TACTIQUE IMPÉRIALE
Si après ça les Boches ne l’appellent pas le « Père du peuple »!...
LE RIRE DE LA SEMAINE
Tel que vous me voyez, ou tel que vous ne me voyez pas, je
donnerais volontiers quelque chose de mes économies, d'ailleurs
absentes, pour passer cinq minutes dans le cerveau du kaiser...
Le temps d’y prendre de la joie pour le reste de ma vie... Mais,
pas de blagues ! Je dis cinq minutes, et pas une de plus !
C’est que ce cerveau-là, comme l’on dit en style un peu fami-
lier, ne doit pas être précisément « à la rigolade ». Pensez donc!
C’est un des rares cerveaux de l’Empire qui soient fixés et qui
sachent par conséquent qu’il n’y a pas de quoi rire. Il est rempli
jusqu’à la voûte crânienne de réalités sinistres, de pressenti-
ments lugubres, d’actualités tragiques et de prévisions plus épou-
vantables encore, ce qui constitue de lamentables conditions
pour passer de bonnes nuits, et même de supportables journées.
Quand on songe que toutes ces ho?reurs ont été déchaînées
par un ordre de ce cerveau, que tous ces ruisseaux de sang et de
larmes y ont leur source, quel plaisir ne serait-ce pas d’assister
au bouillonnement, dans la marmite de ce crâne, de tous ces
cauchemars, de toutes ces hantises, de toutes ces hallucinations,
de toutes ces déceptions; au chavirement de l’orgueil immense
et des prétentions fantastiques! Ah! comme le diable, qui doit
avoir dans ces replis cérébraux ses grandes et ses petites entrées,
doit jubiler ! Et quel film on ferait, puisque les mystères sont si
fort à la mode au cinématographe, avec les Mystères d'un cer-
ceau impérial ou le Remords qui étreint!
Le kaiser est certainement l’homme qui, depuis que le monde
est monde, a gâché la plus belle situation. Son cas est assimi-
lable, de loin, à celui des financiers multi-millionnaires qui,
frappés de folie des grandeurs, se sont embarqués dans de mau-
vaises affaires et ont lamentablement fait faillite.
Quel tableau digne de l’enfer de Dante lorsque, la nuit, il
s’asseoit, moite et nerveux, sur son lit, obsédé par tant d’images
et d’angoisses, et entame avec l’impératrice accourue des propos
dénués de gaîté ;
— Je ne peux pas fermer l’œil... L’agence Wolf a beau dire,
ça ne va pas...
— Pourtant, on se bat...
On se bat surtout... les flancs!... Qui aurait jamais pensé
en juillet 1914 que ça tournerait si mal? Quelle fichue idée
j ai eue d écouter tous ces arrivistes qui voulaient pêcher des
croix de fer, des grades, des titres et des bâtons de maréchaux
en sang trouble?... Encore quelques années et nous bouffions la
France, et sans doute l’Europe, sans compter l’Amérique, en
douceur... Mais non! Ils étaient pressés, et comme il leur fallait
du sang, ils m’ont obligé à mettre les bouchers doubles ! Il est
vrai que c’est la première fois que l’on voit des moutons se
rebiffer contre les tueurs des abattoirs !... Ces Belges! Qui aurait
pensé?... Et ces Anglais, de quoi ça s’est-il mêlé? Et ces Ita-
liens! .. Et ces Russes, qui nous enlèvent Erzeroum, là-bas, au
tonnerre de Gott!... Jusqu’à ces Serbes, dont cent-trente cinq mille
retombent sur leurs pattes, et qui se retapent chez nous, dans
nos meubles, à Corfou!
— Tu me fais peur, Guillaume!... Tu crois la situation de la
Deutschland si compromise?
— La Deutschland! Elle se débrouillera toujours, parbleu, la
Deutschland, avec le temps! C’est une grande cage à lapins.
Dans cinquante ans elle aura refait assez i'e petits Boches pour
aller replacer toute notre camelote dans l’univers entier... C’est
notre situation à nous qui m’inquiète, c’est notre avenir particu-
lier qui m’apparaît lugubre comme un intérieur de style muni-
chois!... Tout dépendra des dispositions du peuple à notre égard
après la guerre — quand il saura !... Si, par impossible, enfin défa-
natisé, il me rendait responsable des millions de morts et de la
ruine du pays, nous n’aurions plus qu’à faire nos paquets et à
filer... Mais comment réaliserais-je ma galette?
— Il te faudra une carte de pain.
— Mais non, ma galette cela signifie, en argot de Paris, mon
argent, mon or, mes fonds, mes valeurs... Quand je pense que
j'ai eu la bêtise de déposer avant la guerre 25 millions dans une
banque du Canada, et 5 millions en France, à Paris!
— A Paris? Tu étais fou?
— Mais non!... Je pensais venir y toucher mes coupons en
septembre... Tu te rappelles bien, le diner était commandé... Au
lieu de ça, pan! en plein dans la Marne!
— Ne m’en parle pas, c’est comme si j’y étais!... Enfin s’il
faut nous en aller, où irons-nous?
— Ich weis nicht!
— Ferdinand-le-Long-Blaire nous recevra bien à Sofia.
— Oh ! certainement... mais pour nous livrer!
Tu iras chez les Turcs! comme disait Rostand à Antoine,
— Oh! les Turcs!... Ne nous empalons pasl
Si après ça les Boches ne l’appellent pas le « Père du peuple »!...
