Cinquième année. — N° 231.
LE NUMERO : 25 CENTIMES
SAMEDI 27 SEPTEMBRE 1891
LART FRANÇAIS
Revue Artistique Hebdomadaire
Directeur littéraire : Directeurs artistiques :
FIRMIN JAVEL Bureaux : 97 , rue Oberkampf, à Paris SILVESTRE & Cic
ABONNEMENTS. — Paris & Départements : un an, 12 francs; six mois, 7 francs. — Union Postale : un an, 1S francs; six mois, 8 francs.
NOS ILLUSTRATIONS
SALON DE 189I (Champs-Elysées)
L’ Amour chantant révèle chez
M. Eu trope Bouret un profond
respect de la tradition grecque.
La forme, ici, s’affine et s’épure
comme il convient dans une fi-
gure allégorique. On peut se
dispenser de recourir, en effet, à
la forme « naturaliste » pour
représenter un enfant nu, avec
une guitare et des ailes dans le
dos. Pour mon plaisir personnel,
j’eusse peut-être souhaité, dans
tout ceci, un peu plus d’imprévu.
Cet enfant ne me paraît pas avoir
l’abandon, la vivacité, l’inces-
sante et si gracieuse mobilité des
enfants. Il est vrai que cet en-
fant-là, c’est l’Amour.
Il faut féliciter à la fois
M. Eutrope Bouret, le sculpteur,
et M. Bican, le fondeur de cette
délicate statuette de bronze, et
reporter aussi un peu de son
mérite à M. Pinedo, l’éditeur
bien connu, lui-même sculpteur
à ses heures (et l’on sait si les
heures d’un éditeur sont pré-
cieuses).
M. Aimé Perret demeure
fidèle à ses types paysannesques.
Après Millet, il trouve encore
quelque chose dans les champs.
Après ce moissonneur illustre,
il découvre encore quelques épis
et s’en fait une gerbe.
C’est ainsi que M. Perret est,
avant tout, un poète. Il aime les
grandes plaines embrumées de
buées matinales, il aime les hori-
zons aux lignes simples et enve-
loppées, sans heurts, sans déchi-
rures, il est plus épris de Corot
que de... Salvator Rosa. Quant
à ses figures, elles expriment
toujours, avec une très profonde
émotion, le caractère rêveur,
méditatif si l’on veut, du paysan.
Aujourd’hui, c’est un vieux
pâtre que nous montre M. Per-
ret, un vieux errant par les
champs avec, dans son petit œil
clignotant, une vision de l’im-
mensité.
Auparavant, c’était une belle
fille de vingt ans, assise sur, un
tertre, les yeux perdus dans i’es-
Eutrope Bouret. —- L’Amour chantant ; statue, bronze
pace. Il y avait, sur ce jeune
visage, dans ces grands yeux au
regard timide, il y avait une âme
de vierge, il y avait un reflet
d’inconsciente pureté.
Et ne croyez pas que le peintre
du ‘Baptême bressan néglige aucun
détail dans ses tableaux d’une
exécution apparemment hâtive.
Voyez, par exemple, ce bon chien,
en faction à côté de son maître, et
dites s’il 11’est pas, lui aussi,
expressif, et s’il ne ferait pas
honneur à un peintre anima-
lier?
Il y a un danger terrible pour
les peintres de genre comme
M. Henri Cain, c’est de tomber
dans la romance. Cette chute, je
me hâte d’ajouter que le jeune
artiste ne l’a pas faite, et j’en
suis persuadé, ne la fera pas.
Mais je crois de mon devoir de
crier : « Gare ! » aux jeunes
gens qui seraient tentés d’abor-
der ce genre de peinture, de
leur conseiller d’en essayer un
autre et même plusieurs autres,
à moins qu’ils ne soient per-
suadés que leur mission est
d’égaler Terburg ou Peter de
Hoog!
En revanche, le peintre de
scènes mondaines ou bour-
geoises n’est jamais embarrassé
par le choix d’un sujet. Tout ce
qui est aquilon aux autres pein-
tres, lui semble zéphir. Il n’a
qu’à observer ce qui se passe
sous ses yeux. Ses tableaux
s’arrangent tout seuls —■ pour
peu qu’il sache les choisir et les
composer sans qu’on y sente le
moindre effort !
Dans l’aimable saynète que
nous reproduisons aujourd’hui
d’après M. Henri Cain, tout le
monde sourit. Il y a une char-
mante antithèse entre cette fil-
lette en robe blanche et cette
mère-grand que le bonheur et la
tendresse rapprochent. Toute
une famille heureuse évolue au-
tour de l’enfant, et dans l'esprit
du peintre, on devine cette pen-
sée, si humaine et si vraie, que
cette enfant tient la vie de
tout ce monde dans ses petites
mains.
