Cinquième année. — N» 256.
LE NUMÉRO : 25 CENTIMES
SAMEDI 19 MARS 1892
L'ART FRANÇAIS
Revue Artistique Hebdomadaire
Directeur littéraire : Directeurs artistiques ;
FIRMIN JAVEL
SILVESTRE & O
Bureaux : 97, rue Oberkampf, à Paris
ABONNEMENTS. — Paris 8c Départements : un an, 12 irancs ; six mois, 7 francs. — Union Postale : un an, 15 francs; six mois, 8 francs.
LE SÂLOïï DE LÀ ROSE t CROIX
SALON DE LA ROSE + CROIX
Le Salon « idéaliste » organisé par
M. Péladan vient de s’ouvrir dans les
galeries Durand - Ruel. Son but a été
nettement défini par l’organisateur, qui
disait l’autre jour à un de nos confrères :
« Nous voulons arracher Part actuel,
enfoncé dans une matérialité dégradante,
à ses méprisables errements, nous vou-
lons Pennoblir, l’épurer, le ramener au
culte du beau idéal ».
Nous laisserons de côté, s’il vous plaît,
l’extériorité un peu bien singulière du
« sâr », et son occultisme, et sa Kabbale,
et sa phraséologie compréhensible pour
ses seuls adeptes. Il est certain que lors-
qu’on entre, sans parti pris, dans cette
immense salle où l’Art symbolique mani-
feste sans contrainte, on est d’abord sur-
pris de l’aspect de certaines toiles où ~ f
l’horrible le dispute à l’absurde. Puis, * .f" ‘ .
l’œil s’habitue à ces couleurs effroyables,
à ces « concepts » d’alcooliques ou à ces
erreurs de très jeunes artistes qui confon-
dent la bizarrerie avec l’originalité. Et,
en y regardant de plus près, on découvre
des talents déjà moins tumultueux, puis on finit par distinguer,
çà et là, des oeuvres vraiment intéressantes, comme les envois
de MM. Fernand Knopff, Séon, Desboutin pèie et fils,
Anquetin, Brémond, Aman Jean, Henri Martin, Schwaler,
Chabas, Emile Bernard, Point, Bourdelle, etc. etc. En sculpture,
ceux de MM. Pézieux, Jean Dampt, Rimbaud, Charpentier,
Rességuier, Vallgren, de Niederhæsern-Rodo, etc.
La plupart de ces artistes sont des chercheurs sincères. Le na-
turalisme ne les satisfait plus. Ils estiment que l’Art ne consiste
pas à copier la nature, mais à l’interpréter, et ils s’efforcent d’ex-
primer, dans une figure, l’esprit qui l’anime. Certains, comme
M. Knopff, sont tout entiers à la peinture symbolique. Sous des
traits humains, ils enferment une passion. La volupté se person-
nifie ainsi en quelque figure de femme au regard fixe, pénétrant,
fascinateur et perfide. De même la pureté trouve, en M. Knopff,
un chantre harmonieux, un poète d’un lyrisme inoui.
M. Henri Martin, dont la grande composition intitulée A cha-
cun sa chimère, obtint un si vif succès au Salon de 1891, poursuit
ses études de colorations neuves et hardies. Une dizaine de peti-
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Henri Martin. — Étude.
tes toiles nous montrent diverses visions que le jeune maître a
traduites comme en se jouant et où frissonnent, en des clartés
sereines, de chastes figures de jeunes filles.
M. Séon est également épris d’air et de lumière et, dans sa
peinture comme dans son dessin si libre et si personnel, il excelle
à nous illusionner et à nous charmer. Lui aussi symbolise, lui
aussi exprime dans l’attitude, dans le regard, dans quelque
inflexion caractéristique donnée à un trait,, à une ligne, à un
contour, une grande joie ou une grande douleur.
Les visiteurs du Salon de la Rose f Croix ont beaucoup remar-
qué encore les Cloches, Y Art et l’Idée, Y Évangile de l’Enfance, par
M. Schwaler, les Ames déçues, par M. Hôlder — cinq vieillards
assis sur un banc, très malheureux, mais bien désagréables à
regarder —le Christ au jardin des Oliviers et le Calvaire, par
M. Emile Bernard; YErraticitè (envolée d’âmes vers l’inconnu),
par M. Chabas; — le Sommeil anesthésique, par M. Dathis; — les
délicieuses visions de M. Aman Jean, les ravissantes figures de
M. Point, les beaux fusains du sculpteur Bourdelle, les études
superbes de MM. Desboutin, etc.
