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PARIS DANS SA SPLENDEUR.
mais si la royauté n’exerce alors qu’une faible influence et semble oubliée des peuples, la société n’en accomplit pas moins, pendant
ce temps, des œuvres d’autant plus durables, qu’elles s’élaborent lentement et en silence. Ce siècle est le Xe, cet âge de fer tant
de fois maudit par les historiens superficiels, et pourtant si digne de l’attention de l’observateur sérieux, si peu connu, faute de
documents, et si riche en résultats. Époque de ténèbres! s’écrie toute l’école de Voltaire; oui, mais de ténèbres fécondes, dont les
produits lui ont survécu six cents ans ou se prolongent même jusqu’à nos jours. C’est toujours dans ces périodes obscures qu’il
faut placer l’origine des grandes institutions créées par l’homme à son insu, et dont il ignore ensuite la naissance, comme on
ignore la source des grands fleuves. Quand l’aurore se leva au XIe siècle après cette longue nuit, il se trouva que la nuit avait
enfanté deux choses : la féodalité et les langues modernes. Le monde ancien avait disparu pour faire place à un ordre nouveau.
Paris ne pouvait échapper à ce mouvement mystérieux; mais de pareils changements ne sont pas de ceux qui se peuvent
préciser par des faits; des tendances, des résultats, de lentes modifications, voilà tout ce que nous pouvons constater. Nous voyons
bien que la ville, dans son organisation et dans ses institutions, prend un caractère de plus en plus féodal; que son territoire n’est,
bientôt qu’une agglomération, souvent bizarre et enchevêtrée, de fiefs grands et petits; que le comte, ce roi futur, suivant
l’expression d’Abbon, l’évêque, les abbayes de Saint-Germain-des-Prés, Sainte-Geneviève, Saint-Martin-des-Champs, confondant
la propriété et la souveraineté, se partagent la suzeraineté diversement étagée des édifices de tout genre, des voies publiques,
des enclos, cultures et courtilles que renfermait Paris; que leurs droits, judiciaires et fiscaux, leurs juridictions et leurs ressorts,
se croisent, se mêlent, tout en observant un ordre hiérarchique dont le sommet est occupé par le roi; mais les événements font
défaut pour assigner à cette lente transformation des dates fixes, des phases déterminées.
Charles, surnommé le Simple, injustement peut-être (898-923), n’a laissé presque aucun souvenir à Paris. L’évêque Anschéric
fut cependant son chancelier jusqu’à sa mort (911); mais les tendances germaniques et la faiblesse morale de ce roi écartèrent
de lui presque tout le parti national qui se rallia autour du comte de Paris Robert, fils d’Eudes. Celui-ci finit par se faire sacrer
roi à Reims (922); il possédait, outre le duché de France, les abbayes de Saint-Denis et de Saint-Germain. Les abbés étant
devenus un des pouvoirs de l’État, les seigneurs laïcs envahirent à leur tour les monastères, et Robert fut le premier abbé marié
ou administrateur de Saint-Germain-des-Prés; du reste, il ne jouit pas longtemps de son usurpation et fut tué en 923 à la
bataille de Soissons.
Les évêques parisiens de cette époque sont aussi obscurs que ceux du commencement du VIIIe siècle. Quelques monuments
épars, chartes, diplômes, vies de saints, servent à fixer un petit nombre de dates dans leur histoire : Théodulfe mourut vers 920,
et entoura peut-être d’une clôture l’habitation des chanoines de Notre-Dame; Fulrad vivait en 926^ Adelhelmc de 930 à 93b.
Gautier ou Walter, son successeur, était chancelier de Hugues-le-Grand en 941. Un ouragan et une peste ravagent Paris vers
cette époque. On ne sait rien d’Albéric, de Constance (934), de Garin qui vinrent ensuite. Rainald Ier (979) reçut une lettre du
fameux Gerbert, plus tard pape sous le nom de Sylvestre II; enfin Elisiard, contemporain de Hugues Gapet, obtint une bulle de
Benoît VII relative aux immunités de son église.
