L'ART DÉCORATIF
âur-ajoutées à des étoffes vides, et dessinées avec
le souci du joli sans appartenir aux modèies.
Les mains de la Cc/M/wg à /a Aosg, ou celle du
récent portrait ici reproduit qui laisse si pure-
ment se dëclore une fleur au long de la hanche
cambrée, sont des portraits au même titre que
les visages. L'aristocratie d'âme du contempla-
tif Espagnol s'y décèle tout entière. On pour-
rait, si l'on se plaçait au point de vue sociolo-
gique, dire qu'il déploie un talent inouï pour
susciter, lui dernier peut-être, toute l'efflores-
cence des formes de la caste jadis régnante avant
sa disparition définitive.
La Gandara a peint aussi quelques portraits
d'hommes. Je rappelle celui d'Edouard Conte
comme une très belle œuvre moderniste, pleine
de science et de force, dont la redingote noire
est à elle seule un admirable morceau de pein-
ture, rappelant les plus nobles choses d'Elie
Delaunay. Le portrait de Paul Escudier, traité
dans une manière précieuse, associée à la pres-
tance moyenne et svelte, à la physionomie
K Henri IH )) du modèle, était une symphonie
subtile de noirs, moins largement conçue que
les autres œuvres de l'artiste, mais où certains
détails, telle la main gantée de gris perle,
restaient inimitables. Mais la Gandara est et
restera avant tout un historiographe de la
femme élégante de ce temps. C'est par le portrait
qu'un peintre demeure le plus sûrement peut-
être, devant un avenir où les plus curieuses
conceptions idéologiques s'effacent et devien-
nent sans force en présence des nouvelles
apparitions de symboles reflétant le rêve de
l'humanité en marche. Un portrait de la
Gandara demeurera un document complet. 11
dira la mode d'un temps, la stylisation d'un
corps et par là même, sans doute, de tous les
corps de la même caste à son époque, il dira la
pensée de la femme, son degré d'inquiétude et
de réticence, et on verra le reflet de toute une
existence morale momentanée aux prunelles
intensément comprises et fixées par le sagace
artiste épris d'harmonies intellectuelles. Enfin,
l'artiste lui-même s'est réservé d'énoncer ses
goûts et ses préférences en quelques paysages
adjacents à ses effigies On sut de lui jadis des
natures-mortes dont l'exécution était magis-
trale. H s'est contenté de se promener dans le
Luxembourg, voisin de son calme atelier de la
rue Monsieur-le-Prince, simple, gris, meublé à
peine des belles formes de quelques meubles
Empire, et il a trouvé là une continuité de son
rêve élégant, racé et familier. 11 note au pastel
la candeur d'un vase et d'un piédestal dans le
demi-jour glauque versé par les marronniers.
Il peint une charmille, un bassin à jet d'eau,
une pelouse où trône un massif de fleurs vives,
un groupe de robes claires assises à l'ombre
comme des corbeilles — et de tout cela il fait
de nouveaux thèmes à son coloris frêle et
profond, un peu crépusculaire, et invinciblement
mêlé de mystère et de luxe. Lithographe, il
remonte à la tradition de Fragonard et de
Moreau le jeune en courbant avec la grâce des
joncs, par quelques linéaments sur un gris,
beige ou bleuâtre papier rehaussé d'une note
de craie, les formes de liseuses accoudées au
revers d'un canapé à têtes de cygne, défaites
dans l'intime licence de la rêverie légère,
dressant de pures nuques sous un casque de
cheveux où mordent les hauts peignes — et
parfois un chapeau de plumes noires, par
caprice, se voit seul défini par le gras crayon-
nage velouté qui en écrase les contours, tandis
que d'un fin trait de pointe-sèche filant à travers
la vaste feuille comme une aronde à tire d'aile
s'indique la silhouette de la femme penchée,
sans ombres, sans détail autre qu'une bague au
doigt. Série de fantaisies comme en fit Whistler,
se reposant de ses hautains et ténébreux per-
sonnages par de minces notations au pastel, de
tanagréennes silhouettes lithographiques signées
d'un Wen papillon. Et c'est en vérité à ce
maître plus qu'à tout autre que ramène la
préoccupation de donner à la Gandara une
filiation. Si sa sèche et nerveuse prestesse, sa
facture, son style pictural, son amour des har-
monies cendrées, des gris d'or et d'argent,
l'inféodent à Velasquez, et même en certains
points aux femmes peintes par Goya, c'est bien
à l'art de Whistler que reviennent ces glacis
d'un rose-soufre éteint, cette obsession de
l'atmosphère diffuse, cette crainte de briller
inutilement, et surtout cet effacement savant
du procédé qui se défend d'être deviné avec
autant de soin que les paysages impression-
nistes en mettent à rendre évidente la décom-
position des effets de la lumière et à détruire
l'illusion en la reconstruisant par analyse.
Antonio de la Gandara est bien un neveu de
Whistler. Evoluant dans un monde où tant
d'artistes se sont amoindris en cédant à la
vaine représentation décorative, à un fâcheux
théâtralisme, en s'excusant par l'insignifiance
psychique de leurs modèles, il a su faire de ces
modèles des types caractëristes, les peindre
tels qu'ils devraient être en les peignant comme
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âur-ajoutées à des étoffes vides, et dessinées avec
le souci du joli sans appartenir aux modèies.
