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PARIS DANS SA SPLENDEUR.
malheureusement trop tôt pour retourner à Rome (1642). Ce fut là cependant qu’il traça son tableau de François Xavier
ressuscitant une jeune fille, où l’on voit, où l’on sent en quelque sorte le retour à la vie.
Dans les lettres le mouvement n’était pas moins marqué. Richelieu, tout cardinal qu’il fût, avait fait construire deux théâtres
dans son palais: l’un d’eux ne pouvait contenir que cinq cents spectateurs; l’autre pouvait donner place à trois mille. « Il était
réservé, dit Sauvai, pour les comédies de pompe et de parade, quand la profondeur des perspectives, la variété des décorations,
la magnificence des machines y attiroient Leurs Majestés et la cour. » Richelieu dépensa, dit-on, 200,000 écus à la représentation
de Mirame, tragédie signée par Desmarets, mais que l’on attribuait tout haut au ministre. Ne serait-ce pas lui, en effet, qui
aurait écrit ce vers: < • 1
Plus un roi est hardi, plus on le voit heureux!
* ’■ ' L ■ ' ■ ' , • • » /
’ * -, «
/ Malheureusement, Richelieu se souvint trop de Mirame, lorsque parut le Cid,- de Corneille (1632). Le Cid, Horace, Cinna et
Polyeucte parurent, de 1632 à 1643, sur le théâtre du Palais-Cardinal, qui rejeta dès lors sur le second plan le prince des sots
et ses sujets, les comédiens de l’hôtel de Bourgogne. Corneille, malgré l’opposition que lui fit longtemps Richelieu (opposition à
laquelle il ajouta le tort d’associer l’Académie naissante), touchait une pension de 600 écus du cardinal ; Rotrou, Mézeray,
La Mothe le Vayer, André Duchesne furent également du nombre des pensionnés du ministre. Enfin, l’Académie Française lui
dut son origine ; c’est plus qu’il n’en faut sans doute pour que son nom occupe toujours une place à part dans l’histoire littéraire
du grand siècle.
L’institution de l’Académie est de 1636. Alors se réunissaient, depuis quelques années, chez Valentin Conrart, rue Saint-Martin,
un certain nombre d’hommes de lettres d’un mérite fort au-dessus du commun, nous dit Pellisson, lesquels, « ne trouvant rien de
plus incommode dans une grande ville que d’aller fort souvent se chercher les uns les autres sans se trouver, » avaient pris le
parti de se rencontrer là, une fois par semaine, et s’y entretenaient familièrement « de toute sorte de choses, d’affaires, de
nouvelles, de belles-lettres. Que si quelqu’un de la compagnie avoit fait un ouvrage, comme il arrivoit souvent, il le communiquoit
volontiers à tous les autres qui lui en disoient librement leur avis, et leurs conférences étoient suivies tantôt d’une promenade,
tantôt d’une collation qu’ils faisoient ensemble. » Instruit de ces réunions, Richelieu désira les consacrer par lettres patentes,
et comme il ne voulait pas médiocrement ce qu’il voulait, ainsi que le faisait remarquer Chapelain, la petite société renonça à
ce qu’elle appelait son âge d'or pour devenir VAcadémie Française.
Les sciences ne sont pas moins redevables à Richelieu par l’établissement du Jardin du Roi, dont Hérouard, premier médecin
de Louis XIII, et Guy de la Brosse, son médecin ordinaire, eurent les premiers la direction. Non-seulement la botanique y fut
pratiquée par d’intelligentes cultures, mais elle y fut l’objet d’études physiologiques sur Vintérieur des plantes, pour employer
les termes de l’édit de 1636. Le même édit statuait que, dans une maison dépendante du jardin, seraient réunis des échantillons
de toutes les drogues, tant simples que composées, ensemble toutes les choses rares en la nature qui s’y rencontrer oient. Tel fut
le principe de notre incomparable collection d’histoire naturelle.