F. J.
LE NUMERO : 25 CENTIMES
SAMEDI 27 SEPTEMBRE 1891
LART FRANÇAIS
Revue Artistique Hebdomadaire
Directeur littéraire : Directeurs artistiques :
FIRMIN JAVEL Bureaux : 97 , rue Oberkampf, à Paris SILVESTRE & Cic
ABONNEMENTS. — Paris & Départements : un an, 12 francs; six mois, 7 francs. — Union Postale : un an, 1S francs; six mois, 8 francs.
NOS ILLUSTRATIONS
SALON DE 189I (Champs-Elysées)
L’ Amour chantant révèle chez
M. Eu trope Bouret un profond
respect de la tradition grecque.
La forme, ici, s’affine et s’épure
comme il convient dans une fi-
gure allégorique. On peut se
dispenser de recourir, en effet, à
la forme « naturaliste » pour
représenter un enfant nu, avec
une guitare et des ailes dans le
dos. Pour mon plaisir personnel,
j’eusse peut-être souhaité, dans
tout ceci, un peu plus d’imprévu.
Cet enfant ne me paraît pas avoir
l’abandon, la vivacité, l’inces-
sante et si gracieuse mobilité des
enfants. Il est vrai que cet en-
fant-là, c’est l’Amour.
Il faut féliciter à la fois
M. Eutrope Bouret, le sculpteur,
et M. Bican, le fondeur de cette
délicate statuette de bronze, et
reporter aussi un peu de son
mérite à M. Pinedo, l’éditeur
bien connu, lui-même sculpteur
à ses heures (et l’on sait si les
heures d’un éditeur sont pré-
cieuses).
M. Aimé Perret demeure
fidèle à ses types paysannesques.
Après Millet, il trouve encore
quelque chose dans les champs.
Après ce moissonneur illustre,
il découvre encore quelques épis
et s’en fait une gerbe.
C’est ainsi que M. Perret est,
avant tout, un poète. Il aime les
grandes plaines embrumées de
buées matinales, il aime les hori-
zons aux lignes simples et enve-
loppées, sans heurts, sans déchi-
rures, il est plus épris de Corot
que de... Salvator Rosa. Quant
à ses figures, elles expriment
toujours, avec une très profonde
émotion, le caractère rêveur,
méditatif si l’on veut, du paysan.
Aujourd’hui, c’est un vieux
pâtre que nous montre M. Per-
ret, un vieux errant par les
champs avec, dans son petit œil
clignotant, une vision de l’im-
mensité.
Auparavant, c’était une belle
fille de vingt ans, assise sur, un
tertre, les yeux perdus dans i’es-
Eutrope Bouret. —- L’Amour chantant ; statue, bronze
pace. Il y avait, sur ce jeune
visage, dans ces grands yeux au
regard timide, il y avait une âme
de vierge, il y avait un reflet
d’inconsciente pureté.
Et ne croyez pas que le peintre
du ‘Baptême bressan néglige aucun
détail dans ses tableaux d’une
exécution apparemment hâtive.
Voyez, par exemple, ce bon chien,
en faction à côté de son maître, et
dites s’il 11’est pas, lui aussi,
expressif, et s’il ne ferait pas
honneur à un peintre anima-
lier?
Il y a un danger terrible pour
les peintres de genre comme
M. Henri Cain, c’est de tomber
dans la romance. Cette chute, je
me hâte d’ajouter que le jeune
artiste ne l’a pas faite, et j’en
suis persuadé, ne la fera pas.
Mais je crois de mon devoir de
crier : « Gare ! » aux jeunes
gens qui seraient tentés d’abor-
der ce genre de peinture, de
leur conseiller d’en essayer un
autre et même plusieurs autres,
à moins qu’ils ne soient per-
suadés que leur mission est
d’égaler Terburg ou Peter de
Hoog!
En revanche, le peintre de
scènes mondaines ou bour-
geoises n’est jamais embarrassé
par le choix d’un sujet. Tout ce
qui est aquilon aux autres pein-
tres, lui semble zéphir. Il n’a
qu’à observer ce qui se passe
sous ses yeux. Ses tableaux
s’arrangent tout seuls —■ pour
peu qu’il sache les choisir et les
composer sans qu’on y sente le
moindre effort !
Dans l’aimable saynète que
nous reproduisons aujourd’hui
d’après M. Henri Cain, tout le
monde sourit. Il y a une char-
mante antithèse entre cette fil-
lette en robe blanche et cette
mère-grand que le bonheur et la
tendresse rapprochent. Toute
une famille heureuse évolue au-
tour de l’enfant, et dans l'esprit
du peintre, on devine cette pen-
sée, si humaine et si vraie, que
cette enfant tient la vie de
tout ce monde dans ses petites
mains.
F. J.