L'ART DECORATIF
incapables de sentir de sérieux mérites.
Leurs opinions, comme leur façon de les
exprimer, ignorent les nuances et les res-
trictions. Ils vont où les porte leur tempé-
rament, sans pénétrer celui des autres.
De là, dans les décisions des jurys de
peinture, des défaillances et des incohérences
singulières. Un Salon ainsi organisé ne peut
avoir la prétention de présenter une sélec-
tion ; et plus il veut demeurer restreint et
jouer à la sévérité, plus le résultat jure avec
les intentions.
Peut-être ce heurt entre la qualité des
morceaux exposés et celle des oeuvres atten-
dues m'est-il rendu plus sensible parce que
j'ai voulu aller me retremper, comme il est
bon de le faire de temps en temps, auprès
des artistes qui ont exprimé avec plénitude,
d'une manière exacte et puissante en sa di-
versité, leurs visions et leurs pensées, et
chez lesquels nous retrouvons une humanité
permanente avec les grâces d'un temps dis-
paru. Je viens de passer sans transition du
Vatican et des Ufhzi au Grand-Palais ; et
lorsqu'on s'est retrouvé ainsi dans l'intimité
des chefs-d'œuvre, on a perdu de vue bien
des discussions d'école, bien des petites re-
cherches du jour, qui risquent de corrompre
le sentiment profond de l'art. Il est bien
certain que cette sélection, que nous regret-
tons un peu de ne pas trouver davantage
dans les Salons contemporains, s'est opérée,
grâce aux siècles, non seulement dans les
Musées, que M. Robert de la Sixeranne
appelle justement /ex pz/xozzx /'ar/, mais
encore dans ces réceptacles privilégiés qui
enferment une suite d'œuvres faite pour eux,
et qui sont les cathédrales, les cloîtres, les
palais. La vénération plus grande a protégé
et consacré ceux où s'était exprimé un art
plus élevé.
Un classicisme se dégage des belles
lormes réalisées à toutes les époques, et
l'on s'aperçoit, lorsque les querelles de clans
sont apaisées, de celles qui sont durables,
et qui, parties bien souvent de principes
presque opposés, de visions très divergentes,
se sont rencontrées dans la même sincérité
et le même respect vis-à-vis de la nature.
Parlant récemment, dans cette Revue,
d'un maître contemporain, M. Alphonse
Legros, je disais combien l'on apprenait
auprès de lui à juger les œuvres en dehors
du temps, comme d'un point de vue défini-
tif, à les apprécier selon ces mérites qui ne
sauraient changer. Ce sont ces œuvres dès
maintenant marquées pour l'avenir, et tout
au moins dignes de lui être présentées sans
exciter sa stupeur ou son dédain, que nous
voudrions mettre à part dans les Salons de
cette année. Ces œuvres existent fort heu-
reusement, et certaines promiscuités gênantes
ne doivent pas nous empêcher de les re-
connaître.
Parmi les œuvres qui demeurent les
plus attachantes par leur caractère d'huma-
nité, il faut marquer d'abord celles où l'ar-
tiste cherche à sonder une figure humaine,
à lui faire refléter ce qui semble en réalité
passer sur elle des lumières et des ombres
de la vie, car tout visage nous apparaît bien
comme un miroir placé dans un coin du
monde, — plus ou moins sensible, plus ou
moins obscur, plus ou moins déformant.
Et il est curieux d'observer qu'à ce point
de vue, les œuvres qui nous retiennent sou-
vent le plus sont celles auxquelles le peintre
attribue dans son œuvre la valeur la moins
personnelle, — c'est-à-dire les portraits.
Mais dans ces pages-là le plus souvent,
lorsqu'il s'agit d'un artiste attentif et scru-
puleux, la marque de la vie se trouve for-
tement imprimée, même lorsqu'on découvre
des êtres assujettis à une vie monotone et
mesquine. Les expressions et les sentiments
se sont perpétués à travers les âges ; et nous
pouvons voir, jusque dans cette belle Expo-
sition des Primitifs français actuellement
ouverte, cet éternel intérêt du portrait. On
se rend compte du peu d'importance que
gardent dans un portrait sérieux les détails
démodés des costumes et des ajustements ;
ils ne gênent pas du moment qu'ils ont été
conçus avec une valeur pour ainsi dire né-
gative, faits pour accompagner la figure et
ne pas lui nuire. Dans les portraits de Rubens
ou de Van Dyck, on va droit à la figure,
aux mains, au caractère de l'attitude, que
n'entravent point les habillements d'une fière
sobriété.
Nous avons aujourd'hui encore de ces
belles peintures de figures. On se rappelle
le superbe portrait que M. Albert Besnard
nous avait donné l'an dernier de M"" Bes-
nard ; il a voulu rendre cette année au
public une figure qui vient de disparaître
et qu'il a fort bien connue, celle de /u
Rzzzzcexxe ALtf/zz'/ù'e. La Princesse est repré-
166
incapables de sentir de sérieux mérites.