Il est enfin une institution politique dont la portée a dépassé de beaucoup les prévisions de Richelieu, et dont il fut cependant
sinon le créateur, du moins le protecteur empressé. Nous voulons parler de la Gazette, c’est-à-dire de la presse, se mettant à la
portée de tout le monde et s’introduisant partout à l’aide de la nouvelle du jour. Le premier qui en conçut l’idée fut Théophraste
Renaudot, médecin et homme d’esprit à la manière de Guy Patin, et dont le génie inventif avait déjà fondé un mont-de-piété et
des bureaux d’adresses. Renaudot était, en outre, médecin du roi et'commissaire général des pauvres. Toutes les nouvelles lui
arrivaient donc à la fois de la cour, de la ville et de la rue, et il en faisait un recueil pour l’amusement -et la distraction de ses
malades. Ceux-ci ne furent pas les seuls à-s’y plaire; le recueil courut de main en main, et Renaudot songea à le livrer au public
pour le prix d’une gazetta, la feuille, comme en Italie. Loin d’entraver l’œuvre, Richelieu fut le premier à y applaudir. La Gazette
lui offrait, en effet, l’avantage d’empêcher les faux bruits qui, disait Renaudot dans sa préface, servent souvent d’allumettes aux
, mouvements et séditions intestines. Non-seulement donc le cardinal approuva le projet, mais il se fit souvent journaliste avec
Théophraste, et Louis XIII lui-même céda, dit-on, plus d’une fois à l’envie de trouver de son style dans la Gazette.
Plus tard la presse s’émancipera^ la censure se fera sentir. Loret, l’un des successeurs de Renaudot, dira mélancoliquement:
Désormais mes tristes gazettes
Ne seront plus que des sornettes
en attendant les révolutions !
La prospérité agricole et même industrielle de la France avait pris un rapide essor pendant les dix dernières années du règne
de Henri IV. Cette prospérité s’accrut encore sous Louis XIII, et le luxe grandit avec elle. Les riches hôtels surtout se multiplient,
et s’ils ne sont plus des monuments comme au moyen-âge, ils gagnent du moins au point de vue des commodités de l’habitation
et des facilités de la vie, ce qu’ils perdent au point de vue de l’art. Les hautes portes cochères remplacent les voûtes sombres;
les élégantes tourelles disparaissent, mais avec elles disparaît en même temps l’escalier raide qui se développait en limaçon dans leur
PARIS DANS SA SPLENDEUR.
malheureusement trop tôt pour retourner à Rome (1642). Ce fut là cependant qu’il traça son tableau de François Xavier
ressuscitant une jeune fille, où l’on voit, où l’on sent en quelque sorte le retour à la vie.
Dans les lettres le mouvement n’était pas moins marqué. Richelieu, tout cardinal qu’il fût, avait fait construire deux théâtres
dans son palais: l’un d’eux ne pouvait contenir que cinq cents spectateurs; l’autre pouvait donner place à trois mille. « Il était
réservé, dit Sauvai, pour les comédies de pompe et de parade, quand la profondeur des perspectives, la variété des décorations,
la magnificence des machines y attiroient Leurs Majestés et la cour. » Richelieu dépensa, dit-on, 200,000 écus à la représentation
de Mirame, tragédie signée par Desmarets, mais que l’on attribuait tout haut au ministre. Ne serait-ce pas lui, en effet, qui
aurait écrit ce vers: < • 1
Plus un roi est hardi, plus on le voit heureux!
* ’■ ' L ■ ' ■ ' , • • » /
’ * -, «
/ Malheureusement, Richelieu se souvint trop de Mirame, lorsque parut le Cid,- de Corneille (1632). Le Cid, Horace, Cinna et
Polyeucte parurent, de 1632 à 1643, sur le théâtre du Palais-Cardinal, qui rejeta dès lors sur le second plan le prince des sots
et ses sujets, les comédiens de l’hôtel de Bourgogne. Corneille, malgré l’opposition que lui fit longtemps Richelieu (opposition à
laquelle il ajouta le tort d’associer l’Académie naissante), touchait une pension de 600 écus du cardinal ; Rotrou, Mézeray,
La Mothe le Vayer, André Duchesne furent également du nombre des pensionnés du ministre. Enfin, l’Académie Française lui
dut son origine ; c’est plus qu’il n’en faut sans doute pour que son nom occupe toujours une place à part dans l’histoire littéraire
du grand siècle.
L’institution de l’Académie est de 1636. Alors se réunissaient, depuis quelques années, chez Valentin Conrart, rue Saint-Martin,
un certain nombre d’hommes de lettres d’un mérite fort au-dessus du commun, nous dit Pellisson, lesquels, « ne trouvant rien de
plus incommode dans une grande ville que d’aller fort souvent se chercher les uns les autres sans se trouver, » avaient pris le
parti de se rencontrer là, une fois par semaine, et s’y entretenaient familièrement « de toute sorte de choses, d’affaires, de
nouvelles, de belles-lettres. Que si quelqu’un de la compagnie avoit fait un ouvrage, comme il arrivoit souvent, il le communiquoit
volontiers à tous les autres qui lui en disoient librement leur avis, et leurs conférences étoient suivies tantôt d’une promenade,
tantôt d’une collation qu’ils faisoient ensemble. » Instruit de ces réunions, Richelieu désira les consacrer par lettres patentes,
et comme il ne voulait pas médiocrement ce qu’il voulait, ainsi que le faisait remarquer Chapelain, la petite société renonça à
ce qu’elle appelait son âge d'or pour devenir VAcadémie Française.
Les sciences ne sont pas moins redevables à Richelieu par l’établissement du Jardin du Roi, dont Hérouard, premier médecin
de Louis XIII, et Guy de la Brosse, son médecin ordinaire, eurent les premiers la direction. Non-seulement la botanique y fut
pratiquée par d’intelligentes cultures, mais elle y fut l’objet d’études physiologiques sur Vintérieur des plantes, pour employer
les termes de l’édit de 1636. Le même édit statuait que, dans une maison dépendante du jardin, seraient réunis des échantillons
de toutes les drogues, tant simples que composées, ensemble toutes les choses rares en la nature qui s’y rencontrer oient. Tel fut
le principe de notre incomparable collection d’histoire naturelle.
Il est enfin une institution politique dont la portée a dépassé de beaucoup les prévisions de Richelieu, et dont il fut cependant
sinon le créateur, du moins le protecteur empressé. Nous voulons parler de la Gazette, c’est-à-dire de la presse, se mettant à la
portée de tout le monde et s’introduisant partout à l’aide de la nouvelle du jour. Le premier qui en conçut l’idée fut Théophraste
Renaudot, médecin et homme d’esprit à la manière de Guy Patin, et dont le génie inventif avait déjà fondé un mont-de-piété et
des bureaux d’adresses. Renaudot était, en outre, médecin du roi et'commissaire général des pauvres. Toutes les nouvelles lui
arrivaient donc à la fois de la cour, de la ville et de la rue, et il en faisait un recueil pour l’amusement -et la distraction de ses
malades. Ceux-ci ne furent pas les seuls à-s’y plaire; le recueil courut de main en main, et Renaudot songea à le livrer au public
pour le prix d’une gazetta, la feuille, comme en Italie. Loin d’entraver l’œuvre, Richelieu fut le premier à y applaudir. La Gazette
lui offrait, en effet, l’avantage d’empêcher les faux bruits qui, disait Renaudot dans sa préface, servent souvent d’allumettes aux
, mouvements et séditions intestines. Non-seulement donc le cardinal approuva le projet, mais il se fit souvent journaliste avec
Théophraste, et Louis XIII lui-même céda, dit-on, plus d’une fois à l’envie de trouver de son style dans la Gazette.
Plus tard la presse s’émancipera^ la censure se fera sentir. Loret, l’un des successeurs de Renaudot, dira mélancoliquement:
Désormais mes tristes gazettes
Ne seront plus que des sornettes
en attendant les révolutions !
La prospérité agricole et même industrielle de la France avait pris un rapide essor pendant les dix dernières années du règne
de Henri IV. Cette prospérité s’accrut encore sous Louis XIII, et le luxe grandit avec elle. Les riches hôtels surtout se multiplient,
et s’ils ne sont plus des monuments comme au moyen-âge, ils gagnent du moins au point de vue des commodités de l’habitation
et des facilités de la vie, ce qu’ils perdent au point de vue de l’art. Les hautes portes cochères remplacent les voûtes sombres;
les élégantes tourelles disparaissent, mais avec elles disparaît en même temps l’escalier raide qui se développait en limaçon dans leur