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SUPPLÉMENT A L’ART FRANÇAIS

— Allez, allez, voici beau temps, beau compagnon,
que je soupçonnais votre idée. Vous voudriez vous
en aller d’abord, au pré du Saint-Jean, bien tranquille,
et me laisser la charge de tout sur les bras !

C’est parfaitement calculé. Qui appellerait le curé?
La Christole. Qui ferait allumer les cierges, sonner les
cloches ? La Christole. Qui aurait affaire au fossoyeur
et au notaire? Qui pleurerait, qui porterait le deuil?
Encore la Christole, toujours la Christole, bourrique de
toutes les lessives ! Et Monsieur, pendant ce temps là,
monsieur, bien confessé, se reposerait sous les mauves-
Mais cette fois, N-i-Ni, fini ! La pauvre Christole a perdu
patience. Vous pouvez commander un grand crêpe avec
des gants noirs. Quelque chose me dit que cette fois
vous en serez pour vos projets et que je mourrai la pre-
mière.

— Tu ne feras pas cela, Christole ?

— Que Si, Christol, je le ferai !

Cependant, tout en querellant, la Christole était allée
dans la cabane, chercher scs pigeons, lesquels devaient
être cuits à point. Elle les posa sur la table.

— Ah ! l’enragée... grommelait M. Christol.

— Ah ! le sans-cœur... répondait, entre ses dents,
mais de façon à être entendue, la Christole.

Sans-cœur ! et cela parce qu’il avait parlé de mourir
le premier.

Outré d’une telle injustice, tout pâle, M. Christol
leva la main... et saisissant le plat fumant, il le jeta au
beau milieu des balsamines étonnées.

— Chacun son tour ! criait la Christole, en même
temps qu elle envoyait rouler à travers les vignes la
bouteille de clairet muscat !

Leur colère déjà tombée, tous deux restèrent, un
instant, silencieux devant la nappe vide.

— Que vepx-tu ? mignonne, finit par dire M. Chris-
tol, dont la voix tremblait, on dînera comme on pourra.
Après tout, il nous reste encore le dessert.

— Et du vin ordinaire dans un fond de bouteille....
Joli repas d’anniversaire! C’est bien de ta faute, Christol.

— Ou plutôt de la tienne, Christole.

— Pourquoi m’avoir parlé de mort ?

— Et pourquoi m’avoir répondu...

La dispute recommençait

Heureusement: — « Teï..., teï..., téreï! » dans sa
cage en roseaux luisants, de nouveau la caille chanta, et
M. Christol dit, car il faut que l’homme cède toujours :

— Mettons que c’est la faute de la caille.

Mais comme il faut également que la femme ait
toujours le dernier mot, la Christole ajouta :

— Va devant si tu veux, Christol, le jour qu’il te fera
plaisir !... Ta Christole ne sera pas longue à te suivre ; en
sorte que ce n’est pas la peine de se disputer pour si peu.

Et doucement attendris, ne pouvant se faire ni l’un
ni l’autre à l’idée d’une séparation possible, M. Christol
avec la Christole avaient dans leurs yeux frémissants et
secs ces furtifs reflets de diamant qui, chez les vieillards,
sont des larmes.

PAUL ARÈNE

LA

Le bon saint Joseph, la Vierge Marie
Emportent, au loin, fardeau précieux,

Venfante!et blond, envoyé des deux
One veut égorger H érode en furie,

1 oui le long du jour, pleins d’anxiété,

Ils ont cheminé dans l’immense plaine,
ht dans son manteau de brunie lointaine,

Le soleil se couche avec majesté !...

Que deviendront-ils ?... La nuit est profonde,
Leurs pieds sont meurtris, Vâne est pantelant,
La soif les dévore !... Un portique blanc
Apparaît doré par la lune ronde.

Reprenant courage et bénissant Dieu
Us sont arrivés jusqu à la demeure ;

Mais Joseph frissonne et la Vierge pleure
Jésus ne peut pas entrer dans ce lieu.

Devant eux se dresse, Idole inconnue,

La déesse chatte aux yeux de lapis
Oui garde le seuil d’Æluropolis.

Une clarté sort de sa forme nue.

FUITE EN É GY PT

Et R Idole a dit, voyant leur effroi,

« Sois le bienvenu, Jésus, fils de l’homme;

Le ciel est lassé de l’orgueil de Rome,

Les rois se font Dieu ; Dieu se fma roi !...

Christ de Vérité, j’étais le Mystère,

Mon symbole obscur vouait au repos,

‘Pour l'éternité, les maigres troupeaux
De ceux que le sort attache à la terre.

Christ d’Egalité, j’étais le Soleil,

Leurs yeux ne pouvaient contempler ma gloire,

Et se contentant de prier et croire

Leurs âmes dormaient d’un profond sommeil.

Christ, de Charité, j’étais la Justice
Implacable et sourde aux élans du cœur ;
Tremblants et domptés, devant ma rigueur,

Les méchants gardaient la peur du supplice.

Mais puisque le s-Roi s qu’Isis a sacrés
Ont dit le secret troublant des étoiles,

Que ton règne arrive et qu enfin les voiles
Qui me protégeaient leur soient déchirés.

E (,)

oAffranchis, ô Christ, les foules serviles ;

Sois le Roi des rois, le Pasteur puissant ;

Pousse vers le but, au prix de ton sang,

Leurs corps appauvris et leurs âmes viles.

Fais leur entrevoir cette Vérité
Que je leur cacha is jalouse et prudente !
Déchaîne, ô Sauveur, la cohue ardente
Qui va se ruer vers sa liberté !...

Creuse les sillons, élargis les routes !

D peuple à son tour va se faire roi.

Des sauveurs nouveaux viendront après toi,

Qui dissiperont à jamais les doutes !..

Dieu se fera peuple, et les anciens Dieux,
Reprenant chacun leur forme charnelle,

Dévoilés et ceints de gloire éternelle,

Uniront alors les mondes aux deux !... »

La Voix qui vibrait dans la nuit s’est tue ;
Joseph voudrait fuir, mais l’âne est trop las ;

Et Jésus s’endort, calme entre les bras
De Marie en pleurs, près de la Statue.

RAOUL GIXHSTE.

(i) Extrait de Chattes et Chats, avec préface de Paul Arène-
En préparation chez l’éditeur Flammarion.
 
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