Leurs opinions, comme leur façon de les
exprimer, ignorent les nuances et les res-
trictions. Ils vont où les porte leur tempé-
rament, sans pénétrer celui des autres.
De là, dans les décisions des jurys de
peinture, des défaillances et des incohérences
singulières. Un Salon ainsi organisé ne peut
avoir la prétention de présenter une sélec-
tion ; et plus il veut demeurer restreint et
jouer à la sévérité, plus le résultat jure avec
les intentions.
Peut-être ce heurt entre la qualité des
morceaux exposés et celle des oeuvres atten-
dues m'est-il rendu plus sensible parce que
j'ai voulu aller me retremper, comme il est
bon de le faire de temps en temps, auprès
des artistes qui ont exprimé avec plénitude,
d'une manière exacte et puissante en sa di-
versité, leurs visions et leurs pensées, et
chez lesquels nous retrouvons une humanité
permanente avec les grâces d'un temps dis-
paru. Je viens de passer sans transition du
Vatican et des Ufhzi au Grand-Palais ; et
lorsqu'on s'est retrouvé ainsi dans l'intimité
des chefs-d'œuvre, on a perdu de vue bien
des discussions d'école, bien des petites re-
cherches du jour, qui risquent de corrompre
le sentiment profond de l'art. Il est bien
certain que cette sélection, que nous regret-
tons un peu de ne pas trouver davantage
dans les Salons contemporains, s'est opérée,
grâce aux siècles, non seulement dans les
Musées, que M. Robert de la Sixeranne
appelle justement /ex pz/xozzx /'ar/, mais
encore dans ces réceptacles privilégiés qui
enferment une suite d'œuvres faite pour eux,
et qui sont les cathédrales, les cloîtres, les
palais. La vénération plus grande a protégé
et consacré ceux où s'était exprimé un art
plus élevé.
Un classicisme se dégage des belles
lormes réalisées à toutes les époques, et
l'on s'aperçoit, lorsque les querelles de clans
sont apaisées, de celles qui sont durables,
et qui, parties bien souvent de principes
presque opposés, de visions très divergentes,
se sont rencontrées dans la même sincérité
et le même respect vis-à-vis de la nature.
Parlant récemment, dans cette Revue,
d'un maître contemporain, M. Alphonse
Legros, je disais combien l'on apprenait
auprès de lui à juger les œuvres en dehors
du temps, comme d'un point de vue défini-
tif, à les apprécier selon ces mérites qui ne
sauraient changer. Ce sont ces œuvres dès
maintenant marquées pour l'avenir, et tout
au moins dignes de lui être présentées sans
exciter sa stupeur ou son dédain, que nous
voudrions mettre à part dans les Salons de
cette année. Ces œuvres existent fort heu-
reusement, et certaines promiscuités gênantes
ne doivent pas nous empêcher de les re-
connaître.
Parmi les œuvres qui demeurent les
plus attachantes par leur caractère d'huma-
nité, il faut marquer d'abord celles où l'ar-
tiste cherche à sonder une figure humaine,
à lui faire refléter ce qui semble en réalité
passer sur elle des lumières et des ombres
de la vie, car tout visage nous apparaît bien
comme un miroir placé dans un coin du
monde, — plus ou moins sensible, plus ou
moins obscur, plus ou moins déformant.
Et il est curieux d'observer qu'à ce point
de vue, les œuvres qui nous retiennent sou-
vent le plus sont celles auxquelles le peintre
attribue dans son œuvre la valeur la moins
personnelle, — c'est-à-dire les portraits.
Mais dans ces pages-là le plus souvent,
lorsqu'il s'agit d'un artiste attentif et scru-
puleux, la marque de la vie se trouve for-
tement imprimée, même lorsqu'on découvre
des êtres assujettis à une vie monotone et
mesquine. Les expressions et les sentiments
se sont perpétués à travers les âges ; et nous
pouvons voir, jusque dans cette belle Expo-
sition des Primitifs français actuellement
ouverte, cet éternel intérêt du portrait. On
se rend compte du peu d'importance que
gardent dans un portrait sérieux les détails
démodés des costumes et des ajustements ;
ils ne gênent pas du moment qu'ils ont été
conçus avec une valeur pour ainsi dire né-
gative, faits pour accompagner la figure et
ne pas lui nuire. Dans les portraits de Rubens
ou de Van Dyck, on va droit à la figure,
aux mains, au caractère de l'attitude, que
n'entravent point les habillements d'une fière
sobriété.
Nous avons aujourd'hui encore de ces
belles peintures de figures. On se rappelle
le superbe portrait que M. Albert Besnard
nous avait donné l'an dernier de M"" Bes-
nard ; il a voulu rendre cette année au
public une figure qui vient de disparaître
et qu'il a fort bien connue, celle de /u
Rzzzzcexxe ALtf/zz'/ù'e. La Princesse est repré-
166