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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 4,2.1902

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No. 44 (Mai 1902)
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Mauclair, Camille: L' ame d'Eugène Carrière: (à propos d'un livre sur lui)
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https://doi.org/10.11588/diglit.34269#0082
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L'ART DÉCORATIF


EUGÈNE CARRIÈRE ÉTUDE D'ENFANT

« ion nés, au torse mouvant où se gonhe ie
<< sein sur iequei iourdement s'appuie la tète
« dans ['accompagnement d'un cou souple et
« fort, ainsi un beau fruit de sève pressé
«contraint sa branche.
« Le front massif ombre les yeux et la
« joue doucement amène la lèvre à l'amou-
« reuse demande.
« Les formes se cherchent et se rejoi-
« gnent dans de voluptueux désirs de vio-
« lence et de résignation, révoltées et obéis-
« santés aux lois auxquelles rien ne se dérobe;
« partout triomphe une logique consciente.
« L'esprit généralisateur de Rodin lui a
« imposé la solitude. Il n'a pu collaborer à
«la cathédrale absente; mais son désir d'hu-
« manité le relie aux formes extérieures de
«la nature. H
On a beaucoup écrit sur Rodin : ayant
moi-même contribuée plusieurs reprises à
grossir le fatras, je puis bien dire qu'il n'y
a pas un critique d'art capable, en ce temps,
d'une telle page. Elle serait l'honneur d'une
vie de critique : Rodin, âme et œuvre, est
là tout entier, révélé avec une noblesse, une

concision, une propriété d'expression incom-
parables. Cependant les mots sont apparem-
ment les premiers venus ; d'où vient donc la
beauté plastique de telles paroles? Du ma-
gnétisme intérieur de la pensée concentrée,
du sens de l'interpénétration de tous les arts.
Et comme chaque fois qu'on atteint à cette
suprême maîtrise, de ce fait seul, alors qu'on
parle même d'autrui, on se révèle soi-même,
ces quelques lignes nous disent aussi l'es-
sentiel de Carrière et de son àme.
Plus Carrière a travaillé, et plus les
formes se sont, à ses yeux, interchangées
avec d'autres formes qui en paraissaient dis-
semblables. S'il eut étudié successivement de
nombreuses formes, il eût cru à la réalité
distincte de chacune : en étudiant toujours
les mêmes, P s'est aperçu qu'elles en évo-
quaient d'autres, et ainsi, plus il semblait
apprendre toujours les mêmes, plus il les
dissolvait par l'analyse, et plus il les ren-
dait, de matérielles, idéologiques. Il décou-
vrait par degrés qu'aucune forme n'est en
soi, mais n'existe que par réciprocité à d'au-
tres. C'est ce que pensent le géomètre et le
métaphysicien. Carrière est arrivé ainsi à
l'état d'àme d'un iLAomzuzru uL invn, n'ayant
aucun besoin de symboles et d'allégories,
mais les découvrant dans un geste de la vie
habituelle, et ne pensant, ne sentant presque
que dans une forme synthétique. Cela l'a
conduit à simplifier la peinture, à chercher
avant tout les plans, les volumes, à suppri-
mer les jeux charmants de la couleur, qui
sont au dessin ce que la réalité apparen-
ticlle est à la réalité absolue, à exprimer
certains aspects non par eux-mêmes, mais
par le contraste de deux autres. Il y a dans
l'admirable recueil de M. Piazza, à ce point
de vue, des documents précieux, notamment
une étude de trois femmes groupées : le
mouvement enveloppant des grandes touches,
sinueuses qui les cerne et les définit est
exactement celui des membrures d'un tronc
d'olivier, où visages et mains sont des nœuds.
Et cette étude en même temps ressemble à
un bois gothique. Le moderne l'a peinte
avec l'àme d'un imagier du XIID siècle.
Chez Rodin aussi — le frère intellectuel de
Carrière —- on trouve cette àme erratique,
cette référence au moyen âge et à la primi-
tivité.
Il a fallu à Eugène Carrière une in-
croyable faculté de repliement sur soi-même,

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