Première année.
N° .‘il
LE NUMÉRO : 15 CENTIMES
27 Novembre 1887
L'ART FRANÇAIS
JlfcfUttf jplArtistique Jsfiebùomaîiaire
Texte par Firmin Javel
Illustrations de MM. SILVESTRE & Cie, par leur procédé de Glyptographie
Bureaux : 97, rue Oberkampf, à Paris
ABONNEMENTS. — Pairs
un an, 9 fr. ; six mois, 3 francs. — Dki'aiitkmknt.s : un an, ÎO IV., six mois, 6 francs.
SOMMAIRE
ILLUSTRATIONS : 4" page: La ('.ruche cassée (C.i'onzel ; — i>;ig« : Lu (iuerre (IMivis ili*
Cliavaimcs ) ; — 3* pagn : l.n Paix (l'uvis île Clmvamu's).
TEXTJi : Le Musée du Loutre; — Echos artistiques.
vous reconnaissez la main d’un incomparable metteur en scène.
Il n’est pas jusqu’à cette adorable fillette de la Cruche cassée dont
l’ingéniosité ne soit le fruit d’un laborieux effort.
LE MUSEE
LOUVRE
II
Le nom de Greuze
n’est pas indigne d’être
cité après celui de Da-
vid. L’auteur de la
Cruche cassée fut un
rénovateur. A une épo-
que où l’art semblait
n’avoir d’autre objec-
tif que de « plaire »,
Greuze visa plus haut :
il voulut émouvoir, il
voulut charmer. Les
éloges enthousiastes
que lui prodigue Di-
derot montrent à quel
point le peintre de
XAccordée de village y
réussit.
Ce n’était pourtant
pas chose aisée que de
taire entendre à une
société aussi frivole
que celle du dix-hui-
tiéme siècle, des ac-
cents nouveaux, élo-
quents et sincères. Cer-
tes, l’entreprise était
hardie, de mettre sous
les yeux des seigneurs
en belle humeur de ce
temps les drames de la
vie réelle représentés par des personnages dépouillés de tout
le clinquant mythologique. Montrer des ouvriers dans leur hum-
ble demeure, quelle audace !
Greuze justifia une fois de plus le proverbe classique;la fortune
lui sourit — ce qui ne l’empêcha pas de mourir pauvre et chargé
d’ans ! Mais dans sa poétique si neuve et si originale, remarquez
comme il a soin de ne pas rompre trop ouvertement avec le goût
théâtral de son époque. Toujours, dans toutes ses compositions,
« Comme au dix-huitième siècle tout le monde était un peu
^ libertin,même les mo-
W h tâiif .... ,
ralistes, a dit Ilieo-
phile Gautier, Greuze,
quand il peint une In-
nocence, a toujours
soin d’entr’ouvrir la
gaze et de laisser en-
trevoir unerondeur de
gorge naissante ; il met
dans les yeux une flam-
me lustrée et sur les
lèvres un sourire hu-
mide qui donne à pen-
ser que l’Innocence
deviendrait bien aisé-
ment la Volupté. La
Cruche cassée est le mo-
dèle du genre. La tète
a encore la candeur de
l’enfance, mais le fi-
chu est dérangé, la
rose du corsage s’ef-
leuille, les fleurs ne
sont retenues qu’à de-
mi parle pli de la robe,
et la cruche laisse
échapper l’eau par sa
lelure ».
Il y a, en effet, un
contraste saisissant en-
tre la figure si chaste
de la jeune fille et le
drame récent que sem-
ble impliquer le désor-
dre de sa toilette. Mais
le peintre ne pouvait
»
Gkkuzk. — La Cruche cassée.
insister davantage sans
tomber dans l’érotis-
me vulgaire, et c’est précisément cette symbolisation discrète et
fine qui constitue le principal mérite de la Cruche cassée.
