SUPPLÉMENT A L’.IRT FRANÇAIS
FILLE DE SAVANT
Vous les rencontrerez tous deux au Luxembourg ;
— Car il est bon parfois de respirer l’azote ■—
Elle, le conduisant; lui, marchant d’un pas lourd;
Toujours distrait, toujours plongé dans quelque note.
Entre temps, le Bonhomme, assurant sa calotte,:
.Fait halte et se récite un fragment de son cours;
Et l’En-loul-cas' au sable entrelace ses tours.
Comme s’il commentait ce jargon polyglotte:
Le soir, pour la distraire, il lui fait copier,
— En allongeant souvent sou doigt vers le papier —
Des choses qu’elle moule avec un soin extrême ;
El, le devoir fini, fatiguée, un peu blême,
Songeant à quelqu hymen qu’il lui faut oublier,
Elle fredonne un air triste,
— Toujours le même !
HENRY D’ERVILLE
NOS «IMAGES»
Oui, certes, des images ! Pourquoi récrire ce vocable imposant
à'illustrations quand l’occasion est si belle d’évoquer par un mot
nos beaux rêves gris ou coloriés de jadis ? Pourquoi, en célébrant
la fête de l’Enfant par excellence, ne point parler pour tous les
enfants grands et petits que nous sommes ?
Oh ! le terme n’a rien d’avilissant car si, à force de voir, nos
yeux se sont blasés, les images sont devenues plus belles. Vous
ne battrez plus des mains il est vrai, vous ne jetterez plus de bons
cris de joie mais vous admirerez ces visions divines que le génie
des maîtres nous renvoie comme un prisme, en leur prêtant
ses prestigieuses couleurs.
Quelle richesse dans ce monde de Nativités, de Saintes-Familles,
d’Annonciations créées par d’illustres pinceaux dont personne ne
peut se flatter de connaître le nombre. A ceux à qui l’idée reli-
gieuse ne suffirait pas pour expliquer cette abondance, il faut dire
que ces sortes de thèmes furent pour les peintres ce qu’est la sym-
phonie pour les musiciens, l’occasion d’aborder toutes les nuan-
ces, d’exprimer tous les sentiments, depuis la gravité d’un Saint
Joseph jusqu’à la candeur d’une madone, depuis l’insouciance
de l’enfant qui comprend à peine, jusqu’à la sérénité des Anges.
C’est d’abord la ÙvCadone de l’Espagnol Murillo, captivante d’in-
nocence avec une pointe d’espièglerie féminine, et, si nous passons
aux Italiens,, la Vierge mélancolique de Mantegna, Y Annonciation
d’Andrea del Sarto où l’infidèle Lucrezia del Fede comme tou-
jours reparaît avec son expression énigmatique
, mais charmeresse. Quelle grâce aussi dans ce
groupe de Gérard de Notti éclairé par le bam-
bino, divin soleil dont les rayons se répandent
alentour. Encore un idéal, cette Vierge de
Carlo Dolci plus pure que ses lys, sans parler
du poupon ni de son sourire. Puis voici que
le Titien nous montre non plus une vierge
mais une femme. Certes elle,est toujours la
chaste créature de la légende mais un sang plus
ardent bouillonne dans ses veines; des éclairs
de volupté jaillissent de ses yeux que les
paupières couvrent sans les cacher ; les chairs
sont pleines, éclatantes au point de rappeler
l’exubérante Laura, et pourtant ce n’est pas elle
car le regard se baisse et la beauté du sein n’est
que devinée. Une dernière note enfin nous est
donnée par le Barroche dans sa Madone de
St-Jérome. Dites s’il se trouve quelque autre
part plus de grâce câline, plus d’abandon dans
le geste, plus de velours dans les regards,
plus d’harmonie et de laisser-aller dans le grou-
pement ; ce serait piesque profane si au centre
ne rayonnait le virginal visage, brillant de
l’inaltérable pudeur.
