Deuxième année. — N° 93
LE NUMÉRO : 15 CENTIMES
2 Février 1889
L'ART FRANÇAIS
Jllfiuu jUrtiôtiqiif JBftebiïümaïrauT
Texte par Firmin Javel
Illustrations de MM. SILVESTRE & Cie, par leur procédé de Glyptographie
Bureaux : 97, rue Oberkampf, à Paris
ABONNEMENTS. - - Paris : un an, 9 francs; six mois, 5 francs. — Départements : un an, ÎO francs; six mois, 6 francs.
Voir, à, notre quatrième page, la lettre adressée par M. ANTONIN PROUST, commissaire
spécial des Beaux-Arts à l’Exposition universelle, au directeur littéraire de 1 ART FRANÇAIS.
LES PEINTRES-GRAVEURS
L’exposition dite «des peintres-graveurs», ouverte en ce
moment, dans la gale-
rie Durand-Ruel, a EXPOSITION DES.
pour but, comme nous
l’apprend M. Philippe
Burty, dans la substan-
tielle préface du cata-
logue, de « créer un
centre pour des œuvres
ne visant point les
Salons annuels et ne
pouvant se discuter et
s’apprécier qu’avec un
public connaisseur ».
Il y a là, pour les
organisateurs du Sa-
lon, un enseignement.
En effet, la place réser-
vée chaque année à la
gravure, dans la salle
la plus reculée du Pa-
lais de l’Industrie, est
insuffisante et indigne
d’un art qui a produit
tant de chefs-d’œuvre.
Les rares amateurs n’y
arrivent que fourbus,
les yeux las, l’esprit
inattentif. Il n’en sau-
rait être autrement
tant qu’on les obligera
à parcourir, avant de
pouvoir visiter les tra-
vaux des maîtres du
burin et de la pointe-
sèche, une trentaine
de salles occupées par
des milliers de tableaux.
Il faut souhaiter que
cet enseignement ne
demeure point stérile.
Aussi bien, l’exposi-
tion des peintres-gra-
veurs a-t-elle obtenu,
dès le jour de F ou ver- • — ' -
ture, un très vif succès. Marcellin desboutin.
Par un raffinement
d originalité, les exposants ont exclu toute reproduction de
l’œuvre d’autrui. Ainsi, toutes les pages réunies dans les salons
de la rue Le Peietier sont essentiellement personnelles. C’est la
réalisation d un vœu formule, récemment, avec beaucoup de
sens, par notre confrère, M. Roger-Marx, en sa remarquable
préface de Y Estampe originale. Nous sommes devenus un public
de gourmets. Nous demandons à l’artiste de se livrer tout entier,
de ne traduire que sa
PEINTRES-GRAVEURS propre émotion, de ne
transcrire que ses pro-
pres visions. Sûr d’être
ainsi compris, appré-
cié, l’artiste se surpasse
lui-même. 11 semble
que dans ses opposi-
tions de noir et de
blanc, il exprime uni-
quement ses souffran-
ces et ses joies, ses dé-
sespoirs et ses enthou-
siasmes. Qu’il se serve
du burin, ou qu’il re-
coure aux morsures de
l’eau-forte, qu’il « écra-
se le crayon lithogra-
phique ou qu’il incise
le buis», toujours son
âme vibrera dans l’es-
tampe obtenue.
Rien n’est plus éton-
nant que de voir, jux-
taposés, les différents
états des eaux-fortes,
et de suivre, en ses di-
verses évolutions, la
pensée du graveur. Ici,
la peinture ajoute à
l’intérêt d’une étude
qui, pour beaucoup
d’entre nous, est une
révélation. Voici un
paysage gravé à l’eau-
forte par M. Félix
Buhot; je le vois dans
trois états, et j’y re-
trouvé les aspects suc-
cessifs de la nature,
puisque la nature chan-
ge, modifie ses effets à
chaque instant. Le mê-
me site qui séduisait
— Portrait de M. D... Corot à l’aube nais-
sante, le laissait indif-
férent à huit heures du matin, parce qu’alors on voyait tout, l’œil
n’a^ait plus rien à deviner. Nos artistes actuels pensent autre-
ment. Pour eux, rien de ce qui est la nature n’est insignifiant.
