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PHILÉMON ET BAUCIS

Une seule fois, en cinquante ans de mariage, le bon
monsieur Christol et la Christole, sa femme, se dispu-
tèrent.

C’était à leur vigne des Coudoulets, tout près de la
ville. Ils avaient mis la table devant la cabane, et le soir
approchant, ils attendaient l'heure du dîner, heureux,
comme tous les vieil-
lards, de cet apaisement
des choses qu’apporte la
fin d’un beau jour.

Sur la table, aux reflets
du couchant, brillait,
fleurie de salpêtre et de
moisissures, une bou-
teille de clairet muscat,
la dernière ! car depuis
longtemps la maladie
avait tué les souches, et
monsieur Christol, trop
vieux, ne se souciait
plus de replanter ; tandis
qu’à l’intérieur de la
cabane, dans l’unique
chambre qui servait
aussi de cuisine, un plat
de pigeons préparé par
la Christole se mijotait,
mêlant sa légère musi-
que an tintement d’une
fontaine, au bruit de
l’air frais dans les ar-
bres, et son appétissante
odeur au parfum de
quelques pieds de balsa-
mine que monsieur Christol venait d’arroser.

Al Christol et la Christole célébraient ainsi tous les
ans l’anniversaire de leur mariage.

Au loin, assombris déjà par l’ombre allongée des
montagnes, comme dans un vers de Virgile, les toits
de la ville fumaient. Parmi tant de toits, la Christole
cherchait — espoir toujours déçu — à découvrir le toit
de leur vieille maison, et Ad. Christol, bien plus loin, par
delà la ville, sur la colline, regardait, souriant, 1 enclos
du cimetière encore baigné du soleil et.plein d’arbres
verts où se mêlaient des tombes blanches.

Ad. Christol et la Christole se taisaient.

1 ont à coup, au-dessus de leurs têtes, dans une belle
cage en roseaux luisants, construite des mains de
AI. Christol, chanta: — «Teï... téreï! » une caille appri-

voisée qu’ils avaient apportée le matin avec eux pour
qu’elle pût jouir un peu de la campagne.

Et Ad. Christol, à qui la contemplation du lointain
cimetière ensoleillé inspirait sans doute des idées
de douce mélancolie, soupira, continuant une phrase
intérieurement commencée :

•—- Donc, mignonne,
quand je serai mort, tu
prendras bien soin de la
caille?

— Soin de... Com-
ment as-ru dit ? ht la
Christole.

— Eh! oui, soin de
la caille, quand je serai
mort.

— Ainsi, Christol, tu
comptes mourir avant

moi !...

Et la Christole suffo-
quée, levant les mains
au ciel comme pour le
prendre à témoin, s’é-
criait :

— Avant moi ! I)
compte mourir avant
moi. Voilà bien l’égoïs-
me des hommes.

% | I | Mais le bon Ad. Chris-

&. miW a i r toi, malgré sa bonne

âme n’était pas médio-
crement têtu :

— Allons!... il paraît
que maintenant on n’est
plus libre de partir à son heure... Mon tour est venu
cependant, il n’y a pas à chanter «bel ami ». D’abord,
j’ai dix ans de plus que toi.

— Dix ans, dix ans, si l’on peut dire? Neuf ans et un
mois, pas un jour de plus! Dix ans? pourquoi pas
vingt?... Où vase nicher la gloriole?... Sans compter
que si les années de chagrin valent double, avec la vie
que tu m’as faite, je suis ton aînée de moitié.

— Voyons, mignonne, tu exagères...

— Comment? J’exagère! quand monsieur, vert
comme un pin, tort comme un sabre, monsieur, qui
boit sans eau, marche sans canne et lit sans lunettes,
ose parler de mourir le premier, là, effrontément,
comme si c’était chose naturelle.

— Il me semble assez naturel, en effet...
 
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