L'ART DÉCORATIF
l'ameublement cossu, de l'ameublement
de bourgeois, de manier la ligne courbe et
d'employer le bois en masses épaisses. Mais
je préfère encore la chambre à coucher,
qui, exécutée en série par les moyens mé-
caniques dont dispose aujourd'hui l'ébénis-
terie industrielle, pourrait se livrer (lit,
armoire et table de nuit) au prix étonnant
de cinq cents francs. Et pourtant elle n'a
en rien l'aride, la désolante pauvreté que
nous vîmes à maint a ameublement pour
artisans)); cela, grâce à l'inflexion gracieuse
de certaines lignes, à des chevilles de bois
clair enfoncées çà et là dans le chêne teinté
aux vapeurs d'ammoniaque; surtout à de
petits médaillons de marqueterie répartis
avec beaucoup de bonheur, qui mettent des
points de richesse juste où il faut. Cernés
par les rainures qui sont l'ornementation
principale de tout le meuble, ils ne néces-
sitent qu'une toute petite surface de mar-
quetage; et voilà la trouvaille, moins aisée
qu'elle n'en a l'air... Dans ce genre simple,
sans prétention mais non sans une réelle
valeur d'art, Gallerey est un maître.
Très heureuse en certaines de ses parties,
manquée en d'autres — la chaise par exemple
— la chambre de MM. Boucher et Léothaud
est de la même famille que les meubles de
Gallerey; mais le décor en est plus com-
plexe : dans le chêne sont in-
crustés des filets de cuivre mat,
des points d'ivoire ou d'os, des
plaques de bronze où des motifs
de pivoines sont d'une belle cise-
lure. Ces éléments sont répartis
avec goût — et ce sont là, en
somme, une belle armoire et un
beau Ht.
M. Abel Landry a composé
avec amour une chambre de petit
enfant; et nous n'en avions pas
vu de plus réussie depuis ce chef-
d'œuvre qu'exposèrent à la Na-
tionale, voilà quelques années,
MM. Sauvage et Sarrazin. Les
meubles sont tous blancs, en sy-
comore, à l'échelle de Lilliput
naturellement, et arrondis partout
pour ne pas trop meurtrir les
petits corps maladroits et impé-
tueux. C'est le lit d'abord, très
ingénieux avec ses côtés assez
élevés pour parer aux chutes,
mais qui sont à charnières et
peuvent se rabattre; sur une série
de panneaux en cuivre qui les
ornent, Gallerey a repoussé toute
espèce de joujoux et de bêtes; les
rideaux blancs pendent à des po-
tences où perchent, amusantes
silhouettes en cuivre découpées
par Édouard Schenck, des poules qui pi-
corent ou se pavanent; au pied du lit et
faisant corps avec lui, une banquette haute
comme la main ; dans un coin, autre banquette
épousant l'angle de la pièce; une table mi-
nuscule, à rebords, montée sur un gros
pied rond; une toilette aux accessoires de
grosse terre vernissée des Pyrénées et à la
taille d'un bonhomme de quatre ans; deux
diminutifs de fauteuils en rotin laqué;
d'étroites armoires à portes de cristal, com-
binées avec la cheminée; une frise enfin
courant au haut du mur, en verre émaillé
de M. Carlier, où des enfants s'ébattent
JALLOT
206
l'ameublement cossu, de l'ameublement
de bourgeois, de manier la ligne courbe et
d'employer le bois en masses épaisses. Mais
je préfère encore la chambre à coucher,
qui, exécutée en série par les moyens mé-
caniques dont dispose aujourd'hui l'ébénis-
terie industrielle, pourrait se livrer (lit,
armoire et table de nuit) au prix étonnant
de cinq cents francs. Et pourtant elle n'a
en rien l'aride, la désolante pauvreté que
nous vîmes à maint a ameublement pour
artisans)); cela, grâce à l'inflexion gracieuse
de certaines lignes, à des chevilles de bois
clair enfoncées çà et là dans le chêne teinté
aux vapeurs d'ammoniaque; surtout à de
petits médaillons de marqueterie répartis
avec beaucoup de bonheur, qui mettent des
points de richesse juste où il faut. Cernés
par les rainures qui sont l'ornementation
principale de tout le meuble, ils ne néces-
sitent qu'une toute petite surface de mar-
quetage; et voilà la trouvaille, moins aisée
qu'elle n'en a l'air... Dans ce genre simple,
sans prétention mais non sans une réelle
valeur d'art, Gallerey est un maître.
Très heureuse en certaines de ses parties,
manquée en d'autres — la chaise par exemple
— la chambre de MM. Boucher et Léothaud
est de la même famille que les meubles de
Gallerey; mais le décor en est plus com-
plexe : dans le chêne sont in-
crustés des filets de cuivre mat,
des points d'ivoire ou d'os, des
plaques de bronze où des motifs
de pivoines sont d'une belle cise-
lure. Ces éléments sont répartis
avec goût — et ce sont là, en
somme, une belle armoire et un
beau Ht.
M. Abel Landry a composé
avec amour une chambre de petit
enfant; et nous n'en avions pas
vu de plus réussie depuis ce chef-
d'œuvre qu'exposèrent à la Na-
tionale, voilà quelques années,
MM. Sauvage et Sarrazin. Les
meubles sont tous blancs, en sy-
comore, à l'échelle de Lilliput
naturellement, et arrondis partout
pour ne pas trop meurtrir les
petits corps maladroits et impé-
tueux. C'est le lit d'abord, très
ingénieux avec ses côtés assez
élevés pour parer aux chutes,
mais qui sont à charnières et
peuvent se rabattre; sur une série
de panneaux en cuivre qui les
ornent, Gallerey a repoussé toute
espèce de joujoux et de bêtes; les
rideaux blancs pendent à des po-
tences où perchent, amusantes
silhouettes en cuivre découpées
par Édouard Schenck, des poules qui pi-
corent ou se pavanent; au pied du lit et
faisant corps avec lui, une banquette haute
comme la main ; dans un coin, autre banquette
épousant l'angle de la pièce; une table mi-
nuscule, à rebords, montée sur un gros
pied rond; une toilette aux accessoires de
grosse terre vernissée des Pyrénées et à la
taille d'un bonhomme de quatre ans; deux
diminutifs de fauteuils en rotin laqué;
d'étroites armoires à portes de cristal, com-
binées avec la cheminée; une frise enfin
courant au haut du mur, en verre émaillé
de M. Carlier, où des enfants s'ébattent
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