Peut-être ont-ils raison de répartir leur culte en prières du matin,
LE NUMÉRO : 15 CENTIMES
2 Février 1889
L'ART FRANÇAIS
Jllfiuu jUrtiôtiqiif JBftebiïümaïrauT
Texte par Firmin Javel
Illustrations de MM. SILVESTRE & Cie, par leur procédé de Glyptographie
Bureaux : 97, rue Oberkampf, à Paris
ABONNEMENTS. - - Paris : un an, 9 francs; six mois, 5 francs. — Départements : un an, ÎO francs; six mois, 6 francs.
Voir, à, notre quatrième page, la lettre adressée par M. ANTONIN PROUST, commissaire
spécial des Beaux-Arts à l’Exposition universelle, au directeur littéraire de 1 ART FRANÇAIS.
LES PEINTRES-GRAVEURS
L’exposition dite «des peintres-graveurs», ouverte en ce
moment, dans la gale-
rie Durand-Ruel, a EXPOSITION DES.
pour but, comme nous
l’apprend M. Philippe
Burty, dans la substan-
tielle préface du cata-
logue, de « créer un
centre pour des œuvres
ne visant point les
Salons annuels et ne
pouvant se discuter et
s’apprécier qu’avec un
public connaisseur ».
Il y a là, pour les
organisateurs du Sa-
lon, un enseignement.
En effet, la place réser-
vée chaque année à la
gravure, dans la salle
la plus reculée du Pa-
lais de l’Industrie, est
insuffisante et indigne
d’un art qui a produit
tant de chefs-d’œuvre.
Les rares amateurs n’y
arrivent que fourbus,
les yeux las, l’esprit
inattentif. Il n’en sau-
rait être autrement
tant qu’on les obligera
à parcourir, avant de
pouvoir visiter les tra-
vaux des maîtres du
burin et de la pointe-
sèche, une trentaine
de salles occupées par
des milliers de tableaux.
Il faut souhaiter que
cet enseignement ne
demeure point stérile.
Aussi bien, l’exposi-
tion des peintres-gra-
veurs a-t-elle obtenu,
dès le jour de F ou ver- • — ' -
ture, un très vif succès. Marcellin desboutin.
Par un raffinement
d originalité, les exposants ont exclu toute reproduction de
l’œuvre d’autrui. Ainsi, toutes les pages réunies dans les salons
de la rue Le Peietier sont essentiellement personnelles. C’est la
réalisation d un vœu formule, récemment, avec beaucoup de
sens, par notre confrère, M. Roger-Marx, en sa remarquable
préface de Y Estampe originale. Nous sommes devenus un public
de gourmets. Nous demandons à l’artiste de se livrer tout entier,
de ne traduire que sa
PEINTRES-GRAVEURS propre émotion, de ne
transcrire que ses pro-
pres visions. Sûr d’être
ainsi compris, appré-
cié, l’artiste se surpasse
lui-même. 11 semble
que dans ses opposi-
tions de noir et de
blanc, il exprime uni-
quement ses souffran-
ces et ses joies, ses dé-
sespoirs et ses enthou-
siasmes. Qu’il se serve
du burin, ou qu’il re-
coure aux morsures de
l’eau-forte, qu’il « écra-
se le crayon lithogra-
phique ou qu’il incise
le buis», toujours son
âme vibrera dans l’es-
tampe obtenue.
Rien n’est plus éton-
nant que de voir, jux-
taposés, les différents
états des eaux-fortes,
et de suivre, en ses di-
verses évolutions, la
pensée du graveur. Ici,
la peinture ajoute à
l’intérêt d’une étude
qui, pour beaucoup
d’entre nous, est une
révélation. Voici un
paysage gravé à l’eau-
forte par M. Félix
Buhot; je le vois dans
trois états, et j’y re-
trouvé les aspects suc-
cessifs de la nature,
puisque la nature chan-
ge, modifie ses effets à
chaque instant. Le mê-
me site qui séduisait
— Portrait de M. D... Corot à l’aube nais-
sante, le laissait indif-
férent à huit heures du matin, parce qu’alors on voyait tout, l’œil
n’a^ait plus rien à deviner. Nos artistes actuels pensent autre-
ment. Pour eux, rien de ce qui est la nature n’est insignifiant.
Peut-être ont-ils raison de répartir leur culte en prières du matin,