Les mains de la Cc/M/wg à /a Aosg, ou celle du
récent portrait ici reproduit qui laisse si pure-
ment se dëclore une fleur au long de la hanche
cambrée, sont des portraits au même titre que
les visages. L'aristocratie d'âme du contempla-
tif Espagnol s'y décèle tout entière. On pour-
rait, si l'on se plaçait au point de vue sociolo-
gique, dire qu'il déploie un talent inouï pour
susciter, lui dernier peut-être, toute l'efflores-
cence des formes de la caste jadis régnante avant
sa disparition définitive.
La Gandara a peint aussi quelques portraits
d'hommes. Je rappelle celui d'Edouard Conte
comme une très belle œuvre moderniste, pleine
de science et de force, dont la redingote noire
est à elle seule un admirable morceau de pein-
ture, rappelant les plus nobles choses d'Elie
Delaunay. Le portrait de Paul Escudier, traité
dans une manière précieuse, associée à la pres-
tance moyenne et svelte, à la physionomie
K Henri IH )) du modèle, était une symphonie
subtile de noirs, moins largement conçue que
les autres œuvres de l'artiste, mais où certains
détails, telle la main gantée de gris perle,
restaient inimitables. Mais la Gandara est et
restera avant tout un historiographe de la
femme élégante de ce temps. C'est par le portrait
qu'un peintre demeure le plus sûrement peut-
être, devant un avenir où les plus curieuses
conceptions idéologiques s'effacent et devien-
nent sans force en présence des nouvelles
apparitions de symboles reflétant le rêve de
l'humanité en marche. Un portrait de la
Gandara demeurera un document complet. 11
dira la mode d'un temps, la stylisation d'un
corps et par là même, sans doute, de tous les
corps de la même caste à son époque, il dira la
pensée de la femme, son degré d'inquiétude et
de réticence, et on verra le reflet de toute une
existence morale momentanée aux prunelles
intensément comprises et fixées par le sagace
artiste épris d'harmonies intellectuelles. Enfin,
l'artiste lui-même s'est réservé d'énoncer ses
goûts et ses préférences en quelques paysages
adjacents à ses effigies On sut de lui jadis des
natures-mortes dont l'exécution était magis-
trale. H s'est contenté de se promener dans le
Luxembourg, voisin de son calme atelier de la
rue Monsieur-le-Prince, simple, gris, meublé à
peine des belles formes de quelques meubles
Empire, et il a trouvé là une continuité de son
rêve élégant, racé et familier. 11 note au pastel
la candeur d'un vase et d'un piédestal dans le
demi-jour glauque versé par les marronniers.
Il peint une charmille, un bassin à jet d'eau,
une pelouse où trône un massif de fleurs vives,
un groupe de robes claires assises à l'ombre
comme des corbeilles — et de tout cela il fait
de nouveaux thèmes à son coloris frêle et
profond, un peu crépusculaire, et invinciblement
mêlé de mystère et de luxe. Lithographe, il
remonte à la tradition de Fragonard et de
Moreau le jeune en courbant avec la grâce des
joncs, par quelques linéaments sur un gris,
beige ou bleuâtre papier rehaussé d'une note
de craie, les formes de liseuses accoudées au
revers d'un canapé à têtes de cygne, défaites
dans l'intime licence de la rêverie légère,
dressant de pures nuques sous un casque de
cheveux où mordent les hauts peignes — et
parfois un chapeau de plumes noires, par
caprice, se voit seul défini par le gras crayon-
nage velouté qui en écrase les contours, tandis
que d'un fin trait de pointe-sèche filant à travers
la vaste feuille comme une aronde à tire d'aile
s'indique la silhouette de la femme penchée,
sans ombres, sans détail autre qu'une bague au
doigt. Série de fantaisies comme en fit Whistler,
se reposant de ses hautains et ténébreux per-
sonnages par de minces notations au pastel, de
tanagréennes silhouettes lithographiques signées
d'un Wen papillon. Et c'est en vérité à ce
maître plus qu'à tout autre que ramène la
préoccupation de donner à la Gandara une
filiation. Si sa sèche et nerveuse prestesse, sa
facture, son style pictural, son amour des har-
monies cendrées, des gris d'or et d'argent,
l'inféodent à Velasquez, et même en certains
points aux femmes peintes par Goya, c'est bien
à l'art de Whistler que reviennent ces glacis
d'un rose-soufre éteint, cette obsession de
l'atmosphère diffuse, cette crainte de briller
inutilement, et surtout cet effacement savant
du procédé qui se défend d'être deviné avec
autant de soin que les paysages impression-
nistes en mettent à rendre évidente la décom-
position des effets de la lumière et à détruire
l'illusion en la reconstruisant par analyse.
Antonio de la Gandara est bien un neveu de
Whistler. Evoluant dans un monde où tant
d'artistes se sont amoindris en cédant à la
vaine représentation décorative, à un fâcheux
théâtralisme, en s'excusant par l'insignifiance
psychique de leurs modèles, il a su faire de ces
modèles des types caractëristes, les peindre
tels qu'ils devraient être en les peignant comme
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