— Pourquoi te frapper?... Un petit mal de gorge : ton pauvre père n’en a pas souffert longtemps.
Dessin de M. Radiguet.
après la guerre. Dessin de P. Barbe.
LA PROFESSION IMPRÉVUE
En ce temps-là, Timoléon, pauvre hère, résolut de mourir. Il
décida qu’il se jetterait à l’eau.
L’eau? Quelle eau? Celle de la Seine, évidemment, encore
qu’elle soit nauséabonde, mais Timoléon habitait Paris et ses
moyens financiers lui interdisaient le moindre voyage au bord
de tout autre flot. Toutefois, quelle partie de ce fleuve, entre
Bercy et le Point-du-Jour, verrait Timoléon plonger?
Problème grave, perplexité cruelle qui retarda d’une semaine le
trépas de Timoléon. Il essaya en effet les trente et un ponts de
Paris, à raison de quatre ponts par jour. Il opta finalement pour
le Pont-Royal — à cause de ses opinions politiques.
Le jour qu’il devait se tuer, le temps était parfait. Un joli
temps de suicide. Pas de pluie, ce qui est triste; pas de soleil,
ce qui eût semblé ironique; mais un charmant petit brouil-
lard qui était un suaire vaporeux. Le fleuve à demi visible;
assez présent pour qu’on sache qu’on ne se fera pas de mal en
tombant; assez vague pour n’évoquer point
de pensées trop nettes. Un courant léger.
Pas trop de remous. Et un sergent de ville
à l’horizon, pour donner à l’événement
l’importance officielle qu’il convenait.
Un peu pâle, mais résolu, Timoléon fuma
le dernier cigare — un exquis mégot de
havane cueilli la veille à la terrasse du
Café de la Paix. La dernière bouffée. Un.
Deux. Trois. Timoléon prit son élan. Une
charmante pensée l’arrêta. Ne devait-il
pas laisser sur le parapet sa jaquette, qui
était encore décente et ferait les délices
de quelque malchanceux? Il l’enleva, la
plia soigneusement. Un. Deux. Trois. Ah!
qu’il est dur de quitter la vie, même quand
la vie ne vous est pas favorable ! Un. Deux.
Trois... Timoléon n’avait plus envie de
mourir.
A ce moment, un gros monsieur s’avança
sur le pont. Le courage de Timoléon devint
frénétique. Il déposa son melon sur sa ja-
quette, courut à l’autre trottoir et prit un
élan farouche. O influence du spectateur!
O misère de la volonté! etc... Timoléon
allait périr à la fleur — un peu fanée —
de son âge. Mais un cri! Et le gros mon-
sieur se précipita autant que son asthme le
lui permettait, juste à temps pour interrompre la courbe dange-
reuse que le buste de Timoléon faisait déjà par-dessus le
parapet.
Dialogue du gros monsieur et de Timoléon. « Malheureux !
que faites-vous? » Onomatopées, « Je veux mourir! » Phrases.
Banalités. Pleurs. Consolations. « Je veux mourir! »
Timoléon tenait infiniment à mourir, maintenant qu’il était
assuré qu’on ne le lui permettrait point. Et il trouva des mots
d’une belle misère et d’une atroce vérité. Il fut simple et pathé-
tique et il ponctuait ses périodes de gestes tragiques vers le
fleuve. Il fut si émouvant que le gros monsieur brusquement
boutonna son pardessus et dit : « Venez avec moi. »
« Où me conduit-il? » songeait Timoléon.
Il ne connaissait pas la grande âme de son sauveur. Ils s’arrê-
tèrent devant une maison de belle apparence. Ils gravirent un
escalier monumental au tapis moelleux. Et Timoléon se trouva
soudain dans un appartement comme il n’en avait jamais vu
qu’au cinéma. Tant de bonheur l’anéantit. Il battit l’air de
ses deux mains, poussa un cri et se pâma. Alors parut, dans
Le scandale s’étend... Il y a actuellement, dans le Jardin du Luxembourg, près de trois mille
voitures d’enfant qu’on nous a affirmé être abandonnées là depuis le mois d’août 1914, par suite du
départ des gouvernantes boches. Dessin de L. Kern.
Dessin de M. Radiguet.
après la guerre. Dessin de P. Barbe.
