ALFRED ROLL
Des dessins, des paysages faits en
Corse récemment, aucun ne me retien-
dra qu'une tête de femme coiffée de noir
sur fond de ciei d'un azur intense, l'un des
plus sérieux morceaux du Salon de tgo2.
Au dernier figurait une poignante et muette
tragédie, l'agonie d'un vagabond au pied
d'un arbre, où décidément reparaît la pitié
sombre et acerbe de Gorki; là encore se
révèle la science du coloriste, en cette har-
m o n i e mono-
chrome de gris
verdâtre, de bleu
froid, de brun
violacé, où l'at-
mosphère bru -
meuse circule en
mêlant à toutes
choses un ton de
pervenche éteinte,
et la science du
dessinateur par
valeurs dans le
raccourci du per-
sonnage, sans
qu'un seul rehaut
de couleur aide à
le préciser, dans
la construction
tragique de la
tête, dans l'admi-
rable étude des
mains qu'on de-
vine à peine. En
tout cela, et en
certains pastels
lumineux, même
des sculptures d'un beau caractère, montrées
depuis peu d'années, se démontre avec une
autorité de plus en plus grande, sûre d'elle-
même, la vigueur unie à la délicatesse qui
caractérise l'œuvre entier de M. Roll.
De cet œuvre la technique n'a guère
subi de variations. Exempte de tous les raf-
finements actuels, elle n'admet ni les trans-
parences, ni les grattages, ni les imitations
d'une matière par une autre, ni les taches,
ni les combinaisons où tant de peintres ont
dépensé leur ingéniosité. Elle s'en tient, sans
complications de recettes, à une facture
grasse et franche, à un dessin établi par les
valeurs presque toujours certaines, à une
harmonie qui laisse à la couleur toute sa
puissance expressive sans exagérer non plus
son rôle et sans lui inféoder le caractère. Il
y a dans cet art une grande force de na-
turel. Il n'est pas obtenu avec les joies exu-
bérantes de la virtuosité, n'esquive ni ne
cherche le difficile; il est obtenu de la façon
la plus normale et la plus sérieuse, par la
volonté, par l'application logique et tran-
quille des moyens à ce qu'il faut rendre,
avec une honnêteté que nourrit le respect
de ce qui est vrai. Et ainsi se font sans ta-
page et sans nervosité, par la sincère émo-
tion et le savoir authentique, de belles choses
dont s'étonnent les virtuoses, avec un secret
retour sur eux-mêmes. Lu Guerre, par
exemple, représente la réflexion grave d'un
homme sur un sujet où il substitue aux dé-
clamations coutumières le désenchantement
d'un moderne. Ces soldats marchent réso-
lument, puisqu'il le faut, mais sans flamme,
sans vertige, maintenus par le machinisme
anonyme, dans la boue et la pluie où peut-
être on les déplacera durant des heures
sans qu'ils en sachent le motif, sans que
leur conscience soit présente et efficace.
Mais le peintre intervient après que l'homme
a pensé : c'est lui qui transpose en art la
vision psychologiquement vraie, masse ce
Des dessins, des paysages faits en
Corse récemment, aucun ne me retien-
dra qu'une tête de femme coiffée de noir
sur fond de ciei d'un azur intense, l'un des
plus sérieux morceaux du Salon de tgo2.
Au dernier figurait une poignante et muette
tragédie, l'agonie d'un vagabond au pied
d'un arbre, où décidément reparaît la pitié
sombre et acerbe de Gorki; là encore se
révèle la science du coloriste, en cette har-
m o n i e mono-
chrome de gris
verdâtre, de bleu
froid, de brun
violacé, où l'at-
mosphère bru -
meuse circule en
mêlant à toutes
choses un ton de
pervenche éteinte,
et la science du
dessinateur par
valeurs dans le
raccourci du per-
sonnage, sans
qu'un seul rehaut
de couleur aide à
le préciser, dans
la construction
tragique de la
tête, dans l'admi-
rable étude des
mains qu'on de-
vine à peine. En
tout cela, et en
certains pastels
lumineux, même
des sculptures d'un beau caractère, montrées
depuis peu d'années, se démontre avec une
autorité de plus en plus grande, sûre d'elle-
même, la vigueur unie à la délicatesse qui
caractérise l'œuvre entier de M. Roll.
De cet œuvre la technique n'a guère
subi de variations. Exempte de tous les raf-
finements actuels, elle n'admet ni les trans-
parences, ni les grattages, ni les imitations
d'une matière par une autre, ni les taches,
ni les combinaisons où tant de peintres ont
dépensé leur ingéniosité. Elle s'en tient, sans
complications de recettes, à une facture
grasse et franche, à un dessin établi par les
valeurs presque toujours certaines, à une
harmonie qui laisse à la couleur toute sa
puissance expressive sans exagérer non plus
son rôle et sans lui inféoder le caractère. Il
y a dans cet art une grande force de na-
turel. Il n'est pas obtenu avec les joies exu-
bérantes de la virtuosité, n'esquive ni ne
cherche le difficile; il est obtenu de la façon
la plus normale et la plus sérieuse, par la
volonté, par l'application logique et tran-
quille des moyens à ce qu'il faut rendre,
avec une honnêteté que nourrit le respect
de ce qui est vrai. Et ainsi se font sans ta-
page et sans nervosité, par la sincère émo-
tion et le savoir authentique, de belles choses
dont s'étonnent les virtuoses, avec un secret
retour sur eux-mêmes. Lu Guerre, par
exemple, représente la réflexion grave d'un
homme sur un sujet où il substitue aux dé-
clamations coutumières le désenchantement
d'un moderne. Ces soldats marchent réso-
lument, puisqu'il le faut, mais sans flamme,
sans vertige, maintenus par le machinisme
anonyme, dans la boue et la pluie où peut-
être on les déplacera durant des heures
sans qu'ils en sachent le motif, sans que
leur conscience soit présente et efficace.
Mais le peintre intervient après que l'homme
a pensé : c'est lui qui transpose en art la
vision psychologiquement vraie, masse ce