L'ART DÉCORATIF
Parlant dans un article précédent des tapis com-
posés par M. de Feure pour l'Art Nouveau Bing,
j'ai tâché de faire ressortir la fertilité d'imagination
et la personnalité de ces compositions; de montrer
l'inattendu de la manière dont le décor floral
et l'arabesque s'y combinent; d'indiquer que M.
de Feure, abordant l'objet pour la première fois,
s'est révélé du premier coup non-seulement apte
à cet art, mais inventeur puissant. Les idées
G. DE FEURE CHAISE DU CAB. DE TOILETTE
de M. de Feure sont à lui, elles ne dérivent
pas de celles d'autres; il n'en a pas — comme
tant d'autres — qu'une seule qu'il présente sous
mille formes, mais plutôt au contraire un pléthore
que sa tâche dans la suite sera surtout de
discipliner.
Voyez, par exemple, pour ne prendre qu'un
détail, les poignées de tiroir de l'armoire. Pourriez-
vous imaginer rien de plus réellement neuf,
rien de plus « non encore vu » que cela ? De
l'artiste qui ht cette toute petite chose, on peut
en attendre de grandes.
L'art de M. de Feure ne se pique pas d'austérité ;
il n'est pas destiné aux pasteurs genevois. Fon-
cièrement français, il s'adresse à la femme plutôt
qu'à l'homme. Il connaît les préférences de la
femme pour le fleuri, la joliesse, les petites
douceurs, la sucrerie; il sait la dose de tout
cela qui sufht à ses contentements enfantins sans
tomber dans la fadasserie. A ce point de vue,
il est très-savant, l'art de M. de Feure ! et cette
science capitale lui assure les symphathies de la
plus belle moitié de la France; c'est-à-dire de
toute la France, puisque ce que femme veut . . .
l'homme aime mieux le vouloir aussi qu'ahronter
les orages de la résistance.
Complétons nos images par une brève expli-
cation. Dans le boudoir, les sièges et les meubles
sont dorés, un or pas fade, pas bronzé non plus.
Les tentures murales en tissu de soie broché.
Les couvertures de siège en tapisserie au point
hn, exécutée par Anaïs Fabre. La grande
fenêtre (non visible sur l'image) vitraillée en
verre blanc, motifs mauve clair et jaune.
La cheminée, en stuc parahné au Pavillon,
serait en marbre blanc un peu gras dans
l'exécution définitive (on remarquera comme
le dessin décoratif de cette cheminée abandonne
résolument celui des meubles pour se faire
originalement architectural).
Dans le cabinet de toilette, les tentures en
tissu de soie brochée, où domine un vert d'eau
très-atténué. Les meubles en frêne ordinaire pour
la charpente, en frêne hn de Hongrie, à veines
annulaires très-serrées pour les panneaux. Les
sièges couverts en drap gris très-clair, avec la
touffe de roses brodée. Les poignées des portes
et tiroirs en fer nickelé, puis patiné gris. Le
dos de toilette en plaques de pâte de verre.
Il y a mille détails de sculpture charmants
dans la composition de M. de Feure, et surtout,
empreints de sa personnalité. Que tout cela
manque un peu d'unité, qu'il reste par ci par
là des traces de formules devenues banales, en
un mot, que celà ne soit pas encore tout à fait
«mis au point», on ne peut le nier. Mais c'est
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Parlant dans un article précédent des tapis com-
posés par M. de Feure pour l'Art Nouveau Bing,
j'ai tâché de faire ressortir la fertilité d'imagination
et la personnalité de ces compositions; de montrer
l'inattendu de la manière dont le décor floral
et l'arabesque s'y combinent; d'indiquer que M.
de Feure, abordant l'objet pour la première fois,
s'est révélé du premier coup non-seulement apte
à cet art, mais inventeur puissant. Les idées
G. DE FEURE CHAISE DU CAB. DE TOILETTE
de M. de Feure sont à lui, elles ne dérivent
pas de celles d'autres; il n'en a pas — comme
tant d'autres — qu'une seule qu'il présente sous
mille formes, mais plutôt au contraire un pléthore
que sa tâche dans la suite sera surtout de
discipliner.
Voyez, par exemple, pour ne prendre qu'un
détail, les poignées de tiroir de l'armoire. Pourriez-
vous imaginer rien de plus réellement neuf,
rien de plus « non encore vu » que cela ? De
l'artiste qui ht cette toute petite chose, on peut
en attendre de grandes.
L'art de M. de Feure ne se pique pas d'austérité ;
il n'est pas destiné aux pasteurs genevois. Fon-
cièrement français, il s'adresse à la femme plutôt
qu'à l'homme. Il connaît les préférences de la
femme pour le fleuri, la joliesse, les petites
douceurs, la sucrerie; il sait la dose de tout
cela qui sufht à ses contentements enfantins sans
tomber dans la fadasserie. A ce point de vue,
il est très-savant, l'art de M. de Feure ! et cette
science capitale lui assure les symphathies de la
plus belle moitié de la France; c'est-à-dire de
toute la France, puisque ce que femme veut . . .
l'homme aime mieux le vouloir aussi qu'ahronter
les orages de la résistance.
Complétons nos images par une brève expli-
cation. Dans le boudoir, les sièges et les meubles
sont dorés, un or pas fade, pas bronzé non plus.
Les tentures murales en tissu de soie broché.
Les couvertures de siège en tapisserie au point
hn, exécutée par Anaïs Fabre. La grande
fenêtre (non visible sur l'image) vitraillée en
verre blanc, motifs mauve clair et jaune.
La cheminée, en stuc parahné au Pavillon,
serait en marbre blanc un peu gras dans
l'exécution définitive (on remarquera comme
le dessin décoratif de cette cheminée abandonne
résolument celui des meubles pour se faire
originalement architectural).
Dans le cabinet de toilette, les tentures en
tissu de soie brochée, où domine un vert d'eau
très-atténué. Les meubles en frêne ordinaire pour
la charpente, en frêne hn de Hongrie, à veines
annulaires très-serrées pour les panneaux. Les
sièges couverts en drap gris très-clair, avec la
touffe de roses brodée. Les poignées des portes
et tiroirs en fer nickelé, puis patiné gris. Le
dos de toilette en plaques de pâte de verre.
Il y a mille détails de sculpture charmants
dans la composition de M. de Feure, et surtout,
empreints de sa personnalité. Que tout cela
manque un peu d'unité, qu'il reste par ci par
là des traces de formules devenues banales, en
un mot, que celà ne soit pas encore tout à fait
«mis au point», on ne peut le nier. Mais c'est
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