274 L'ART.
autres1, travaillant peut-être dans les intervalles à cette Peste de Tournai qui sera, dit-on,
l'expression définitive de son talent. Leys n'avait plus que peu d'années à vivre, et tandis
que tout un groupe de peintres anversois se traînait à sa suite, pastichant ses pastiches, mais
sans réussir à évoquer comme lui Pâme de ce xvie siècle dont il possédait si intimement le
caractère, la plupart des peintres belges demandaient conseil à la France, à ses paysagistes, à
ses réalistes et même à ses maniéristes. La vogue était principalement au paysage. La peinture
historique semblait à jamais finie. On juge de la surprise le jour où Ton s'aperçut qu'elle n'était
pas morte. Rompant en visière aux trivialités que ne légitimait pas toujours le talent de ceux
qui faisaient profession de s'en inspirer exclusivement, un jeune homme s'avisait de dire à cette
délaissée : Réveillez-vous, belle endormie. On fut charmé autant qu'étonné. Tout n'est qu'action
et réaction dans le goût comme dans la vie. On était sur le point de se fatiguer du naturalisme.
Ce retour aux anciens motifs avait l'attrait du fruit nouveau, et l'on y mordait avec un tel entrain
dans la reconnaissance que pour un peu l'on eût salué en M. Emile Wauters le Messie du grand
art régénéré.
On n'obtient pas de tels succès sans de sérieuses raisons. M. Wauters sait tout ce qu'on
peut savoir ; il peint aussi bien que personne et compose avec beaucoup d'intelligence, il voit
juste et s'attache consciencieusement à affirmer les caractères de ses personnages. Ses figures ne
sont pas inventées au hasard. Presque toutes sont des portraits, mais des portraits choisis parmi
les types qui s'harmonisent le mieux avec les épisodes qu'il raconte; — tels les échevins de
Gand et de Bruxelles dans les deux tableaux dont Marie de Bourgogne est l'héroïne; ■— et il est
remarquable que ces tètes étudiées sur nature paraissent aussi ressemblantes dans ces restitutions
historiques que dans la réalité. Le moine, qui compte sur la musique pour guérir la folie du
peintre Van der Goes, recueilli au couvent de la Cambre, et qui tout en battant la mesure
guette les effets de sa médication orchestrale et chorale, ce moine est admirablement compris et
très-vivant ; les enfants, chanteurs et joueurs de luth, sont charmants de naturel, très à leur
affaire, et d'une exécution élégante et pittoresque ; l'égarement du fou est marqué avec goût,
avec assez de netteté pour qu'il soit impossible de s'y méprendre, avec assez de discrétion pour
observer la distance entre la peinture et la clinique ; il se livre dans cette âme de fou un combat
terrible dont on suit toutes les péripéties sur ce visage amaigri, ravagé, combat entre la raison
prisonnière d'un cerveau malade et l'instinct qui, surexcité par le charme sensuel de la musique,
s'efforce de la délivrer. Depuis six ans, ce tableau n'a pas démérité des applaudissements qui
éclataient à son apparition, et elles ne sont pas si nombreuses que cela les peintures du genre
historique auxquelles six années n'enlèvent rien de leur valeur. Mieux placé au Champ-de-Mars
qu'aux Champs-Elysées, le serment de Marie de Bourgogne paraissait avoir gagné depuis l'an
dernier. L'ordonnance en est un peu froide, mais noble, solennelle, comme il convient à une
cérémonie officielle ; les personnages ont toute la dignité de leur rôle, et la tête de la jeune
souveraine est d'une candeur heureusement trouvée. En somme les tableaux de M. Wauters font
le plus grand honneur à ce jeune maître, et lui-même fait le plus grand honneur à son pays.
Sa peinture est loyale, savante et sage, parfois même un peu trop sage peut-être ; il n'y manque
guère qu'une nuance d'emportement et de chaleur, mais qui sait si elle ne s'échauffera pas dans
la fournaise parisienne où M. .Wauters, d'après ce qu'on nous rapporte, se propose de se jeter
bientôt, avec une confiance justifiée par le talent et encouragée par le succès.
L'école d'Anvers entendait, paraît-il, disputer la médaille d'honneur à MM. Stevens et
Wauters. 11 est bon de compter sur soi-même et sur les siens, mais cette fois les espérances
anversoises attestaient plus de patriotisme que de flair artistique. Ce n'est pas que le principal
tenant de l'école d'Anvers ne méritât d'être pris au sérieux, bien au contraire, et chacun a
applaudi à sa première médaille. M. Charles Verlat n'a qu'un défaut ; il a trop de talent. Certes
on ne lui reprochera pas, à lui, de se confiner dans une spécialité. Sa spécialité consiste à n'en
i. Voir dans l'Art, }e année, tome II, pages s85 et 187, les dessins de l'artiste d'après deux de ses portraits historiques pour la salle des
séances du sénat belge.
