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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 7,1.1905

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Félice, Roger de: La peinture aux salons
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https://doi.org/10.11588/diglit.44575#0270
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L’ART DÉCORATIF

deux d'entre elles, d’un beau vol planant,
viennent offrir aux statues des palmes et
des couronnes. Enfin, vers le fond de la
salle, la partie qui est exposée : debout sur
son char, la cithare d’or au poing, agité du
délire delphique, modelé en plein rayonne-
ment avec une incroyable hardiesse, le dieu
s’élance d’un Empyrée aveuglant, emporté
par le galop de quatre chevaux au ventre
rose, blanc, marbré de reflets irisés. Devant
sa course triomphale, les nuages, dont les
tourbillons violacés semblent des croupes
de monstres et évoquent le mythe de Python,
s’écartent et dévoilent un large pan de ciel
vide, — trop vide peut-être, — matinal et
léger, d’un mauve délicat. Et tout autour
s’égrène le chapelet des Heures, déités vo-
lantes dont les draperies font des arabesques
légères dans l’infini. Elles se succèdent par
de subtiles transitions, les Heures nocturnes
et violettes qui sommeillent sur des oreillers
de nues, les Heures roses du matin qui
s’éveillent paresseusement, les Heures ar-
dentes qui baignent dans le feu, les Heures
du soir dont le mouvement s’apaise peu à
peu dans le repos et dont l’éclat s’endort
dans les bleus froids du crépuscule.
Le motif fondamental de cette fastueuse
symphonie est un accord de complémen-
taires, orangé et violet; et sur ce thème ce
sont les modulations les plus délicates dans
la plus extrême violence ; une harmonie
toujours juste dans la couleur exaspérée.
Passer de cette peinture enivrante, d’un
lyrisme pathétique, au grand panneau de
M. Roll, c’est, de toutes façons, descendre
des intermondes sur notre globe terraqué.
Ce panneau est destiné à compléter, avec
celui que le peintre exposait, voilà dix ans,
au Champ-de- Mars, sous le même titre
Joies de la vie, la décoration d’un Salon de
l’Hôtcl de Ville. Cette fois, il ne s’agit plus
seulement des délices sensuelles et pour
ainsi dire passives ; la toile a pour sous-
titre : Art, Mouvement, Travail, Lumière.
Est-ce parce que la conception littéraire de
l’œuvre est trop complexe et que l’artiste a
voulu y faire entrer trop de choses? Est-ce
parce que le trou malencontreux d’une porte
supprime tout le milieu du premier plan et
l’endroit même où devrait être le .nœud de
la composition ? N’est-ce pas plutôt parce
que l’unité proprement picturale —- unité
d’éclairage, d’ordonnance linéaire — n’est

pas bien nettement écrite? Ce qui est sûr,
c’est que l’on garde une impression un peu
confuse, et que les énigmes qui vous sont
posées vous empêchent de jouir bonnement
de très beaux morceaux de peinture, comme
celui des ouvriers traînant un fardier chargé
de pierres.
M. Henri Martin triomphe chaque an-
née, aux Artistes Français, avec une maîtrise
égale, qui ignore les défaillances, mais se
renouvelle sans cesse ; chaque année il rend
plus ridicules les gens qui s’obstinent à lui
refuser la récompense dont ils disposent —
et dont il n’a cure, on aime à croire : elle
a trop été galvaudée pour tenter un homme
comme lui! Son Panneau décoratif pour la
maison d'Edmond Rostand est un admirable
paysage automnal et ensoleillé, d’une eu-
rythmie délicieuse, tout saturé de lumière
frémissante et fleurant l’herbe chaude. C’est
l’heure suave où les ombres se font longues,
où les coteaux bleuissent, où le ciel tur-
quoisé se paillette de clartés blanches, où
les faneurs achèvent de charger les char-
rettes de regain. Sur les collines couleur
d’iris, des peupliers détachent leurs fûts
minces et leur ramée éclaircie, tout en or ;
au milieu des prairies, comme une molle
écharpe de soie, un ruisseau transparent se
déroule, baignant de jeunes saules roses,
diapré des reflets du ciel et des arbres. Une
chevrière passe en tricotant derrière ses
chevreaux au broutement avide; un jeune
pâtre la suit et joue de la flûte. Jamais le
grand poète Henri Martin n’avait chanté la
paix du soir, le bonheur rural, la beauté de
la terre, dans une page plus resplendissante.
La Jeunesse de Mlle Dufau est une de
ces scènes païennes où elle aime à grouper,
dans un paysage d’une ordonnance toute
décorative, de beaux corps dévêtus, au re-
pos ou bien dans une action athlétique, qui
se baignent voluptueusement dans la lu-
mière et la tiédeur de l’air. L’Automne, qui
est au Luxembourg et qui fut le prototype
de cette série, reste, il faut bien le dire,
inégalé. Certes, le corps de femme du pre-
mier plan, vu en raccourci, modelé tout
entier dans le clair, est une merveille; au-
cun autre peintre aujourd’hui n’oserait et
ne réussirait cela. La partie « nature morte »
du tableau — raisins noirs, raisins d’ambre
mielleux, figues gercées de maturité, cruche
à l’émail jaune — est aussi de toute beauté.

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