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Les ‘-Petites ÏNoëltes

A Georges d'Espurbès — Présage!

Le marquis et la marquise de Chazeux étaient de vieilles gens; leurs-
visages étaient à peine ridés, mais la poudre qu’ils persistaient à répan-
dre sur leurs cheveux était moins blanche que celle, des années. Ils
continuaient, autant par habitude que par principe, à porter les habits
brochés et les manchettes de Valenciennes d’autrefois, feignant de ne
point voir que tout se transformait autour d’eux, et sortant peu, afin
-d éviter l’offensante badauderic des passants.

Leur castel était à l’avenant. Les portes grinçaient, les murs se quadril-
laient de lézardes, et dans les appartements religieusement clos, de larges,
plaques d’humidité sans cesse grandissantes, s’étalaient sur les tentures
ou crevassaient les'plafonds.

tri, ces bizarres châtelains étaient aimés dans le pays pour leur bienfaisance inépuisable et
malgré qu ils lussent fort dévots. 11 est vrai de dire qu’ils étaient très convaincus, et que les
gens de bonne loi les en estimaient davantage.

Aux solennités liturgiques, le château s’animait, soit qu’il fallût édifier des reposoirs dans le
parc pour la Lète-Dieu, soit que l’on coupât les haies touffues de buis, pour le distribuer
le jour des Rameaux, après la bénédiction.

Il y avait ainsi a (.hazeux nombre de cérémonies naïves et sans ostentation,toujours les mêmes,
qui ne changeaient jamais que pour s’embellir, et qui se terminaient invariablement par des
largesses.

Parmi ies touchantes pratiques en honneur au château, était l'adoration du petit Jésus que chaque
Xoel ramenait nv cc lui.

.vlors, on établissait dans le grand salon, une crèche à laquelle la marquise donnait tous ses soins, et c’était merveille de voir sous le lus-
tre dc.'Catlieri un gros bouquet de verdure, ait milieu duquel Feulant rose souriait en ouvrant ses petits bras. On allumait toutes les bougies
et les portes s ouvraient au large sur le coup de minuit, pour que les villageois pussent contempler l’auguste bambin. Personne n’avait garde
de manquer au pèlerinage, d’abord, parce qu’on voulu.t admirer le chcl-d’œuvre de madame la marquise et puis, parce qu’un superbe
réveillon était offert a tout venant, l e châtelain et sa femme, en grands atours, luisaient eux-mêmes les honneurs, parlaient à chacun, distri-
buaient des vêtements et de l'argent, tant et si bien que l’on se séparait joyeux avec le seul regret que le prochain Noël fût si loin. Tous les
ans, lesr mêmes réjouissance? recommançaient, et la marée de l’incrédulité avait beau monter au dehors, les visiteurs redevenaient chrétiens

pour la circonstance. ■

Hélas! Tout â une fin. Après un beau Noël, le marquis mourut et la marquise, très vieille aussi, mais surtout épuisée par les pénibles veilles
passées au chevet de son mari, le suivit à peu de distance. Au moins, ils s'éteignirent tranquilles comme des gens pour qui le mot « remords a
ne figure que dans les dictionnaires. Us furent seulement contristés de ne pas partir ensemble ainsi qu’ils avaient vécu, mais ils ne s’atten-
dirent pas longtemps, et le curé consola les gens du village en leur disant que le petit Jésus, toujours reconnaissant, les avait reçus à son
tour dans ses beaux salons du Paradis et qu’ils n’avaient pas perdu au change.

Le jour d’après les funérailles, un jeune neveu qui héritait vint prendre possession.

« Brrrrr, disait le comte en parcourant les appartements avec son architecte, quelle cave, mon Dieu, quelle glacière! Je vous en prie*
mon cher monsieur Durand, nettovez-moi cela bien vite.

— Ah ! Monsieur, je veux bien, mais voyez donc tout cc qu’il y a à faire. Des corniches qui pendent, des chambranles qui éclatent, des
parquets.;.

— Eh! je ne vois que trop, mais allez au plus pressé. La comtesse arrive dans huit jours; elle attend un bébé, et je ne veux pas qu’elle
trouve la mort dans cette bicoque.

On fit des prodiges et quand la comtesse arriva, elle ne reconnaissait pas Chazeux tant il était bien débarbouillé.

Sa barbe de lierre était taillée, ses fenêtres repeintes, son perron rajusté; le sable fin des allées couvrait la terre battue de jadis; de gros-
ses branches avaient été coupées pour dégager la vue, et les girouettes, copieusement graissées, viraient au moindre souffle comme de grands
oiseaux qui s’orientent. . :

Le train non plus n’était plus le même. Aux écuries des chevaux de race, aux remises des voitures â la mode, aux serres des plantés
rares, partout les détails d’une installation luxueuse et durable.

Les paysans regardaient tout avec admiration et saluaient très, bas leurs nouveaux châtelains qui ne leur répondaient pas, mais qui au moins,
« s’habillaient quasiment tout le monde et ne la faisaient pas â la pose comme les vieux, avec leurs falbalas et leurs perruques ».

Les vieux!... C’est le sort des êtres bons d’être tôt oubliés. Avec l’écho du dernier De Prof midis, s’en, était allé le souvenir de leurs bienfaits, car
la simplicité n’impose guère. Les portes étaient fermées maintenant, mais elles étaient neuves, les salons étaient inaccessibles mais on les
savait somptueux et puis, on était fier de se dire de Chazeux, du pays où il y avait un si beau château ; l’envie a de ces amours propres !

Le comte et la comtesse toujours en réceptions et en galas avaient l’horreur du paysan, au point de détendre au jardinier de venir rendre
lui-même ses comptes. Ils ne sortaient qu’en voiture pour aller à des châteaux voisins et jamais ne s'arrêtaient dans le village. C étaient des
gens très et select » qui ne donnaient rien à la campagne, afin de pouvoir couvrir d’or,â Paris, quelques dames patronesses ou payer très cher
des places et des programmes dans des concerts de charité. Leurs cœurs battaient pour les malheureux, mais seulement dans la poche et les
comités spéciaux qui le savaient bien, leur tiraient louis par fouis des sommes considérables.

Ils donnaient comme on perd au jeu, par chic. C’était bien un peu moins glorieux, puisque c’était moins inutile, mais ils en retiraient nean-
moins beaucoup d’honneur, ayant été classés par certaines douairières, présidentes d’œuvres, dans la catégorie des gens indéfiniment exploitables..
 
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