autres1, travaillant peut-être dans les intervalles à cette Peste de Tournai qui sera, dit-on,
l'expression définitive de son talent. Leys n'avait plus que peu d'années à vivre, et tandis
que tout un groupe de peintres anversois se traînait à sa suite, pastichant ses pastiches, mais
sans réussir à évoquer comme lui Pâme de ce xvie siècle dont il possédait si intimement le
caractère, la plupart des peintres belges demandaient conseil à la France, à ses paysagistes, à
ses réalistes et même à ses maniéristes. La vogue était principalement au paysage. La peinture
historique semblait à jamais finie. On juge de la surprise le jour où Ton s'aperçut qu'elle n'était
pas morte. Rompant en visière aux trivialités que ne légitimait pas toujours le talent de ceux
qui faisaient profession de s'en inspirer exclusivement, un jeune homme s'avisait de dire à cette
délaissée : Réveillez-vous, belle endormie. On fut charmé autant qu'étonné. Tout n'est qu'action
et réaction dans le goût comme dans la vie. On était sur le point de se fatiguer du naturalisme.
Ce retour aux anciens motifs avait l'attrait du fruit nouveau, et l'on y mordait avec un tel entrain
dans la reconnaissance que pour un peu l'on eût salué en M. Emile Wauters le Messie du grand
art régénéré.
On n'obtient pas de tels succès sans de sérieuses raisons. M. Wauters sait tout ce qu'on
peut savoir ; il peint aussi bien que personne et compose avec beaucoup d'intelligence, il voit
juste et s'attache consciencieusement à affirmer les caractères de ses personnages. Ses figures ne
sont pas inventées au hasard. Presque toutes sont des portraits, mais des portraits choisis parmi
les types qui s'harmonisent le mieux avec les épisodes qu'il raconte; — tels les échevins de
Gand et de Bruxelles dans les deux tableaux dont Marie de Bourgogne est l'héroïne; ■— et il est
remarquable que ces tètes étudiées sur nature paraissent aussi ressemblantes dans ces restitutions
historiques que dans la réalité. Le moine, qui compte sur la musique pour guérir la folie du
peintre Van der Goes, recueilli au couvent de la Cambre, et qui tout en battant la mesure
guette les effets de sa médication orchestrale et chorale, ce moine est admirablement compris et
très-vivant ; les enfants, chanteurs et joueurs de luth, sont charmants de naturel, très à leur
affaire, et d'une exécution élégante et pittoresque ; l'égarement du fou est marqué avec goût,
avec assez de netteté pour qu'il soit impossible de s'y méprendre, avec assez de discrétion pour
observer la distance entre la peinture et la clinique ; il se livre dans cette âme de fou un combat
terrible dont on suit toutes les péripéties sur ce visage amaigri, ravagé, combat entre la raison
prisonnière d'un cerveau malade et l'instinct qui, surexcité par le charme sensuel de la musique,
s'efforce de la délivrer. Depuis six ans, ce tableau n'a pas démérité des applaudissements qui
éclataient à son apparition, et elles ne sont pas si nombreuses que cela les peintures du genre
historique auxquelles six années n'enlèvent rien de leur valeur. Mieux placé au Champ-de-Mars
qu'aux Champs-Elysées, le serment de Marie de Bourgogne paraissait avoir gagné depuis l'an
dernier. L'ordonnance en est un peu froide, mais noble, solennelle, comme il convient à une
cérémonie officielle ; les personnages ont toute la dignité de leur rôle, et la tête de la jeune
souveraine est d'une candeur heureusement trouvée. En somme les tableaux de M. Wauters font
le plus grand honneur à ce jeune maître, et lui-même fait le plus grand honneur à son pays.
Sa peinture est loyale, savante et sage, parfois même un peu trop sage peut-être ; il n'y manque
guère qu'une nuance d'emportement et de chaleur, mais qui sait si elle ne s'échauffera pas dans
la fournaise parisienne où M. .Wauters, d'après ce qu'on nous rapporte, se propose de se jeter
bientôt, avec une confiance justifiée par le talent et encouragée par le succès.
L'école d'Anvers entendait, paraît-il, disputer la médaille d'honneur à MM. Stevens et
Wauters. 11 est bon de compter sur soi-même et sur les siens, mais cette fois les espérances
anversoises attestaient plus de patriotisme que de flair artistique. Ce n'est pas que le principal
tenant de l'école d'Anvers ne méritât d'être pris au sérieux, bien au contraire, et chacun a
applaudi à sa première médaille. M. Charles Verlat n'a qu'un défaut ; il a trop de talent. Certes
on ne lui reprochera pas, à lui, de se confiner dans une spécialité. Sa spécialité consiste à n'en
i. Voir dans l'Art, }e année, tome II, pages s85 et 187, les dessins de l'artiste d'après deux de ses portraits historiques pour la salle des
séances du sénat belge.