LE RIRE DE LA SEMAINE
Tel que vous me voyez, ou tel que vous ne me voyez pas, je
donnerais volontiers quelque chose de mes économies, d'ailleurs
absentes, pour passer cinq minutes dans le cerveau du kaiser...
Le temps d’y prendre de la joie pour le reste de ma vie... Mais,
pas de blagues ! Je dis cinq minutes, et pas une de plus !
C’est que ce cerveau-là, comme l’on dit en style un peu fami-
lier, ne doit pas être précisément « à la rigolade ». Pensez donc!
C’est un des rares cerveaux de l’Empire qui soient fixés et qui
sachent par conséquent qu’il n’y a pas de quoi rire. Il est rempli
jusqu’à la voûte crânienne de réalités sinistres, de pressenti-
ments lugubres, d’actualités tragiques et de prévisions plus épou-
vantables encore, ce qui constitue de lamentables conditions
pour passer de bonnes nuits, et même de supportables journées.
Quand on songe que toutes ces ho?reurs ont été déchaînées
par un ordre de ce cerveau, que tous ces ruisseaux de sang et de
larmes y ont leur source, quel plaisir ne serait-ce pas d’assister
au bouillonnement, dans la marmite de ce crâne, de tous ces
cauchemars, de toutes ces hantises, de toutes ces hallucinations,
de toutes ces déceptions; au chavirement de l’orgueil immense
et des prétentions fantastiques! Ah! comme le diable, qui doit
avoir dans ces replis cérébraux ses grandes et ses petites entrées,
doit jubiler ! Et quel film on ferait, puisque les mystères sont si
fort à la mode au cinématographe, avec les Mystères d'un cer-
ceau impérial ou le Remords qui étreint!
Le kaiser est certainement l’homme qui, depuis que le monde
est monde, a gâché la plus belle situation. Son cas est assimi-
lable, de loin, à celui des financiers multi-millionnaires qui,
frappés de folie des grandeurs, se sont embarqués dans de mau-
vaises affaires et ont lamentablement fait faillite.
Quel tableau digne de l’enfer de Dante lorsque, la nuit, il
s’asseoit, moite et nerveux, sur son lit, obsédé par tant d’images
et d’angoisses, et entame avec l’impératrice accourue des propos
dénués de gaîté ;
— Je ne peux pas fermer l’œil... L’agence Wolf a beau dire,
ça ne va pas...
— Pourtant, on se bat...
On se bat surtout... les flancs!... Qui aurait jamais pensé
en juillet 1914 que ça tournerait si mal? Quelle fichue idée
j ai eue d écouter tous ces arrivistes qui voulaient pêcher des
croix de fer, des grades, des titres et des bâtons de maréchaux
en sang trouble?... Encore quelques années et nous bouffions la
France, et sans doute l’Europe, sans compter l’Amérique, en
douceur... Mais non! Ils étaient pressés, et comme il leur fallait
du sang, ils m’ont obligé à mettre les bouchers doubles ! Il est
vrai que c’est la première fois que l’on voit des moutons se
rebiffer contre les tueurs des abattoirs !... Ces Belges! Qui aurait
pensé?... Et ces Anglais, de quoi ça s’est-il mêlé? Et ces Ita-
liens! .. Et ces Russes, qui nous enlèvent Erzeroum, là-bas, au
tonnerre de Gott!... Jusqu’à ces Serbes, dont cent-trente cinq mille
retombent sur leurs pattes, et qui se retapent chez nous, dans
nos meubles, à Corfou!
— Tu me fais peur, Guillaume!... Tu crois la situation de la
Deutschland si compromise?
— La Deutschland! Elle se débrouillera toujours, parbleu, la
Deutschland, avec le temps! C’est une grande cage à lapins.
Dans cinquante ans elle aura refait assez i'e petits Boches pour
aller replacer toute notre camelote dans l’univers entier... C’est
notre situation à nous qui m’inquiète, c’est notre avenir particu-
lier qui m’apparaît lugubre comme un intérieur de style muni-
chois!... Tout dépendra des dispositions du peuple à notre égard
après la guerre — quand il saura !... Si, par impossible, enfin défa-
natisé, il me rendait responsable des millions de morts et de la
ruine du pays, nous n’aurions plus qu’à faire nos paquets et à
filer... Mais comment réaliserais-je ma galette?
— Il te faudra une carte de pain.
— Mais non, ma galette cela signifie, en argot de Paris, mon
argent, mon or, mes fonds, mes valeurs... Quand je pense que
j'ai eu la bêtise de déposer avant la guerre 25 millions dans une
banque du Canada, et 5 millions en France, à Paris!
— A Paris? Tu étais fou?
— Mais non!... Je pensais venir y toucher mes coupons en
septembre... Tu te rappelles bien, le diner était commandé... Au
lieu de ça, pan! en plein dans la Marne!
— Ne m’en parle pas, c’est comme si j’y étais!... Enfin s’il
faut nous en aller, où irons-nous?
— Ich weis nicht!
— Ferdinand-le-Long-Blaire nous recevra bien à Sofia.
— Oh ! certainement... mais pour nous livrer!
Tu iras chez les Turcs! comme disait Rostand à Antoine,
— Oh! les Turcs!... Ne nous empalons pasl
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Tactique imériale
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le rire rouge: édition de guerre du journal le rire
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Objektbeschreibung
Bildunterschrift: Tactique imériale. Si après ça les Boches ne l'appellent pas le "Père du peuple"!...
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1916
Entstehungsdatum (normiert)
1911 - 1921
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
Public Domain Mark 1.0
Creditline
Le rire rouge, 1916, No. 69 (11 Mars 1916), S. 3
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg