936)
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum (normiert)
1899 - 1899
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 5.1898-1899, No. 238 (27 Mai 1899), S. 3
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg