Le rire: journal humoristique (N.S. 1913 (Nr. 518-569))

Lorsque l'A.A.A. A.A. (Association amicale des artistes avin- \Zl Ma traversée de l'Allemagne.

teurs d'Asnières) m'eut désigne pour tenter le raid Paris-Jéru- Les autorités militaires allemandes me firent bon accueil. Je

salem, mon premier soin fut du me procurer un bon guide, c'est- sablai avec elles le johannisberg et la bavaroise au chocolat,

a-dire un ouvrage qui me donnât, sous un mince volume, tous Cependant, un officier de police me fit savoir qu'il était.interdit,

les renseignements, d'ordre pratique, exigés par un pareil par ordre supérieur, de survoler le territoire de l'Empire, a

voyage. Sur le conseil de mes amis, j'achetai Y Itinéraire de moins de 200 km. de la ligne frontière.

Paris à Jérusalem de M. de Chateaubriand... Hélas! encore Comme ce règlement s'appliquait à tout le trajet que je devais

qu'il m'en coûte fort de dénigrer un collègue, je dirai que le parcourir en Allemagne, j'expédiai directement à la douane

livre de ce châteaubriand ne contient que des lacunes. autrichienne mon excellent monoplan Perdeniche (moteur

Voilà pourquoi, maintenant que le succès a couronné mes A. Crotin, bougies Roze).
efforts, je n'hésite pas à refaire Y Itinéraire. C'est sous ce

titre que je me propose de publie.- ici la relation de mon voyage Ma traversée de l'Autriche-Hongrie,

aérien. J'y montrerai, je l'espère, cette sensibilité artistique, Les autorités militaires autrichiennes me firent bon accueil,

cette élévation de la pensée et cette belle tenue du style, dont Pourtant, toutes les fois que je me lançai à travers l'immensité

lesieurdeChateaubriandcroyait, du ciel, comme une hirondelle

bien naïvement, posséder le js^ \\ ^aœs> «g» aux pieds agiles, je me vis sa-

monopoie. Ç3h\Ëk /-ffW-^''; Vl ,» hier par des coups de fusil el

Ma traversée de la France. ^itL fiTdonc, jusqu'à Vienne,

L'astre du jour dardait ses pre- /'^ry^is^x 'c^t^^l \7p)fflminf \ % que des vols de courte durée. A

mières flèches quand, après trois ■ / //. ■ ■.. ^\ \ ^^§>^ f '^jP/^ 'l'ÊzS^i 1 Vienne, après quelques pourpar-

\ iris d'honneur, je quittai Issy- / / //// } ! P^/' / ImÉ? jLl J lers avec le gouvernement impé-

les-Moulineaux sur mon fidèle ^v / / I \m 6" / | j ^J^^Jjl^"8 * rial, j'obtins un laisser-passer en

monoplan Perdeniche (moteur ^ (Kj l^Qftr JsT^hd^i' onne et due forme.

A. C rotin, bougies Roze). 'ISIiï? J|( e^ ^ 1 Mais l'hiver approchait à grands

Je ne pus voir s'éloigner de mm "" , -pas. Le froid venu, mon moteur

le sol de ma patrie et la foule ne tarda pas à être grippé. Puis,

innombrable de mes admirateurs Je sable IHqnyadi-Jaijos. par contagion, je le fus moi-

sans verser des torrents de lar- même. De là, des retards consi-

mes. Chassées de côté par les vents impétueux, ces larmes' dérables.

commencèrent bientôt d'alourdir mes ailes. Après un quart Au milieu de la puszta hongroise, j'eus grand plaisir, dans la

d'heure de-vol, mon bon moteur, par sympathie sans doute, se compagnie des Magyars, à sabler l'liunyadi-jan<»s. J'espérais rat-

mit, lui aussi, a répandre des pleurs abondants et parfumes trâper le temps perdu, grâce aux vertus de ce breuvage qui,

comme en laissent quelquefois tomber les fromages bien faits. paraît-il, a la propriété de faire courir.

Sunt lacrymœ rerum. Je dus atterrir prés du Raincy. Je Hélas !... la fatalité veillait, tombe, par suite d'un faux mou-

démontai immédiatement mon appareil et je 1 expédiai à Reims veinent, dans un marais putride comme le Styx et noir comme

où, en moins de huit jours, des mécaniciens habiles le remirent lui, je dus employer toute ma provision d'essence à nettoyer

en état. mon joli costume d'aviateur. C'est dans un chai1 traîné par des

Après av >ir, durant ces huit jours, sablé joyeusement le cham- boeufs que, mon appareil et moi, nous atteignîmes la fronti ère

pagne, je quittai Reims sur mon fidèle monoplan Perdeniche serbe, à raison de 2 kilomètres à l'heure.

(moteur A. Crotin, bougies Ro-

\ t . .a .. , Ma traversée de 1 empire

ze). Le vent souillait dans mes ___ r

oreilles comme les Tritons dans

Ottoman.

leurs conques. Je buvais avec De la frontière serbe à Andri-

ivresse l'éther immense. Com- nople, sur le théâtre de la dou-

bien de temps?Dixminutes,peut- nière guerre, il ne me fut pas

être. Des gendarmes me firent permis de voler une seule fois,

signe d'atterrir et m'avertirent Ce n'est qu'aux portes de By-

que, dans l'intérêt de la défense zance, que je vois enfin lever

nationale, il était interdit de l'interdiction qui me retenait

survoler toute cette partie du ter- attaché à là terre,
ritoire jusqu'à la frontière. Immédiatement, je pique sur

Je démontai mon appareil et le Sérail. Quelle fortune est la

Les autorités militaires je l'expédiai à Pont-à-Mousson où mienne! Je vais pouvoir contem- Les autorités militaire'

aliemandes. ie ne tardai pas àLaller rejoindre, pler ce qu'aucun œil chrétien autrichiennes.