Le rire: journal humoristique (N.S. 1913 (Nr. 518-569))

Servir, au Théâtre Sarah-Bernhardt.

On ne saurait reprocher à M. Henri La-
vedan de ne pas être un auteur dramatique
complet et varié. Tous les genres lui sont
bons, même le genre ennuyeux (souvenez-
vous des Médicis); mais il a l'inestimable
mérite de passer avec maîtrise et désinvol-
ture du brave au doux et du plaisant au sé-
vère. A.in-1 l'avons-nous vu jadis dans le
Vieux marcheur1]aspiner l'argot et dévider
le jar, et contribuer bien avant Marcel Pré-
vost àFintrusion delà langue verte chez les
habits verts. Et voici que nous admirons
aujourd'hui, avec Servir, le lyrisme éloquent
d'un verbe purement français. A la oonne
lieure, ça ne traîne pas!... Et comme il
s'agit d'une pièce militaire (et farouche-
ment militariste), les personnages ne per-
dent pas leur temps et leur salive en décla-
mations oiseuses et en frivole rhétorique;
les phrases s'entrecroisent comme des feux
de batterie (car aux âmes bien nées la bat-
terie est chère), le dialogue pétarade, fuse,
et tonne, agressif, hardi, brutal: et cette
concision d'une vigueur extrême est un bel
exemple offert aux dramaturges filandreux.
Aux spectateurs aussi; car ils sont forcés
d'écouter les deux actes d'un bout à l'autre,
sans en manquer une répliqua, sous peine
de ne pas comprendre. Les belles m idames
renoncent aux conversations particulières
touchant leurs petits bobos et leurs gros
chagrins. Elles ne sont pas là pour s'amuser,
mais pour s'intéresser; et, de fait, elles
marchent comme un seul homme en é mu-
tant lJintrigue patriotique imaginée par le
père du Vieux marcheur. Il ne s'agit pas
non plus pour Guitry de psalmodier à voix
basse, les mains dans les poches : il doit y
aller de son voyage; payer de sa personne.
Il n'y manque pas; et comme Y homme qui
assassina Kismet est, s'il lui plaît, un pro-
digieux comédien, il atteint ici le summum
de l'émotion. Son flls, qui a un flair d'ar-
tilleur, et qui fait la bombe (mais pour le

— La Seine monteMais mon Dubannet, ah!
ce qu'il descend bi-en ! ! !

lion motif), est incarné par Capellani, per-
suasif et chaleureux, plein de fougue et de
talent.

M. Mosnier représente avec autant de
tact que d'autorité un minisire de la Guerre
recrute dans le civil, ce qui est de bonne
actualité. MUo Gilda Darthv qui, à la sûre
discipline d'Antoine, a fait de méritoires

M. GUTTRY
Dans Servir, au Théâtre Sarah-Bernhardt.

Dessin de de Losques.

progrès, est douloureuse comme il sied, tout
en restant belle ainsi qu'il convient.

Une fois de plus, la Comédie-Française a
laissé échapper une noble pièce; mais
depuis le refus de Ci/rano et la réception
enthousiaste de la Furie, il n'y a plus lieu
de s'étonner de rien.

La Chienne du Roi, du même Henri La-
vedan, fait affiche avec Servir. Chapitre de
l'Histoire révolutionnaire (genre I.enôtre)
qu'il n'était pas indispensable de mettre à
la scène. Mme Jane Hading y personnifie
Jeanne Bécu, comtesse Du Barry, victime
de Fouquier-Tinville (ce mâle qui répandait
la Terreur), à la veille de marcher à l'écha-
faud. Elle avait alors cinquante ans; et
Mme Jane Hading nous apparaît aussi jeune
que lorsqu'elle créait le Maître de forges,
en décembre 1883. Voilà, une merveilleuse
réclame pour 1' « Eau de Jeunesse » à la-
quelle elle a donné son nom!...

L'Embuscade, à la Comédie-Française.
Voici une tragédie bourgeoise essentiel-
lie cachet d'une femme se reconnaît
non seulement à sa toilette, mais égale-
ment à ses parfums. Aussi nos jolies artistes
n'hésitent pas à employer la Crème, la
Poudre de riz et le Savon â la crème Simon,
si universellement réputés. Exiger le nom
de l'inventeur J. Simon.

lement morale. Elle indique aux honnêtes
mères de famille le danger qu'il y a à intro-
duire leurs bâtards au foyer conjugal. On
a bien du mal avec les enfants, mais sur-
tout lorsqu'ils sont naturels. C'est pour avoir
ignoré cette vérité première que la pauvre
Mme Sergine Guéret a tant d'embêtements.
Vous pensez bien qu'il y a un perpétuel
conflit enk'e son mari et son enfant. Tous
deux souffrent d'une rétention d'usine ; l'un
défendant les droits du patronat, l'autre
soutenant les revendicatiions ouvrières. Car
il faut bien que la question sociale soit
traitée de temps en temps devant la clientèle
paisible de la C.-F., sans trop a\pprofondir
pour ne pas surmener ses méninges ni
troubler ses digestions. Il est pourtant ques-
tion de bombe comme dans Servir; et par
certains côtés l'Embuscade fait aussi songer
à la Barricade. Comme (nul ne l'ignore)
M. Lucien Guitry est le seul auteur de
toutes les pièces de M. Paul Bourget, atten-
dons-nous à des revendications...

Au dénouement tout s'arrange; et parmi
les décombres pitoyables de l'usine détruite
par l'explosion, la réconciliation générale
(et un brin arbitraire) a lieu, pour la joie
des spectateurs aux veux encore rougis de
larmes. Si elle ne finissait pas bien, une
pièce de chez Molière ne ferait pas long
feu ; et M. Kistemaeckers le sait bien, auteur
aussi roublard que puissant. A cette double
qualité il devra le gros, le grand, le du-
rable succès.

MM. de Féraudy et Mayer et Mlle Berthe
Cerny jouent avec force et naturel; et M. Le
Roy, qui jusqu'ici n'avait pas brillé d'un
vif éclat, a eu une revanche pleine de pro-
messes. Sans aucun doute nous applaudi-
rons sur une scène du boulevard ce jeune
artiste, dès qu'il aura assez vu ha chère
grande maison. Ragotin.

— Pas mal, votre garçonnière, mais il y
manque le principal, mon cher!

— Du papier à cigarettes Zig-Zag, qui donne
l'idéale griserie !