A propos de Diderot, dont nous parlions tout-à-l’heure, n’est-
il pas curieux de relire aujourd’hui ce qu’il écrivait après avoir
vu un portrait de Ml,,u Greuze par son mari :
« Ce peintre est certainement amoureux de sa femme, et il n’a
pas tort. Je l’ai bien aimée, moi, quand j’étais jeune et qu’elle
s’appelait Mllc lîabuti. Elle occupait une petite boutique de librai-
N° .‘il
LE NUMÉRO : 15 CENTIMES
27 Novembre 1887
L'ART FRANÇAIS
JlfcfUttf jplArtistique Jsfiebùomaîiaire
Texte par Firmin Javel
Illustrations de MM. SILVESTRE & Cie, par leur procédé de Glyptographie
Bureaux : 97, rue Oberkampf, à Paris
ABONNEMENTS. — Pairs
un an, 9 fr. ; six mois, 3 francs. — Dki'aiitkmknt.s : un an, ÎO IV., six mois, 6 francs.
SOMMAIRE
ILLUSTRATIONS : 4" page: La ('.ruche cassée (C.i'onzel ; — i>;ig« : Lu (iuerre (IMivis ili*
Cliavaimcs ) ; — 3* pagn : l.n Paix (l'uvis île Clmvamu's).
TEXTJi : Le Musée du Loutre; — Echos artistiques.
vous reconnaissez la main d’un incomparable metteur en scène.
Il n’est pas jusqu’à cette adorable fillette de la Cruche cassée dont
l’ingéniosité ne soit le fruit d’un laborieux effort.
LE MUSEE
LOUVRE
II
Le nom de Greuze
n’est pas indigne d’être
cité après celui de Da-
vid. L’auteur de la
Cruche cassée fut un
rénovateur. A une épo-
que où l’art semblait
n’avoir d’autre objec-
tif que de « plaire »,
Greuze visa plus haut :
il voulut émouvoir, il
voulut charmer. Les
éloges enthousiastes
que lui prodigue Di-
derot montrent à quel
point le peintre de
XAccordée de village y
réussit.
Ce n’était pourtant
pas chose aisée que de
taire entendre à une
société aussi frivole
que celle du dix-hui-
tiéme siècle, des ac-
cents nouveaux, élo-
quents et sincères. Cer-
tes, l’entreprise était
hardie, de mettre sous
les yeux des seigneurs
en belle humeur de ce
temps les drames de la
vie réelle représentés par des personnages dépouillés de tout
le clinquant mythologique. Montrer des ouvriers dans leur hum-
ble demeure, quelle audace !
Greuze justifia une fois de plus le proverbe classique;la fortune
lui sourit — ce qui ne l’empêcha pas de mourir pauvre et chargé
d’ans ! Mais dans sa poétique si neuve et si originale, remarquez
comme il a soin de ne pas rompre trop ouvertement avec le goût
théâtral de son époque. Toujours, dans toutes ses compositions,
« Comme au dix-huitième siècle tout le monde était un peu
^ libertin,même les mo-
W h tâiif .... ,
ralistes, a dit Ilieo-
phile Gautier, Greuze,
quand il peint une In-
nocence, a toujours
soin d’entr’ouvrir la
gaze et de laisser en-
trevoir unerondeur de
gorge naissante ; il met
dans les yeux une flam-
me lustrée et sur les
lèvres un sourire hu-
mide qui donne à pen-
ser que l’Innocence
deviendrait bien aisé-
ment la Volupté. La
Cruche cassée est le mo-
dèle du genre. La tète
a encore la candeur de
l’enfance, mais le fi-
chu est dérangé, la
rose du corsage s’ef-
leuille, les fleurs ne
sont retenues qu’à de-
mi parle pli de la robe,
et la cruche laisse
échapper l’eau par sa
lelure ».
Il y a, en effet, un
contraste saisissant en-
tre la figure si chaste
de la jeune fille et le
drame récent que sem-
ble impliquer le désor-
dre de sa toilette. Mais
le peintre ne pouvait
»
Gkkuzk. — La Cruche cassée.
insister davantage sans
tomber dans l’érotis-
me vulgaire, et c’est précisément cette symbolisation discrète et
fine qui constitue le principal mérite de la Cruche cassée.
A propos de Diderot, dont nous parlions tout-à-l’heure, n’est-
il pas curieux de relire aujourd’hui ce qu’il écrivait après avoir
vu un portrait de Ml,,u Greuze par son mari :
« Ce peintre est certainement amoureux de sa femme, et il n’a
pas tort. Je l’ai bien aimée, moi, quand j’étais jeune et qu’elle
s’appelait Mllc lîabuti. Elle occupait une petite boutique de librai-