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L'UNIVERS.
dicis, avec une adresse singulière, et
qui ne fut pas devinée, donnaient de
l'argent pour cette expédition , parce
qu'ils pensaient que tant que Pise,
prêtée par Pierre, ne serait pas re-
couvrée, le nom des Patte serait odieux
à toute la république, et qu'on ne
pourrait le prononcer qu'après qu'un si
grand désastre aurait été réparé. Alors
la république voulut engager Jean-Paul
Baglioni, tyran de Pérouse et Condot-
tiere/, à aller, pour le compte des Flo-
rentins , bloquer la ville de Pise,
comme il l'avait promis depuis long-
temps. C'est précisément à cette oc-
casion que Machiavel dit ces paroles
remarquables dans la bouche d'un am-
bassadeur : « Jean-Paul, vous avez
reçu l'argent des Florentins, et vous
vous êtes engagé à les servir; partez
donc, ou envoyez votre fils Malatesta:
autrement on vous accusera d'ingrati-
tude et d'infidélité, on vous regardera
comme un cheval qui bronche, comme
un cheval qui ne trouve pas de cava-
lier , parce qu'on a peur de se rompre
le cou en le montant. Ces choses ne
doivent pas être jugées par des doc-
teurs, mais par des princes. Tout
homme qui fait cas de la cuirasse, et
veut s'honorer en la portant, ne subit
pas de perte plus regrettable que celle
de sa foi, et cette foi, vous vous en
jouez. Vous n'avez pas à vous justi-
fier, parce que la justification suppose
l'erreur, ou l'opinion qu'on a pu tom-
ber dans l'erreur. »
Voici encore une lettre de Nicolas
Machiavel, de 150G, qui annonce la
situation de l'Europe, et particuliè-
rement celle de l'Italie :
« L'empereur d'Allemagne a fait un
traité de paix avec le roi de Hongrie.
Ce traité permet à l'empereur de se
rendre en Italie. Il a déjà expédié des
secours à Gonsalve de Cordoue qui
commande l'armée espagnole à Naples,
où il est à présent Je maître absolu. »
«Le roi d'Aragon, Ferdinand, et
l'archiduc, fils de l'empereur, et gen-
dre de Ferdinand, ont souscrit un ac-
cord nouveau en Galice. »
« Borgia que le pape a fait arrêter,
se trouve détenu en Espagne, et de-
mande au roi très-chrétien de lui faire
accorder sa liberté. »
« Le pape veut enrôler des Suisses.
Il demande des troupes à la France
pour occuper Pérouse et Bologne. »
« Le roi de France envoie aux Suisses
un ambassadeur qui se rendra ensuite |
à Venise et en Hongrie. Il doit inviter
les Suisses à ne s'engager désormais
qu'avec le roi. Il doit recommander
aux Vénitiens de rester attachés à la
France, et troubler la paix qui existe
entre l'empereur et le roi de Hongrie. »
Machiavel finit ainsi : « Il n'y a pas
d'union entre les Vénitiens et le roi;
ils se font bon visage,. et vivent sur
l'ancien {stanno sul vecchio ). »
« Le roi de France a commandé à
un ambassadeur du pape qui revient
en Italie, de visiter Ferrare, Man-
toue, Bologne et Florence, et de leur
promettre, de sa part, mers et mon-
tagnes ( maria et montes ). Il tâchera
de tenir ces villes bien disposées pour
France, dans le cas du passage de
l'empereur. »
Nicolas parle ensuite de quelques
autres princes minimes qu'il appelle
des rognures. Certainement, voila un
détail circonstancié des affaires de l'é-
poque. Les faits sont vrais et racon-
tés dans un style mordant et fami-
lier, qui leur donne une physionomie
plus piquante. Il m'a semblé qu'il fal-
lait ici laisser parler le maître , le té-
moin oculaire , et un acteur aussi
important dans les négociations du
temps.
Le même auteur décrit ensuite les
entreprises de Jules II. Il avait résolu
de soumettre Pérouse et Bologne, qui
autrefois appartenaient au saint-siége.
Il partit de Rome, le 27 août 1506,
et se rendit à Civita Castellana. Le
13 septembre, il s'avança, à la tête de
son armée, sur Pérouse, et il en chassa
Jean-Paul Baglioni, qui dit alors pour-
quoi il n'avait pas été perdre son temps
à fairelesiégedePise.Lepape continue
son voyage. Il va à Saint-Marin, dépose
le lieutenant du duc, et rend l'indé-
pendance à la république, en se dé-
clarant son protecteur. Il publie en-
suite une interdiction contre Bologne;
L'UNIVERS.
dicis, avec une adresse singulière, et
qui ne fut pas devinée, donnaient de
l'argent pour cette expédition , parce
qu'ils pensaient que tant que Pise,
prêtée par Pierre, ne serait pas re-
couvrée, le nom des Patte serait odieux
à toute la république, et qu'on ne
pourrait le prononcer qu'après qu'un si
grand désastre aurait été réparé. Alors
la république voulut engager Jean-Paul
Baglioni, tyran de Pérouse et Condot-
tiere/, à aller, pour le compte des Flo-
rentins , bloquer la ville de Pise,
comme il l'avait promis depuis long-
temps. C'est précisément à cette oc-
casion que Machiavel dit ces paroles
remarquables dans la bouche d'un am-
bassadeur : « Jean-Paul, vous avez
reçu l'argent des Florentins, et vous
vous êtes engagé à les servir; partez
donc, ou envoyez votre fils Malatesta:
autrement on vous accusera d'ingrati-
tude et d'infidélité, on vous regardera
comme un cheval qui bronche, comme
un cheval qui ne trouve pas de cava-
lier , parce qu'on a peur de se rompre
le cou en le montant. Ces choses ne
doivent pas être jugées par des doc-
teurs, mais par des princes. Tout
homme qui fait cas de la cuirasse, et
veut s'honorer en la portant, ne subit
pas de perte plus regrettable que celle
de sa foi, et cette foi, vous vous en
jouez. Vous n'avez pas à vous justi-
fier, parce que la justification suppose
l'erreur, ou l'opinion qu'on a pu tom-
ber dans l'erreur. »
Voici encore une lettre de Nicolas
Machiavel, de 150G, qui annonce la
situation de l'Europe, et particuliè-
rement celle de l'Italie :
« L'empereur d'Allemagne a fait un
traité de paix avec le roi de Hongrie.
Ce traité permet à l'empereur de se
rendre en Italie. Il a déjà expédié des
secours à Gonsalve de Cordoue qui
commande l'armée espagnole à Naples,
où il est à présent Je maître absolu. »
«Le roi d'Aragon, Ferdinand, et
l'archiduc, fils de l'empereur, et gen-
dre de Ferdinand, ont souscrit un ac-
cord nouveau en Galice. »
« Borgia que le pape a fait arrêter,
se trouve détenu en Espagne, et de-
mande au roi très-chrétien de lui faire
accorder sa liberté. »
« Le pape veut enrôler des Suisses.
Il demande des troupes à la France
pour occuper Pérouse et Bologne. »
« Le roi de France envoie aux Suisses
un ambassadeur qui se rendra ensuite |
à Venise et en Hongrie. Il doit inviter
les Suisses à ne s'engager désormais
qu'avec le roi. Il doit recommander
aux Vénitiens de rester attachés à la
France, et troubler la paix qui existe
entre l'empereur et le roi de Hongrie. »
Machiavel finit ainsi : « Il n'y a pas
d'union entre les Vénitiens et le roi;
ils se font bon visage,. et vivent sur
l'ancien {stanno sul vecchio ). »
« Le roi de France a commandé à
un ambassadeur du pape qui revient
en Italie, de visiter Ferrare, Man-
toue, Bologne et Florence, et de leur
promettre, de sa part, mers et mon-
tagnes ( maria et montes ). Il tâchera
de tenir ces villes bien disposées pour
France, dans le cas du passage de
l'empereur. »
Nicolas parle ensuite de quelques
autres princes minimes qu'il appelle
des rognures. Certainement, voila un
détail circonstancié des affaires de l'é-
poque. Les faits sont vrais et racon-
tés dans un style mordant et fami-
lier, qui leur donne une physionomie
plus piquante. Il m'a semblé qu'il fal-
lait ici laisser parler le maître , le té-
moin oculaire , et un acteur aussi
important dans les négociations du
temps.
Le même auteur décrit ensuite les
entreprises de Jules II. Il avait résolu
de soumettre Pérouse et Bologne, qui
autrefois appartenaient au saint-siége.
Il partit de Rome, le 27 août 1506,
et se rendit à Civita Castellana. Le
13 septembre, il s'avança, à la tête de
son armée, sur Pérouse, et il en chassa
Jean-Paul Baglioni, qui dit alors pour-
quoi il n'avait pas été perdre son temps
à fairelesiégedePise.Lepape continue
son voyage. Il va à Saint-Marin, dépose
le lieutenant du duc, et rend l'indé-
pendance à la république, en se dé-
clarant son protecteur. Il publie en-
suite une interdiction contre Bologne;