Pendant les règnes de Raoul de Bourgogne et de Louis-d’Outremer (923-934), la royauté carolingienne, réduite à quelques
villes et serrée de toutes parts par la féodalité déjà toute-puissante, semble n’avoir eu aucun rapport avec Paris. Le duc
Hugues-le-Grand, bien plus puissant que le roi, qu’il fit prisonnier à Laon (946), ne put être retenu dans ses entreprises contre
le pouvoir royal que par la médiation du pape (930) et continua pendant, deux ans sous Lothaire (934-936) à régenter le jeune
et faible souverain. Il lui fit d’abord une réception magnifique à Paris et le quitta pour aller échouer dans son expédition contre
l’Aquitaine. Le second fils de Hugues-le-Blanc, Hugues Chapet ou Capet, qui devait son surnom à la chape de saint Martin de Tours
dont il était abbé comme ses prédécesseurs, était un enfant à la mort de son père : la tranquillité fut d’abord maintenue en France
et en Neustrie par les deux régentes, Gerberge et Hedwige, mères de Lothaire et de Hugues. « Mais en 978, le roi Lothaire, dit
Aug. Thierry, s’abandonnant à l’impulsion de l’esprit français, rompit avec les puissances germaniques et tenta de reculer jusqu’au
Rhin les frontières de son royaume. Cette expédition aventureuse qui flattait la vanité française, ne servit qu’à amener les
Germains au nombre de soixante mille, Allemands, Lorrains et Saxons, jusque sur les hauteurs de Montmartre, où cette grande
armée chanta en chœur un des versets du Te Deum. » Cette bravade n’amena aucun effet. Quelques années auparavant (963),
Hugues Capet avait fondé, pour honorer les reliques de saint Magloire, évêque de Dol, et d’autres saints bretons, apportées à
Paris lors des invasions normandes, le monastère de Saint-Magloire, qui subsista avec diverses vicissitudes jusqu’au XVIIe siècle.
L’influence de Hugues Capet grandissait chaque jour, et quand Lothaire et son fils Louis-le-Fainéant moururent (986-987),
le duc de France qui depuis longtemps avait le pouvoir sans le titre, fut proclamé roi par ses vassaux, sans que cette révolution
depuis longtemps prévue provoquât la moindre protestation.
PARIS DANS SA SPLENDEUR.
mais si la royauté n’exerce alors qu’une faible influence et semble oubliée des peuples, la société n’en accomplit pas moins, pendant
ce temps, des œuvres d’autant plus durables, qu’elles s’élaborent lentement et en silence. Ce siècle est le Xe, cet âge de fer tant
de fois maudit par les historiens superficiels, et pourtant si digne de l’attention de l’observateur sérieux, si peu connu, faute de
documents, et si riche en résultats. Époque de ténèbres! s’écrie toute l’école de Voltaire; oui, mais de ténèbres fécondes, dont les
produits lui ont survécu six cents ans ou se prolongent même jusqu’à nos jours. C’est toujours dans ces périodes obscures qu’il
faut placer l’origine des grandes institutions créées par l’homme à son insu, et dont il ignore ensuite la naissance, comme on
ignore la source des grands fleuves. Quand l’aurore se leva au XIe siècle après cette longue nuit, il se trouva que la nuit avait
enfanté deux choses : la féodalité et les langues modernes. Le monde ancien avait disparu pour faire place à un ordre nouveau.
Paris ne pouvait échapper à ce mouvement mystérieux; mais de pareils changements ne sont pas de ceux qui se peuvent
préciser par des faits; des tendances, des résultats, de lentes modifications, voilà tout ce que nous pouvons constater. Nous voyons
bien que la ville, dans son organisation et dans ses institutions, prend un caractère de plus en plus féodal; que son territoire n’est,
bientôt qu’une agglomération, souvent bizarre et enchevêtrée, de fiefs grands et petits; que le comte, ce roi futur, suivant
l’expression d’Abbon, l’évêque, les abbayes de Saint-Germain-des-Prés, Sainte-Geneviève, Saint-Martin-des-Champs, confondant
la propriété et la souveraineté, se partagent la suzeraineté diversement étagée des édifices de tout genre, des voies publiques,
des enclos, cultures et courtilles que renfermait Paris; que leurs droits, judiciaires et fiscaux, leurs juridictions et leurs ressorts,
se croisent, se mêlent, tout en observant un ordre hiérarchique dont le sommet est occupé par le roi; mais les événements font
défaut pour assigner à cette lente transformation des dates fixes, des phases déterminées.