L’Allemand encore, comme Durer, caresse
une fiction. Il pourchasse son rêve au-delà des
réalités, mais avec le Hollandais ou le Flamand,
c’est bien fini et nous n’aurons plus que des por-
traits de gens et de choses, admirables par l’exé-
cution, l’expression et le cadre, mais toujours des
portraits. La Vierge de Van Goes est une esti-
mable femme d intérieur, économe et modeste
dont l’appartement tout luisant témoigne en sa
faveur; je conviens que c’est aussi un idéal,mais
surtout pour les bonnes mères qui ont un fils à
marier. -
On dira de même de la prestigieuse Sainte-Famille de Rem-
brandt, que c’est une oeuvre magnifique pour le dessin, pour cette
introuvable lumière dont il a le secret, pour la grâce délicieuse
du groupe, mais qu’il n’y a pas là de vierge et qu’on n’y découvre
que la femme du menuisier. Encore a-t-il sur Philippe de Cham-
paigne l’immense avantage d’avoir fait des êtres bien vivants, car
ia ^Présentation au Temple avec d’étonnantes qualités ne dépasse
pas le charme d’un bon prix de Rome. Van Dyck nous donne une
illusion avec la tête si pure de sa Vierge, bien éthérée pour son
pays, mais l’enfant ne laisse aucun doute sur son origine teutonne.
Saluons enfin l’idéal moderne dans la délicieuse aquarelle de
M1!e Houssay : L’Enfant-Dieu.
A côté de ces magistrales compositions, n’oublions pas de citer
les gravures de la Vierge aux rochers de Léonard de Vinci, du
IMariage de la Vierge, d’une Sainte-Famille par Rubens, d’une
Vierge du Carrache, et surtout la superbe et délicate interpréta-
tion que M, Adrien Didier, l’éminent graveur, nous a donnée
d’une Vierge de Paul Véronèse; elle mérite de fixer l’attention
aussi bien par la finesse de la gravure que par la fidélité complète
de la traduction.
Je voudrais aussi consacrer quelques lignes aux belles « ima-
ges » confondues dans le texte, mais la place me manque, et à
défaut des bonnes choses que j’aurais voulu dire, je me conten-
terai de féliciter, en les remerciant : M. C. Toché, le puissant
décorateur, dont la lumineuse allégorie -flamboie en tête ;
Mraes la Csse de la Fargue et Janel, MM. J. Rouffet, P. Carrey,
L. Laporte, E. Gourtois et enfin notre ami et rédacteur en chef
F. Javel, les très distingués illustrateurs... pardon, « ymaigiers » *
du présent numéro. Villerest.
FILLE DE SAVANT
Vous les rencontrerez tous deux au Luxembourg ;
— Car il est bon parfois de respirer l’azote ■—
Elle, le conduisant; lui, marchant d’un pas lourd;
Toujours distrait, toujours plongé dans quelque note.
Entre temps, le Bonhomme, assurant sa calotte,:
.Fait halte et se récite un fragment de son cours;
Et l’En-loul-cas' au sable entrelace ses tours.
Comme s’il commentait ce jargon polyglotte:
Le soir, pour la distraire, il lui fait copier,
— En allongeant souvent sou doigt vers le papier —
Des choses qu’elle moule avec un soin extrême ;
El, le devoir fini, fatiguée, un peu blême,
Songeant à quelqu hymen qu’il lui faut oublier,
Elle fredonne un air triste,
— Toujours le même !
HENRY D’ERVILLE
NOS «IMAGES»
Oui, certes, des images ! Pourquoi récrire ce vocable imposant
à'illustrations quand l’occasion est si belle d’évoquer par un mot
nos beaux rêves gris ou coloriés de jadis ? Pourquoi, en célébrant
la fête de l’Enfant par excellence, ne point parler pour tous les
enfants grands et petits que nous sommes ?
Oh ! le terme n’a rien d’avilissant car si, à force de voir, nos
yeux se sont blasés, les images sont devenues plus belles. Vous
ne battrez plus des mains il est vrai, vous ne jetterez plus de bons
cris de joie mais vous admirerez ces visions divines que le génie
des maîtres nous renvoie comme un prisme, en leur prêtant
ses prestigieuses couleurs.
Quelle richesse dans ce monde de Nativités, de Saintes-Familles,
d’Annonciations créées par d’illustres pinceaux dont personne ne
peut se flatter de connaître le nombre. A ceux à qui l’idée reli-
gieuse ne suffirait pas pour expliquer cette abondance, il faut dire
que ces sortes de thèmes furent pour les peintres ce qu’est la sym-
phonie pour les musiciens, l’occasion d’aborder toutes les nuan-
ces, d’exprimer tous les sentiments, depuis la gravité d’un Saint
Joseph jusqu’à la candeur d’une madone, depuis l’insouciance
de l’enfant qui comprend à peine, jusqu’à la sérénité des Anges.
