Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Überblick
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
SUPPLÉMENT A L'ART FRANÇAIS

Quant à leur religion, elle se réduisait à quelques obligations essentielles mais peu
gênantes: la messe d’une heure à la Madeleine et les sermons de quelques gros moines
en vogue, où les gens du monde devaient être vus. Ils y faisaient leur persil
quand le temps ou l’heure les éloignaient des Accacias et leur vie se partageait
ainsi entre leurs bonnes œuvres et la pratique de leur foi.

Mais, encore un coup, hors de Paris, c’était tout autre.

Un jour même que la comtesse avait ouvert une vieille armoire, elle l’avait trouvée remplie
de minuscules brassières de laine, celles que la marquise avaient préparées pour ses petits
vassaux, et elle avait dédaigneusement donné l’ordre qu’on s’en servît pour faire briller
les parquets.

Aussi, quand ils se furent bien divertis à regarder le beau monde et les voitures luisantes, et
que les premiers froids leur rappelèrent le mauvais état de leurs habits, les gens de Chazeux pensèrent
que les vieux avaient du bon et ils dépêchèrent le curé, pour savoir si l’on aurait au moins quelque chose
~à la Noël, puisque l’attente du bébé allait retenir Monsieur .et Madame pendant une grande partie de l’hiver.
Il y alla, le bon homme, d’abord un matin vers onze heures et demie, mais il y avait eu réception la
veille au soir, et personne n'était levé. Il y retourna le lendemain et, cette fois, on le fit entrer dans le
fumoir, où il trouva le comte les pieds allongés sur la cheminée.

Il était intimidé, ne sachant comment présenter sa requête, pourtant de fil en aiguille il la débita si bien que le comte dut attendre
la fin avant de placer un mot.

a Mon Dieu Monsieur le curé, répondit-il, je vous remercie de vos bonnes exhortations, mais nous sommes ici pour y vivre
dans le calme et l’économie. Nous faisons beaucoup de bien à Paris afin d’être libres le reste du temps. Quant à la crèche
de Noël et surtout à sa publicité, je vous dirai que je n’aime que fort peu voir ma maison envahie par des inconnus,
reste la comtesse attend sa délivrance d’un jour à l’autre et elle ne supporte pas la moindre fatigue. Pardieu
Monsieur le curé, continua-t-il en riant, mon petit Noël à moi, ce sera le gros garçon que j’attends. Oui, des
hommes de l’art qui s’y connaissent m’ont annoncé un garçon, et vous pensez si sa future mère et moi, nous
nous réjouissons; tenez, voyez... ■»

En disant ces mots, il venait d’ouvrir une porte et, tandis qu’une bonne bouffée de lavande et de
vetyver entrait dans le fumoir, le curé aperçut un grand berceau tout blanc et enrubanné, puis,
sur des consoles, une layette de fine toile. Au coin de chaque objet, on avait brodé une petite
couronne de vicomte et, comme le gros garçon devait s’appeler Gontran, des G gracieux
enroulaient dessous leurs arabesques.

frf

Du


F*

. é.

B4

Le curé s’en alla—

La veille de Noël sur le soir, la comtesse fut prise d’un malaise ^ui prouva que le
dénouement était proche. Un palefrenier courut à la ville cheichei deux médecins et
ceux-ci dès leur arrivée confirmèrent toutes les prévisions. On hâta les préparatiis,
pendant que le comte trop ému pour demeurer là, faisait les cent pas dans son
fumoir.

Il allait, tournait, réfléchissait; une inquiétude s’emparait
de lui et il avait beau se faire des raisonnements écrasants
de logique, cette paternité lui survenant tout juste dans
la nuit de, Noël, lui suggérait des pensées graves. Il
s’en voulait d’avoir éconduit le curé et il sentait
poindre de petits remords car, la peur aidant, il rede-
venait croyant, tandis qu’autour de. lui des présages de
de vengeance divine planaient.

Au moment où le petit cartel gazouillait minuit, un
deg docteurs entra et dit en souriant :

« Monsieur, vous n’aviez pas songé à la crèche,
nous avons heureusement découvert au grenier, celle
qui servait chaque année à M. le marquis votre oncle
pour ses dévotions et c’est très à-propos, car le
joli berceau n’aurait pas suffi.

— Pourquoi ? » interrogea le comte déjà blême
d’angoisse.

Le docteur prit son temps et, toujours
armé de son infernal sourire, dit seule-
ment :

« Deux filles ! »

Le comte s’écroula avec un geste à
la Julien l’Apostat et le docteur disparut
pQur aller voir si tout allait bien.

GÉRARD DE BEAUREGARD.
 
Annotationen