LE NUMÉRO : 25 CENTIMES
SAMEDI 19 MARS 1892
L'ART FRANÇAIS
Revue Artistique Hebdomadaire
Directeur littéraire : Directeurs artistiques ;
FIRMIN JAVEL
SILVESTRE & O
Bureaux : 97, rue Oberkampf, à Paris
ABONNEMENTS. — Paris 8c Départements : un an, 12 irancs ; six mois, 7 francs. — Union Postale : un an, 15 francs; six mois, 8 francs.
LE SÂLOïï DE LÀ ROSE t CROIX
SALON DE LA ROSE + CROIX
Le Salon « idéaliste » organisé par
M. Péladan vient de s’ouvrir dans les
galeries Durand - Ruel. Son but a été
nettement défini par l’organisateur, qui
disait l’autre jour à un de nos confrères :
« Nous voulons arracher Part actuel,
enfoncé dans une matérialité dégradante,
à ses méprisables errements, nous vou-
lons Pennoblir, l’épurer, le ramener au
culte du beau idéal ».
Nous laisserons de côté, s’il vous plaît,
l’extériorité un peu bien singulière du
« sâr », et son occultisme, et sa Kabbale,
et sa phraséologie compréhensible pour
ses seuls adeptes. Il est certain que lors-
qu’on entre, sans parti pris, dans cette
immense salle où l’Art symbolique mani-
feste sans contrainte, on est d’abord sur-
pris de l’aspect de certaines toiles où ~ f
l’horrible le dispute à l’absurde. Puis, * .f" ‘ .
l’œil s’habitue à ces couleurs effroyables,
à ces « concepts » d’alcooliques ou à ces
erreurs de très jeunes artistes qui confon-
dent la bizarrerie avec l’originalité. Et,
en y regardant de plus près, on découvre
des talents déjà moins tumultueux, puis on finit par distinguer,
çà et là, des oeuvres vraiment intéressantes, comme les envois
de MM. Fernand Knopff, Séon, Desboutin pèie et fils,
Anquetin, Brémond, Aman Jean, Henri Martin, Schwaler,
Chabas, Emile Bernard, Point, Bourdelle, etc. etc. En sculpture,
ceux de MM. Pézieux, Jean Dampt, Rimbaud, Charpentier,
Rességuier, Vallgren, de Niederhæsern-Rodo, etc.
La plupart de ces artistes sont des chercheurs sincères. Le na-
turalisme ne les satisfait plus. Ils estiment que l’Art ne consiste
pas à copier la nature, mais à l’interpréter, et ils s’efforcent d’ex-
primer, dans une figure, l’esprit qui l’anime. Certains, comme
M. Knopff, sont tout entiers à la peinture symbolique. Sous des
traits humains, ils enferment une passion. La volupté se person-
nifie ainsi en quelque figure de femme au regard fixe, pénétrant,
fascinateur et perfide. De même la pureté trouve, en M. Knopff,
un chantre harmonieux, un poète d’un lyrisme inoui.
M. Henri Martin, dont la grande composition intitulée A cha-
cun sa chimère, obtint un si vif succès au Salon de 1891, poursuit
ses études de colorations neuves et hardies. Une dizaine de peti-
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Henri Martin. — Étude.
tes toiles nous montrent diverses visions que le jeune maître a
traduites comme en se jouant et où frissonnent, en des clartés
sereines, de chastes figures de jeunes filles.
M. Séon est également épris d’air et de lumière et, dans sa
peinture comme dans son dessin si libre et si personnel, il excelle
à nous illusionner et à nous charmer. Lui aussi symbolise, lui
aussi exprime dans l’attitude, dans le regard, dans quelque
inflexion caractéristique donnée à un trait,, à une ligne, à un
contour, une grande joie ou une grande douleur.
Les visiteurs du Salon de la Rose f Croix ont beaucoup remar-
qué encore les Cloches, Y Art et l’Idée, Y Évangile de l’Enfance, par
M. Schwaler, les Ames déçues, par M. Hôlder — cinq vieillards
assis sur un banc, très malheureux, mais bien désagréables à
regarder —le Christ au jardin des Oliviers et le Calvaire, par
M. Emile Bernard; YErraticitè (envolée d’âmes vers l’inconnu),
par M. Chabas; — le Sommeil anesthésique, par M. Dathis; — les
délicieuses visions de M. Aman Jean, les ravissantes figures de
M. Point, les beaux fusains du sculpteur Bourdelle, les études
superbes de MM. Desboutin, etc.