C’est d’abord la ÙvCadone de l’Espagnol Murillo, captivante d’in-
nocence avec une pointe d’espièglerie féminine, et, si nous passons
aux Italiens,, la Vierge mélancolique de Mantegna, Y Annonciation
d’Andrea del Sarto où l’infidèle Lucrezia del Fede comme tou-
jours reparaît avec son expression énigmatique
, mais charmeresse. Quelle grâce aussi dans ce
groupe de Gérard de Notti éclairé par le bam-
bino, divin soleil dont les rayons se répandent
alentour. Encore un idéal, cette Vierge de
Carlo Dolci plus pure que ses lys, sans parler
du poupon ni de son sourire. Puis voici que
le Titien nous montre non plus une vierge
mais une femme. Certes elle,est toujours la
chaste créature de la légende mais un sang plus
ardent bouillonne dans ses veines; des éclairs
de volupté jaillissent de ses yeux que les
paupières couvrent sans les cacher ; les chairs
sont pleines, éclatantes au point de rappeler
l’exubérante Laura, et pourtant ce n’est pas elle
car le regard se baisse et la beauté du sein n’est
que devinée. Une dernière note enfin nous est
donnée par le Barroche dans sa Madone de
St-Jérome. Dites s’il se trouve quelque autre
part plus de grâce câline, plus d’abandon dans
le geste, plus de velours dans les regards,
plus d’harmonie et de laisser-aller dans le grou-
pement ; ce serait piesque profane si au centre
ne rayonnait le virginal visage, brillant de
l’inaltérable pudeur.
L’Allemand encore, comme Durer, caresse
une fiction. Il pourchasse son rêve au-delà des
réalités, mais avec le Hollandais ou le Flamand,
c’est bien fini et nous n’aurons plus que des por-
traits de gens et de choses, admirables par l’exé-
cution, l’expression et le cadre, mais toujours des
portraits. La Vierge de Van Goes est une esti-
mable femme d intérieur, économe et modeste
dont l’appartement tout luisant témoigne en sa
faveur; je conviens que c’est aussi un idéal,mais
surtout pour les bonnes mères qui ont un fils à
marier. -
On dira de même de la prestigieuse Sainte-Famille de Rem-
brandt, que c’est une oeuvre magnifique pour le dessin, pour cette
introuvable lumière dont il a le secret, pour la grâce délicieuse
du groupe, mais qu’il n’y a pas là de vierge et qu’on n’y découvre
que la femme du menuisier. Encore a-t-il sur Philippe de Cham-
paigne l’immense avantage d’avoir fait des êtres bien vivants, car
ia ^Présentation au Temple avec d’étonnantes qualités ne dépasse
pas le charme d’un bon prix de Rome. Van Dyck nous donne une
illusion avec la tête si pure de sa Vierge, bien éthérée pour son
pays, mais l’enfant ne laisse aucun doute sur son origine teutonne.
Saluons enfin l’idéal moderne dans la délicieuse aquarelle de
M1!e Houssay : L’Enfant-Dieu.
A côté de ces magistrales compositions, n’oublions pas de citer
les gravures de la Vierge aux rochers de Léonard de Vinci, du
IMariage de la Vierge, d’une Sainte-Famille par Rubens, d’une
Vierge du Carrache, et surtout la superbe et délicate interpréta-
tion que M, Adrien Didier, l’éminent graveur, nous a donnée
d’une Vierge de Paul Véronèse; elle mérite de fixer l’attention
aussi bien par la finesse de la gravure que par la fidélité complète
de la traduction.
Je voudrais aussi consacrer quelques lignes aux belles « ima-
ges » confondues dans le texte, mais la place me manque, et à
défaut des bonnes choses que j’aurais voulu dire, je me conten-
terai de féliciter, en les remerciant : M. C. Toché, le puissant
décorateur, dont la lumineuse allégorie -flamboie en tête ;
Mraes la Csse de la Fargue et Janel, MM. J. Rouffet, P. Carrey,
L. Laporte, E. Gourtois et enfin notre ami et rédacteur en chef
F. Javel, les très distingués illustrateurs... pardon, « ymaigiers » *
du présent numéro. Villerest.