LA PROFESSION IMPRÉVUE
En ce temps-là, Timoléon, pauvre hère, résolut de mourir. Il
décida qu’il se jetterait à l’eau.
L’eau? Quelle eau? Celle de la Seine, évidemment, encore
qu’elle soit nauséabonde, mais Timoléon habitait Paris et ses
moyens financiers lui interdisaient le moindre voyage au bord
de tout autre flot. Toutefois, quelle partie de ce fleuve, entre
Bercy et le Point-du-Jour, verrait Timoléon plonger?
Problème grave, perplexité cruelle qui retarda d’une semaine le
trépas de Timoléon. Il essaya en effet les trente et un ponts de
Paris, à raison de quatre ponts par jour. Il opta finalement pour
le Pont-Royal — à cause de ses opinions politiques.
Le jour qu’il devait se tuer, le temps était parfait. Un joli
temps de suicide. Pas de pluie, ce qui est triste; pas de soleil,
ce qui eût semblé ironique; mais un charmant petit brouil-
lard qui était un suaire vaporeux. Le fleuve à demi visible;
assez présent pour qu’on sache qu’on ne se fera pas de mal en
tombant; assez vague pour n’évoquer point
de pensées trop nettes. Un courant léger.
Pas trop de remous. Et un sergent de ville
à l’horizon, pour donner à l’événement
l’importance officielle qu’il convenait.
Un peu pâle, mais résolu, Timoléon fuma
le dernier cigare — un exquis mégot de
havane cueilli la veille à la terrasse du
Café de la Paix. La dernière bouffée. Un.
Deux. Trois. Timoléon prit son élan. Une
charmante pensée l’arrêta. Ne devait-il
pas laisser sur le parapet sa jaquette, qui
était encore décente et ferait les délices
de quelque malchanceux? Il l’enleva, la
plia soigneusement. Un. Deux. Trois. Ah!
qu’il est dur de quitter la vie, même quand
la vie ne vous est pas favorable ! Un. Deux.
Trois... Timoléon n’avait plus envie de
mourir.
A ce moment, un gros monsieur s’avança
sur le pont. Le courage de Timoléon devint
frénétique. Il déposa son melon sur sa ja-
quette, courut à l’autre trottoir et prit un
élan farouche. O influence du spectateur!
O misère de la volonté! etc... Timoléon
allait périr à la fleur — un peu fanée —
de son âge. Mais un cri! Et le gros mon-
sieur se précipita autant que son asthme le
lui permettait, juste à temps pour interrompre la courbe dange-
reuse que le buste de Timoléon faisait déjà par-dessus le
parapet.
Dialogue du gros monsieur et de Timoléon. « Malheureux !
que faites-vous? » Onomatopées, « Je veux mourir! » Phrases.
Banalités. Pleurs. Consolations. « Je veux mourir! »
Timoléon tenait infiniment à mourir, maintenant qu’il était
assuré qu’on ne le lui permettrait point. Et il trouva des mots
d’une belle misère et d’une atroce vérité. Il fut simple et pathé-
tique et il ponctuait ses périodes de gestes tragiques vers le
fleuve. Il fut si émouvant que le gros monsieur brusquement
boutonna son pardessus et dit : « Venez avec moi. »
« Où me conduit-il? » songeait Timoléon.
Il ne connaissait pas la grande âme de son sauveur. Ils s’arrê-
tèrent devant une maison de belle apparence. Ils gravirent un
escalier monumental au tapis moelleux. Et Timoléon se trouva
soudain dans un appartement comme il n’en avait jamais vu
qu’au cinéma. Tant de bonheur l’anéantit. Il battit l’air de
ses deux mains, poussa un cri et se pâma. Alors parut, dans
Le scandale s’étend... Il y a actuellement, dans le Jardin du Luxembourg, près de trois mille
voitures d’enfant qu’on nous a affirmé être abandonnées là depuis le mois d’août 1914, par suite du
départ des gouvernantes boches. Dessin de L. Kern.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Les consolations du Kronprinz; Déta!; La crise des transports
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le rire rouge: édition de guerre du journal le rire
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1916
Entstehungsdatum (normiert)
1911 - 1921
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire rouge, 1916, No. 62 (22 Janvier 1916), S. 8
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg