HISTOIRE.
PARIS MODERNE.
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fêtes officielles qui furent données à cette occasion, le bal de l’ambassade d’Autriche, fut attristée par une catastrophe des plus
douloureuses. Toute l’élite de la noblesse de France et du continent avait été conviée à cette fête; et, pour suppléer à l’insuffisance
des appartements, le prince de Schwartzenberg avait fait construire dans le jardin de son hôtel, une vaste salle de bois,
somptueusement décorée. Les frêles murs de cette galerie avaient été parés de tentures et de draperies, le plafond était chargé
de lustres; les bougies étincelaient par milliers, et la foule était si nombreuse qu’on pouvait à peine circuler. Soudain le cri
au feu! se fit entendre; la flamme dévora en quelques instants les murs et les lambris de bois, enduits d’une peinture résineuse;
ce moment fut effroyable; toutes les femmes se précipitaient à la fois par les issues, et beaucoup d’entre elles furent foulées aux
pieds et étouffées; Marie-Louise, conservant un calme remarquable, vint s’asseoir sur son trône; l’Empereur s’élança, la prit
dans ses bras, et la transporta hors de l’enceinte à demi embrasée. Il revint ensuite pour diriger les secours, mais bientôt il ne
resta plus qu’un amas de décombres ensanglantés et fumants. Cet événement produisit à Paris une vive stupéfaction; les hommes
les moins superstitieux se rappelèrent les désastres occasionnés à Paris par les pompes du mariage de Marie-Antoinette, et ils se
dirent que la nouvelle alliance contractée avec l’Autriche ne serait ni longue ni heureuse. L’année suivante (1841), un événement
dont on espéra beaucoup, parut démentir ces appréhensions populaires. Dans la nuit du 20 mars, naquit à Napoléon un héritier,
et l’Empereur décerna à l’enfant impérial le titre de roi de Rome, que nul homme n’avait porté depuis Tarquin-le-Superbe.
Jamais, depuis l’époque de Charlemagne, une monarchie aussi colossale n’avait été offerte en spectacle au monde. L’empire
français et le royaume d’Italie comprenaient à eux seuls cent cinquante-quatre départements, et les sept provinces illyriennes
formaient une dépendance directe de la couronne de France. Le territoire napoléonien était borné, au Nord, par la mer Baltique
et le Danemarck; au Midi, par le royaume des Deux-Siciles et la Turquie d’Europe; trente-deux princes allemands, rois et
ducs, mais chefs de maisons régnantes et parmi lesquels se trouvait le souverain de la Saxe et de la Pologne, se rangeaient parmi
les vassaux de la France, et contraignaient leurs peuples à subir son protectorat. La Suisse, enclavée dans l’empire, obéissait
à Napoléon comme à son médiateur; les rois de Naples et d’Espagne n’étaient que deux proconsuls; la Prusse et l’Autriche
tremblaient devant le géant; les autres nations continentales recherchaient son amitié, ou soutenaient contre lui une lutte
inégale; le chef de l’Église, captif et détrôné, avait vu son nom rayé de la liste des souverains. Depuis le cercle polaire jusqu’au
détroit de Charybde et de Scylla, à l’exception de l’Espagne que tourmentait la guerre, toutes les côtes de l’Océan et de la
Méditerranée étaient fermées aux Anglais. On parlait quatre langues dans l’étendue de l’empire.
Le palais des Tuileries était comme l’hôtellerie des rois vassaux de la France. Napoléon avait créé une nouvelle noblesse, et la
victoire avait vieilli, même avant leur baptême, ces illustrations de la cour impériale; d’anciens montagnards, des terroristes
exaltés, des régicides s’étaient empressés de cacher leurs antécédents républicains sous les titres fastueux de barons et de comtes
dont les affublait l’Empereur; les nobles du plus haut lignage, dont les ancêtres avaient pris part aux Croisades et décerné la
couronne à Hugues Capet, venaient à leur tour solliciter les grâces de l’Empereur et recevoir de sa main la clef de chambellan.
Lui-même hâtait, dans les loisirs de la paix, cette fusion qu’il avait commencée sur les champs de bataille; il mêlait les grandes
races aux jeunes familles de sa création, le blason des pairs de Charles VII au blason plus ou moins écartelé de ses compagnons
d’armes. Il avait rétabli les majorais; et si, par respect pour le territoire français, il ne lui avait demandé aucune parcelle pour en
former des fiefs, son royaume d’Italie et les portions allemandes de son empire lui fournissaient des principautés, des duchés, des
comtés et des baronnies; et comme ces seigneuries ne constituaient aucun privilège et ne procuraient que des revenus, la féodalité
n’était rétablie ni de fait ni de nom. On eût dit la noblesse de Charles-le-Chauve réduite par Richelieu aux seules vanités des gens
de cour. Quoi qu’il en soit, l’Empereur avait autour de lui, sous des dénominations modernes, ses douze pairs et ses leudes : les
premiers étaient ses maréchaux, les seconds ses lieutenants et ses fonctionnaires. Par un instinct de domination exclusive qu’il
eût été plus digne de son génie de surmonter, il réduisait ses ministres à n’être que de simples commis, subordonnés dans le
travail à un ministre intermédiaire ou secrétaire d’État placé près de sa personne. Au-dessous de ses ministres et dans l’ordre de
la puissance politique, sinon des préséances, venaient les préfets des départements, dont l’institution, qui remontait aux premiers
jours du Consulat, était la plus forte de ces conceptions administratives. Les grands corps de l’Etat s’associaient à sa pensée et lui
faisaient un cortège; mais les hommes politiques de 1811, façonnés par les révolutions à passer d’un pouvoir à l’autre, à arborer
différentes cocardes et à exalter des principes contraires avec un enthousiasme égal, ces hommes pouvaient bien donner à Paris le
spectacle de leurs costumes et de leurs panaches; mais ils n’étaient point la vraie réserve, la puissante et solide base sur laquelle
devait s’appuyer l’Empereur.
Napoléon se faisait volontiers illusion à cet égard; il aimait à s’entourer des illustrations de toutes les époques, à rassembler
dans ses salons les Montmorency et les Montebello, les La Rochefoucauld et les Trévise, noms rehaussés par des exploits récents ou
par d’illustres ancêtres. Les princes de la confédération du Rhin se pressaient à sa cour, mêlés aux lieutenants de la République
et aux régicides conventionnels. L’Empereur avait remis en coutume les levers et les couchers de nos rois; mais, au lieu d’être
réels comme autrefois, ils n’étaient plus que de simples réceptions du matin et du soir. On ne pouvait approcher de sa personne ni
PARIS MODERNE.
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fêtes officielles qui furent données à cette occasion, le bal de l’ambassade d’Autriche, fut attristée par une catastrophe des plus
douloureuses. Toute l’élite de la noblesse de France et du continent avait été conviée à cette fête; et, pour suppléer à l’insuffisance
des appartements, le prince de Schwartzenberg avait fait construire dans le jardin de son hôtel, une vaste salle de bois,
somptueusement décorée. Les frêles murs de cette galerie avaient été parés de tentures et de draperies, le plafond était chargé
de lustres; les bougies étincelaient par milliers, et la foule était si nombreuse qu’on pouvait à peine circuler. Soudain le cri
au feu! se fit entendre; la flamme dévora en quelques instants les murs et les lambris de bois, enduits d’une peinture résineuse;
ce moment fut effroyable; toutes les femmes se précipitaient à la fois par les issues, et beaucoup d’entre elles furent foulées aux
pieds et étouffées; Marie-Louise, conservant un calme remarquable, vint s’asseoir sur son trône; l’Empereur s’élança, la prit
dans ses bras, et la transporta hors de l’enceinte à demi embrasée. Il revint ensuite pour diriger les secours, mais bientôt il ne
resta plus qu’un amas de décombres ensanglantés et fumants. Cet événement produisit à Paris une vive stupéfaction; les hommes
les moins superstitieux se rappelèrent les désastres occasionnés à Paris par les pompes du mariage de Marie-Antoinette, et ils se
dirent que la nouvelle alliance contractée avec l’Autriche ne serait ni longue ni heureuse. L’année suivante (1841), un événement
dont on espéra beaucoup, parut démentir ces appréhensions populaires. Dans la nuit du 20 mars, naquit à Napoléon un héritier,
et l’Empereur décerna à l’enfant impérial le titre de roi de Rome, que nul homme n’avait porté depuis Tarquin-le-Superbe.
Jamais, depuis l’époque de Charlemagne, une monarchie aussi colossale n’avait été offerte en spectacle au monde. L’empire
français et le royaume d’Italie comprenaient à eux seuls cent cinquante-quatre départements, et les sept provinces illyriennes
formaient une dépendance directe de la couronne de France. Le territoire napoléonien était borné, au Nord, par la mer Baltique
et le Danemarck; au Midi, par le royaume des Deux-Siciles et la Turquie d’Europe; trente-deux princes allemands, rois et
ducs, mais chefs de maisons régnantes et parmi lesquels se trouvait le souverain de la Saxe et de la Pologne, se rangeaient parmi
les vassaux de la France, et contraignaient leurs peuples à subir son protectorat. La Suisse, enclavée dans l’empire, obéissait
à Napoléon comme à son médiateur; les rois de Naples et d’Espagne n’étaient que deux proconsuls; la Prusse et l’Autriche
tremblaient devant le géant; les autres nations continentales recherchaient son amitié, ou soutenaient contre lui une lutte
inégale; le chef de l’Église, captif et détrôné, avait vu son nom rayé de la liste des souverains. Depuis le cercle polaire jusqu’au
détroit de Charybde et de Scylla, à l’exception de l’Espagne que tourmentait la guerre, toutes les côtes de l’Océan et de la
Méditerranée étaient fermées aux Anglais. On parlait quatre langues dans l’étendue de l’empire.
Le palais des Tuileries était comme l’hôtellerie des rois vassaux de la France. Napoléon avait créé une nouvelle noblesse, et la
victoire avait vieilli, même avant leur baptême, ces illustrations de la cour impériale; d’anciens montagnards, des terroristes
exaltés, des régicides s’étaient empressés de cacher leurs antécédents républicains sous les titres fastueux de barons et de comtes
dont les affublait l’Empereur; les nobles du plus haut lignage, dont les ancêtres avaient pris part aux Croisades et décerné la
couronne à Hugues Capet, venaient à leur tour solliciter les grâces de l’Empereur et recevoir de sa main la clef de chambellan.
Lui-même hâtait, dans les loisirs de la paix, cette fusion qu’il avait commencée sur les champs de bataille; il mêlait les grandes
races aux jeunes familles de sa création, le blason des pairs de Charles VII au blason plus ou moins écartelé de ses compagnons
d’armes. Il avait rétabli les majorais; et si, par respect pour le territoire français, il ne lui avait demandé aucune parcelle pour en
former des fiefs, son royaume d’Italie et les portions allemandes de son empire lui fournissaient des principautés, des duchés, des
comtés et des baronnies; et comme ces seigneuries ne constituaient aucun privilège et ne procuraient que des revenus, la féodalité
n’était rétablie ni de fait ni de nom. On eût dit la noblesse de Charles-le-Chauve réduite par Richelieu aux seules vanités des gens
de cour. Quoi qu’il en soit, l’Empereur avait autour de lui, sous des dénominations modernes, ses douze pairs et ses leudes : les
premiers étaient ses maréchaux, les seconds ses lieutenants et ses fonctionnaires. Par un instinct de domination exclusive qu’il
eût été plus digne de son génie de surmonter, il réduisait ses ministres à n’être que de simples commis, subordonnés dans le
travail à un ministre intermédiaire ou secrétaire d’État placé près de sa personne. Au-dessous de ses ministres et dans l’ordre de
la puissance politique, sinon des préséances, venaient les préfets des départements, dont l’institution, qui remontait aux premiers
jours du Consulat, était la plus forte de ces conceptions administratives. Les grands corps de l’Etat s’associaient à sa pensée et lui
faisaient un cortège; mais les hommes politiques de 1811, façonnés par les révolutions à passer d’un pouvoir à l’autre, à arborer
différentes cocardes et à exalter des principes contraires avec un enthousiasme égal, ces hommes pouvaient bien donner à Paris le
spectacle de leurs costumes et de leurs panaches; mais ils n’étaient point la vraie réserve, la puissante et solide base sur laquelle
devait s’appuyer l’Empereur.
Napoléon se faisait volontiers illusion à cet égard; il aimait à s’entourer des illustrations de toutes les époques, à rassembler
dans ses salons les Montmorency et les Montebello, les La Rochefoucauld et les Trévise, noms rehaussés par des exploits récents ou
par d’illustres ancêtres. Les princes de la confédération du Rhin se pressaient à sa cour, mêlés aux lieutenants de la République
et aux régicides conventionnels. L’Empereur avait remis en coutume les levers et les couchers de nos rois; mais, au lieu d’être
réels comme autrefois, ils n’étaient plus que de simples réceptions du matin et du soir. On ne pouvait approcher de sa personne ni