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2

l’art français

JULES BRETON

LE TARDON A KERGOAT

Pendant plus de trente ans, à côté de Millet, non à sa
suite, M. Jules Breton a poursuivi cette noble entre-
prise de fixer dans une série de tableaux qui en seront
comme autant d’épisodes, le poème complet de la vie
des champs.

Tandis que Rousseau, Daubigny, Corot inondaient
de lumière et d air les poudreuses compositions de
l’école pseudo-classique, Jules Breton, comme Millet,
regardait les gens de la terre et tous deux tentaient
de remplacer les antiques figurines conventionnelles
par des êtres réels, bien rustiques, construits pour vivre
et se mouvoir sur les vrais terrains, sous les vrais
arbres du paysage renouvelé.

Génie contemplateur et attristé, Millet a surtout res-
senti la misère du paysan que la nécessité attache à la
glèbe, luttant avec elle, façonné par elle. Aussi quand
on étudie la série de son oeuvre, voit-on l’homme
absorbé peu à peu parle rayonnement toujours plus
puissant de la nature.

Debout d’abord aux premiers plans, bientôt il s'é-
loigne, s'atténue dans l’infini mélancolique des terres
labourées et des landes. A la fin même, témoin la
Charrue, un des derniers et non des moins admirables
tableaux du maître, il disparaît, invisible mais présent
encore, grâce aux fortes marques de son labeur.

Moins puissamment naturaliste peut-être que Millet,
virgilien plutôt, M. Jules Breton semble, sous l’in-
fluence d'un mode particulier de vision, avoir suivi la
route contraire.

Chez lui, de jour en jour, de tableau en tableau, le
personnage prend plus d’importance et le paysage se
subordonne.

La transformation apparaît surtout dans sa Glaneuse,
exposée en 1877 et maintenant au Luxembourg, figure
de grandeur nature, mais qui, par l'allure et les propor-
tions, paraissant de taille plus qu’humaine, tient tout le
premier plan et remplit le cadre.

De face, pieds nus dans les chaumes, la main gauche
à la hanche et le bras relevant l’épaule, elle porte une
lourde gerbe-dont sa main droite ramenée saisit à plein
poing les barbes flottantes. Le tablier noué, lourd de
glanes, la coiffe fripée sur les cheveux noirs, la jupe
usée, la chemise de toile que.la chaleur du jour a amol-
lie, prennent, tout” réels qu’ils sont, des plis antiques
et moulent magnifiquement ce corps robuste, sain et
doré comme un beau blé.

Le visage immobile sans dureté, sévère sans mélan-
colie, a bien l'expression idéalisée que donne à la longue j
cette vie des champs, ‘ bornéfrau creux d’un vallon, au

pli d’une colline, avec ses héroïsmes qui n'ont pas de
témoins et ses grands bonheurs solitaires. Une Cérés !
pourrait-on dire ; sans doute, et c’est là le triomphe :
une vraie Cérés paysanne !

Derrière, le crépuscule tombe. Des gerbes dressées
s’alignent, solennelles dans leur arrangement comme
des pierres druidiques ; et, à l’horizon des chaumes ras,
sous un ciel de beau soir où quelques rougeurs brillent
encore, d’autres glaneuses attardées se courbent, 1 amas-
sant un dernier épi.

Le paysage, certes ! est d’une admirable largeur; la
figure pourtant domine.

J'avais voulu, en même temps que la 'Bénédiction des
blés, revoir cette Glaneuse qui, dans sa poésie et sa fiére
rusticité, symbolise si hautement le génie du maître; et,
comme autrefois, pour me rendre au Musée, je suivais,
au long des jardins, la grille de la rue de Vaugirard par
dessus laquelle les lilas attardés tendent leurs premières
branches vertes.

Que de fois, à cette saison, l’ouverture du Salon
approchant, ne m'est-il pas arrivé de rencontrer là
Jules Breton et ses deux frères : Lmile Breton, l'origi-
nal paysagiste, et Louis Breton, peintre aussi à ses heu-
res de loisir, mais peintre modeste et anonyme.

Jules et Louis, avec leurs souples barbes blondes se
ressemblaient tellement, que je les confondais presque
à tout coup; et mes distractions étaient une source de
joie.

Jules Breton, qui est un sincère et délicat poète, ne
manquait jamais de me montrer quelque sonnet frais
éclos, quelques vers de son poème : Jeanne, quelques
pages de ses mémoires. Emile me rappelait les heures
amies passées à courir le long des flots bleus, sur le
sable ou sur les galets, là-bas, du côté d’Antibes; et le
bon Louis me faisait jurer d’aller à Courriéres, un vil-
lage du Pas-de-Calais, berceau de la famille, où il était
maire; je jurais toujours et n’y allais jamais.

Maintenant, il serait trop tard! le bon Louis vient de
mourir. Jules Breton me l’apprenait l’autre jour en une
lettre débordante de désolation fraternelle...

Avec la Glaneuse j’ai donc revu cette Bénédiction des
blés par où, en 1857, le renom du maître s’imposa, aussi
fraîche qu’au premier jour, dans les rayons frisants du
soleil qui se lève, et vibrante comme un chant matinal
d’alouette en train de secouer la rosée de ses ailes au-
dessus des blés encore verts.

Le thème de la Bénédiction des blés et celui du Pardon à
Kergoat qu'on admirera au prochain Salon ne sont pas
sans analogie.

Comme la Bénédiction des blés, le ciPardon à Kergoat
représente une procession. Mais, par un retour vers la
Bretagne, qui semble le solliciter de je ne sais quel vague
 
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