Charles, surnommé le Simple, injustement peut-être (898-923), n’a laissé presque aucun souvenir à Paris. L’évêque Anschéric
fut cependant son chancelier jusqu’à sa mort (911); mais les tendances germaniques et la faiblesse morale de ce roi écartèrent
de lui presque tout le parti national qui se rallia autour du comte de Paris Robert, fils d’Eudes. Celui-ci finit par se faire sacrer
roi à Reims (922); il possédait, outre le duché de France, les abbayes de Saint-Denis et de Saint-Germain. Les abbés étant
devenus un des pouvoirs de l’État, les seigneurs laïcs envahirent à leur tour les monastères, et Robert fut le premier abbé marié
ou administrateur de Saint-Germain-des-Prés; du reste, il ne jouit pas longtemps de son usurpation et fut tué en 923 à la
bataille de Soissons.
Les évêques parisiens de cette époque sont aussi obscurs que ceux du commencement du VIIIe siècle. Quelques monuments
épars, chartes, diplômes, vies de saints, servent à fixer un petit nombre de dates dans leur histoire : Théodulfe mourut vers 920,
et entoura peut-être d’une clôture l’habitation des chanoines de Notre-Dame; Fulrad vivait en 926^ Adelhelmc de 930 à 93b.
Gautier ou Walter, son successeur, était chancelier de Hugues-le-Grand en 941. Un ouragan et une peste ravagent Paris vers
cette époque. On ne sait rien d’Albéric, de Constance (934), de Garin qui vinrent ensuite. Rainald Ier (979) reçut une lettre du
fameux Gerbert, plus tard pape sous le nom de Sylvestre II; enfin Elisiard, contemporain de Hugues Gapet, obtint une bulle de
Benoît VII relative aux immunités de son église.
Pendant les règnes de Raoul de Bourgogne et de Louis-d’Outremer (923-934), la royauté carolingienne, réduite à quelques
villes et serrée de toutes parts par la féodalité déjà toute-puissante, semble n’avoir eu aucun rapport avec Paris. Le duc
Hugues-le-Grand, bien plus puissant que le roi, qu’il fit prisonnier à Laon (946), ne put être retenu dans ses entreprises contre
le pouvoir royal que par la médiation du pape (930) et continua pendant, deux ans sous Lothaire (934-936) à régenter le jeune
et faible souverain. Il lui fit d’abord une réception magnifique à Paris et le quitta pour aller échouer dans son expédition contre
l’Aquitaine. Le second fils de Hugues-le-Blanc, Hugues Chapet ou Capet, qui devait son surnom à la chape de saint Martin de Tours
dont il était abbé comme ses prédécesseurs, était un enfant à la mort de son père : la tranquillité fut d’abord maintenue en France
et en Neustrie par les deux régentes, Gerberge et Hedwige, mères de Lothaire et de Hugues. « Mais en 978, le roi Lothaire, dit
Aug. Thierry, s’abandonnant à l’impulsion de l’esprit français, rompit avec les puissances germaniques et tenta de reculer jusqu’au
Rhin les frontières de son royaume. Cette expédition aventureuse qui flattait la vanité française, ne servit qu’à amener les
Germains au nombre de soixante mille, Allemands, Lorrains et Saxons, jusque sur les hauteurs de Montmartre, où cette grande
armée chanta en chœur un des versets du Te Deum. » Cette bravade n’amena aucun effet. Quelques années auparavant (963),
Hugues Capet avait fondé, pour honorer les reliques de saint Magloire, évêque de Dol, et d’autres saints bretons, apportées à
Paris lors des invasions normandes, le monastère de Saint-Magloire, qui subsista avec diverses vicissitudes jusqu’au XVIIe siècle.
L’influence de Hugues Capet grandissait chaque jour, et quand Lothaire et son fils Louis-le-Fainéant moururent (986-987),
le duc de France qui depuis longtemps avait le pouvoir sans le titre, fut proclamé roi par ses vassaux, sans que cette révolution
depuis longtemps prévue provoquât la moindre protestation.