Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Überblick
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
LA MESSE DE MINUIT!

CONTE DE NOËL

Depuis trois jours, l’être chéri n’était plus 1 Pour Henri Bourbon.

Trois jours, frissonnante d’une fièvre de douleur et l’âme suffocant de cruels sanglots de deuil, elle avait — la Mère — avec

la force des convictions irréfléchies, attendu Pinespérafile retour du
disparu.

Elle avait pourtant vu les hommes noirs de la mort porter au cimetière la
légère dépouille, et elle ne pouvait croire à cet Irréparable !

Son enfant ! les espérances longuement thésaurisées dans la suite
des douleurs, l'orgueil de la mère, accru de l’amour de la femme, tout,
tout cela, évanoui dans un râle !

Et la douloureuse tristesse de la mère en deuil s’ac-
croissait du bonheur des deux mois d’allaitement. Deux mois ! le temps
d’aimer la voix vagissante, de comprendre les gestes ébauchés, de s’enivrer
des sourires informes, ie temps d’aimer enfin, et rien plus
n’existait !

Ainsi va le bonheur...

... Et plus rien n’existait!.. Rien que le vide affreux,
l’intolérable séparation, — cette souffrance hors nature —
à laquelle on ne se résigne point, et les rêves illu-
minés de folie où l’espérance renaît, où la pensée se
torture dans un espoir que balaye implacablement la minute
d’après !...

.... Depuis trois jours. Elle demeure à la fenêtre, les regards sans cesse
tournés vers là-bas,..

Là bas ! c’est le noir cimetière, dans le village au loin ; c’est la terre
boueuse et grasse des fosses argileuses ; c’est le champ du repos
autour de la triste église ; là bas, c’est la tombe !....

Et sur sa poitrine désormais inutile, les bras de la mère se

serrent en un frisson, comme pour réchauffer le fantôme de ren-

voie. Oh! qu’importe le froid de cette nuit de décembre, qu’im-
porte l’heure tardive que signale le chant des cloches proclamant le
Noël liturgique ; elle est la toujours, la pauvre désolée, fouillant
d’un œil hagard les ombres caressantes de la nuit bleue.

Mais voilà que brillante — au ciel — une étoile, radieuse et conso-
ante, semble un sourire de Dieu qui appelle la mère.

Frémissante au-dessus du cimetière, n’est-elle point l’âme de l’ange au ciel ?
Alors, dans la nuit, marche la femme en deuil. Et, ainsi que les rois
Mages, guidés par une étoile, allaient jadis célébrer la naissance de YEnfani-
Dieu, les yeux fixés sur l’astre, elle va, malheureuse ! prosterner sa douleur
' sur le tombeau de Y Enfant-Mort !...

Maintenant, autour d’elle, tout frémit dans la nuit. De sifflantes rafales passent, les
arbres s’agitent sous l’effort de la bise, et tandis que les herbes frissonnent et que
bruissept les feuilles, des larmes d’épouvante inondent le visage delafemme, se mêlant
aux pleurs du désespoir :

« C’est le vent qui souffle et fait rage
la fait pleurer ! »

..... Sur cette terre de tombe fraîchement remuée, enfin elle s’est agenouillée, de fatigue

\ " et de piété. Et ses prières montent au ciel, pendant que des baies de l’église des lumières,

en ruissellement, profanent l’éternel repos des morts.

Puis, voilà qu’avec fracas, les cloches retentissent dans le clair silence ; et, dans la nuit, limpide-
ment, des voix s’élèvent entonnant l’hymne joyeux : ELoël, Noël !

Noël ! Noël ! — oh ! ce chant d’allégresse et de NLahvitèl
Et toute droite, avec la pâleur et la rigidité des douloureuses statues, la femme a resurgi! Les yeux sont sans
larmes et son cerveau sans pensée, mais dans ses mains, sa tête bourdonne. Convulsivement, un tremblement agite son corps de fantôme, et a ses
tempes, perle la sueur froide des amertumes mortelles, tandis qu’à ses lèvres, oublieuses des amours passées, montent les malédictions du blasphémé !
Dans l’église, toujours la religieuse harmonie des chants joyeux se répand.

Maudites soient-elles ces voix qui annoncent ainsi qu’il est né le divin enfant !

.Au cœur de la mère est-ce un glas funèbre qui résonne ou bien les délices caressantes d’une mélodie celeste ?... Sa pupille se dilate, et

anxieuse, la désormais folle, écoute. Telle l’audition d’un prestigieux concert—

O symphonie étrange de folie ! Sur son front ruisselant une à une s’épandënt, sonores sur la pierre du sépulcre, les larges gouttes
de sueur, et distinctement elle paraissent rythmer à l’oreille de la mère l’infernale tristesse des ‘De profundis. Dans le temple, les enfants
de chœur chantent l’hymme de triomphe : Gloria in excelsis deo !

Alors, aux échos de cette'messe de mort, l’âme en deuil s’est^envolée. La minute d’après, une étoile de plus scintillait au ciel bleu.

HENRI BRÉMONTIER
 
Annotationen