L'ART DECORATIF
Baudelaire, celui de l'effacement final des
traces du travail de façon à présenter l'œuvre
d'art comme une floraison aisée, sans ré-
véler les misères de l'effort et surtout sans
s'en faire un mérite, ce souci donne la clef
de toute la psychologie de ce genre d'esprits,
auxquels on peut joindre celui de Heine. Ce
sera l'éternel regret de ceux qui connurent
Mallarmé de n'avoir pas recueilli les conver-
sations de l'homme le plus pleinement admi-
rable de son temps. Savions-nous qu'il fût
si près de mourir, hélas, et puis ne fûmes-
nous pas tous un peu coupables d'incurie,
et pleins de l'égoïste désir de « garder cela
pour nous », et de la peur enfin d'alourdir
en transcrivant ? Nul ne fera pour lui le
livre de M. Duret sur Whistler, et pourtant,
comme l'un éclairerait l'autre ! L'identité
des caractères (avec plus de mansuétude
chez le poète! confirmerait celle des œuvres.
Chez tous deux le même amour des élé-
ments de leurs arts — ivresse et délectation
d'un ton, d'un rythme en soi —- chez tous
deux cette conception d'un art ou comme
la distinction suprême d'une intellec-
tuelle, doucement et fièrement isolée, pro-
testataire tacite contre la démocratisation
générale, avec un rien de caprice chimé-
rique et un amour du passé tout en recon-
naissant qu'il faut que tout change : et chez
tous deux enfin cette absence d'humanité de
premier abord {'plus encore chez Whistler,
car Mallarmé est parfois sensuel et toujours
ému, Whistler est toujours chaste, impas-
sible et lointain), cette buée de rêve entre
eux et la vie oh l'on vit ! Whistler n'émeut
pas par ses représentations de la figure hu-
maine: voilà ce que j'entends dire et ai lu
chez certains. Je demande exception pour
les Nncfznvzex, que je ne peux voir sans
frissonner, et pour le AorfruR he vu zzzèzœ,
qui me touche autant que les plus tou-
chants intimistes , autant que Chardin,
plus que La Tour, autrement que Ricard.
Mais il est indéniable que l'esprit de
l'esthétique de Poe (Gezzèxe h'zzzz ^oèzzzg)
était en Whistler, son héritier intellec-
tuel comme Mallarmé, et probablement le
dernier de cette lignée extraordinaire. Tout
l'art de Whistler s'est reculé d'un pas hors
de la vie, la regardant par-dessus l'épaule
et se gantant avec quelque dédain avant de
se dérober dans l'ombre, comme le portrait
de Lady Campbell. A cause de cela on
l'admirera sans avoir l'occasion de l'aimer;
il ne se souciait pas d'être aimé sans per-
mission, m ce profond révélateur n'était
point confidentiel.
CAMtLLE MAUCLAIR.
AMpÙZMO
88
Baudelaire, celui de l'effacement final des
traces du travail de façon à présenter l'œuvre
d'art comme une floraison aisée, sans ré-
véler les misères de l'effort et surtout sans
s'en faire un mérite, ce souci donne la clef
de toute la psychologie de ce genre d'esprits,
auxquels on peut joindre celui de Heine. Ce
sera l'éternel regret de ceux qui connurent
Mallarmé de n'avoir pas recueilli les conver-
sations de l'homme le plus pleinement admi-
rable de son temps. Savions-nous qu'il fût
si près de mourir, hélas, et puis ne fûmes-
nous pas tous un peu coupables d'incurie,
et pleins de l'égoïste désir de « garder cela
pour nous », et de la peur enfin d'alourdir
en transcrivant ? Nul ne fera pour lui le
livre de M. Duret sur Whistler, et pourtant,
comme l'un éclairerait l'autre ! L'identité
des caractères (avec plus de mansuétude
chez le poète! confirmerait celle des œuvres.
Chez tous deux le même amour des élé-
ments de leurs arts — ivresse et délectation
d'un ton, d'un rythme en soi —- chez tous
deux cette conception d'un art ou comme
la distinction suprême d'une intellec-
tuelle, doucement et fièrement isolée, pro-
testataire tacite contre la démocratisation
générale, avec un rien de caprice chimé-
rique et un amour du passé tout en recon-
naissant qu'il faut que tout change : et chez
tous deux enfin cette absence d'humanité de
premier abord {'plus encore chez Whistler,
car Mallarmé est parfois sensuel et toujours
ému, Whistler est toujours chaste, impas-
sible et lointain), cette buée de rêve entre
eux et la vie oh l'on vit ! Whistler n'émeut
pas par ses représentations de la figure hu-
maine: voilà ce que j'entends dire et ai lu
chez certains. Je demande exception pour
les Nncfznvzex, que je ne peux voir sans
frissonner, et pour le AorfruR he vu zzzèzœ,
qui me touche autant que les plus tou-
chants intimistes , autant que Chardin,
plus que La Tour, autrement que Ricard.
Mais il est indéniable que l'esprit de
l'esthétique de Poe (Gezzèxe h'zzzz ^oèzzzg)
était en Whistler, son héritier intellec-
tuel comme Mallarmé, et probablement le
dernier de cette lignée extraordinaire. Tout
l'art de Whistler s'est reculé d'un pas hors
de la vie, la regardant par-dessus l'épaule
et se gantant avec quelque dédain avant de
se dérober dans l'ombre, comme le portrait
de Lady Campbell. A cause de cela on
l'admirera sans avoir l'occasion de l'aimer;
il ne se souciait pas d'être aimé sans per-
mission, m ce profond révélateur n'était
point confidentiel.
CAMtLLE MAUCLAIR.
AMpÙZMO
88