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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 8.1882 (Teil 2)

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Chesneau, Ernest: Eugène Delacroix, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.19459#0085
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L'ART.

aussi « les petits maîtres du Nord ») sont plus et mieux que des peintres, des voyants ; ils ont les
dons si précieux de leur race, l'intelligence, la clarté, la variété, l'enjouement. En outre, ils ont su
être sincères, sinon toujours vrais, et, sans pédantisme, faire une prodigieuse dépense de talent.

Avant eux, quels sont les maîtres vraiment français ? Au xvic siècle, la tradition flamande
essaie bien de se franciser avec les Clouet; mais c'est avec les frères Le Nain qu'apparaît
la première lueur d'un art national, qui ne dût rien à la triple tradition de l'Antiquité, du
Moyen-Age ou de la Renaissance. Sauf ces exceptions restées si obscures, l'école se fait tout
italienne, toute florentine. Au xvne siècle, Le Sueur seul est français et dans une expression
restreinte de son art, dans sa Vie de saint Bruno ; tout le reste de son œuvre est romain, romain
comme l'œuvre entier de Poussin dont le génie s'épuise à effacer en lui toute trace de sa natio-
nalité. Si l'empreinte française résiste aux efforts du philosophe des Andelys, c'est à son insu et
comme malgré lui. Les grandes renommées du xvne siècle après Poussin : Le Brun, Mignard,
Jouvenet, se perdent dans l'imitation emphatique, dans la convention lourde et pompeuse, où
aboutit le mouvement si original et si grand de la Renaissance en Italie.

De ces mains habiles et solennellement ennuyeuses, l'art monte tout à coup aux mains de
Watteau, Boucher, Fragonard, Chardin, Prud'hon, Greuze, etc. Ils se succèdent l'un à l'autre, se
partagent le dernier siècle et, en dépit des Lagrenée, qui conservent la tradition immobilisée,
glacée, ce sont eux, ces petits maîtres, qui fondent l'école française, et font la gloire de leur
époque.

Ils ont eu double mérite. Comme peintres, ils sont revenus à l'étude directe des beautés
naturelles, saisies dans la pleine lumière du soleil ; comme artistes, c'est-à-dire au point de vue
de la conception, ils ont renoncé à la mythomanie du grand siècle ; ils ont relégué au magasin
d'accessoires toute la friperie mythologique, tous les mannequins héroïques qui trompèrent tant
de gens et firent considérer comme de grands artistes des metteurs en œuvre qui n'étaient que
d'habiles ouvriers en marqueterie pittoresque. Tant de fantaisie, d'éclat, d'imprévu, tant de songes
ailés sous la brosse de Watteau, tant de grâce chez Boucher, chez Fragonard, tant de finesse et
d'esprit chez les Saint-Aubin, chez les vignettistes ; tant de volupté chez Clodion, tant de vérité,
de pénétration chez La Tour, tant de science enfin et tant d'honnêteté, de force, de grandeur,
sous une apparente simplicité, dans le talent de Chardin, ne purent sauver l'école française. Elle
abusa de la liberté conquise jusqu'à la licence et la main brutale du plus froid des maîtres
éteignit le soleil dans les arts, éteignit toute vie, tout rayon, toute vérité, toute passion en
peinture et par extension dans tous les arts. Tout ce qui exige du goût, jusqu'au mobilier, jusqu'à
la mode, devint pétrifiant d'ennui sous l'influence de David. Et cependant une page digne d'un
maître, dans l'œuvre de David, son Marat assassiné, sinistre héros d'une belle peinture, aurait dû
suffire pour convertir l'artiste à la seule théorie vraie en fait d'art : la passion.

Et c'est là ce qu'avaient les artistes du xvni0 siècle : ils croyaient à quelque chose, ils
croyaient au plaisir, ils voulaient le traduire et, sous toutes les faces, le représenter ; ils avaient
une passion, celle de la grâce élégante, de tout ce qui est aimable, charmant, de tout ce qui
sied, fait ressortir et encadre les séductions de la forme. Sans doute, un peuple artiste peut avoir
une passion plus noble, celle-ci suffit cependant à créer tout un art. Et le plaisir lui-même
n'a-t-il pas sa grandeur et sa moralité? L'art du plaisir est-il un art frivole? On l'a dit. Mais
qui dit cela ? Le très suspect puritanisme des mystiques iconoclastes qui condamnent l'art,
même le plus élevé, comme un plaisir. Tous les grands civilisateurs pourtant ont affirmé la
grandiose importance des arts et des enchantements qu'ils suscitent, ils ont préconisé l'utilité
sociale et la nécessité humaine des jeux, des fêtes, du plaisir.

Dans la vie sérieuse des affaires, dans l'amertume, clans l'étonnante et constante tristesse des
temps, ces délicatesses, ces gaietés, ces voluptés mettent un rayon de lumière qui illumine les
sévérités, les soucis et les ombres de l'heure présente. Elles s'associent à merveille aux mouve-
ments graves et puissants de la philosophie des empires, comme aux profondes ironies de la
politique.

Il y a chez l'homme une singulière noblesse à vouloir et à savoir orner de cette façon
 
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