24
PARIS DANS SA SPLENDEUR.
de celle de l’impératrice avant d’avoir été présenté selon toutes les formes prescrites par le cérémonial de l’ancienne monarchie. La
cour impériale étalait une grandeur et une magnificence extraordinaires; mais, en dépit des soins de M. de Ségur, grand maître des
cérémonies, il manquait à cette société plus habituée à la gloire qu’au respect de l’étiquette, ces habitudes qui ne se transmettent
pas du maître au sujet en vertu d’une charte de duc ou d’un diplôme de comte. Beaucoup de seigneurs de la vieille cour, quoique
assez empressés de recueillir les faveurs impériales, se trouvaient gênés dans ces Tuileries, où tout leur rappelait encore
Louis XVI et Marie-Antoinette. Ces souvenirs douloureux pesaient à leur âme, et ils croyaient rêver en se voyant enchaînés au char
d’un héros. Les anoblis impériaux qui devaient d’ailleurs leur fortune à des services réels, se sentaient embarrassés sous leurs
broderies et leurs panaches: les hommes de guerre n’avaient pu entièrement dépouiller leurs allures soldatesques et la franche
brutalité des camps. Les femmes, douées d’un esprit plus fin et d’un tact moins imparfait, réussissaient mieux à élever leurs
manières au niveau de leur nouveau rôle : quelques-unes, en petit nombre, gardaient les dehors de leur origine; mais l’Empereur
voulait qu’on respectât en elles la gloire de leurs maris, et dans ces occasions il donnait l’exemple.
Au milieu des splendeurs de la paix, sous l’empire des émotions de la guerre, le Paris impérial de cette grande époque se
passionnait toujours pour les fêtes, pour les représentations théâtrales, pour les pompes de l’Opéra. Napoléon, bien que son
instruction eut été négligée, au point de vue littéraire, était fort sensible à la poésie et aux triomphes du génie. Sous son règne
cependant Paris n’eut pas à saluer des gloires artistiques au niveau des gloires militaires. Le bruit des armes couvrait les chants
des poètes. A cette époque, néanmoins, vivaient encore Bernardin de Saint-Pierre, Delille et Ducis, qui jouissaient en paix de
leur renommée; dans un ordre inférieur, on citait Legouvé, Esménard, Parseval de Grandmaison, Berchoux, Chenedollé, Baour
Lormian, Campenon, Laya; deux vrais poètes, Lebrun et Chénier, venaient de s’éteindre. M. de Fontanes écrivait avec une
froide élégance ses doucereuses élégies; Millevoye révélait à la France un talent pur et qui n’a pas tenu ses promesses;
Raynouard, Alexandre Duval, Étienne, Picard, Collin d’Harleville ajoutaient de beaux fleurons à la couronne dramatique de la
France; Népomucène Lemercier s’efforcait d’ouvrir à l’art de nouvelles voies; Béranger, encore inconnu, préludait par des refrains,
trop souvent sans chasteté, à la réputation qu’il allait bientôt conquérir. Parmi les prosateurs, on remarquait à juste titre
MM. de Jouy, Guinguené, Daru, M. Guizot lui-même qui s’essayait dans des revues. Puis, au-dessus de tous ces noms, et dans
une sphère réservée à la gloire du génie, planaient les noms de Chateaubriand et de Mrae de Staël.
Vint de nouveau la nécessité d’entrer en lutte contre la Russie, et, dès ce moment, jusqu’au dernier jour de sa puissance,
Napoléon ne put trouver le loisir de remettre l’épée dans le fourreau. Est-il besoin de dire combien de tristesse répandit dans
les familles de Paris le gigantesque désastre qu’on appelle la retraite de Moscou. Or, en 1812, au mois d’octobre, lorsque
retentissaient au fond des cœurs les terribles nouvelles qui arrivaient de Russie, la ville de Paris vit presque en même temps se
former, triompher et disparaître une conspiration étrange, organisée dans le fond d’une prison par le général Mallet, et qui,
pendant deux heures, substitua un gouvernement provisoire au gouvernement de l’Empereur, assis en apparence sur des bases
inébranlables. L’année suivante (1813) fut tout entière donnée aux préoccupations de la grande guerre poursuivie à la fois en
Espagne et en Allemagne, et, dans ces deux contrées, nos aigles, après de glorieux triomphes, se virent forcées de replier leurs
ailes et de se réfugier, poursuivies par l’Europe, sur nos frontières des Pyrénées, des Alpes et du Rhin. Le grand empire
napoléonien se dissolvait pierre à pierre, et le sol de la France était entamé sur trois points différents (janvier 1814).
La France, épuisée par la guerre, en proie aux excitations des partis, s’abandonnait elle-même, et par son découragement
inopportun, facilitait le triomphe de l’invasion étrangère. L’Empereur lui donna l’exemple d’une ardeur et d’une persévérance
opiniâtre, mais elle ne s’y associa qu’à moitié, et, malgré le génie extraordinaire de l’homme qui luttait à sa tête, et pour elle, la
France cessa d’être à la hauteur de la résistance de 1792, au niveau des sacrifices qu’elle avait à subir. Les grands corps de
l’État donnaient d’ailleurs l’exemple de la défection, et l’Empereur, justement inquiet des dispositions du Corps Législatif, n’hésita
pas à le dissoudre. Bientôt il fit appel à la garde nationale de Paris et lui fit donner des armes. Le 24 janvier 1 814, ayant réuni
autour de lui les principaux chefs de cette milice, il leur fit des adieux touchants et solennels, et, prêt à partir pour combattre, il
confia à leur fidélité et à leur dévoùment « ce qu’il avait de plus cher au monde, son fils et sa femme. » Elevant ensuite dans
ses bras le jeune et noble héritier de l’Empire, il le montra aux citoyens, et de toutes parts les acclamations mêlées de sanglots
lui donnèrent espoir et confiance. Cette scène fut grande et mémorable. On assistait au dénoùment de la grande épopée militaire
inaugurée autrefois à Valmy, dans ces mêmes provinces où l’étranger déployait de nouveau ses légions. La lutte recommença, à la
fois glorieuse, immortelle et impuissante. Après deux mois d’une campagne durant laquelle l’Empereur et les débris de la grande
armée accomplirent des prodiges d’activité et de dévoùment, les armées de la coalition parurent en vue de Paris, et les femmes
de nos faubourgs virent la fumée des bivouacs de l’ennemi. Ce fut une heure décisive dans notre histoire.
En ce jour, où il s’agissait de Paris, et où Paris résumait à lui seul toute la France, les hommes que Napoléon avait placés au
premier rang de la défense, défaillirent l’un après l’autre; le conseil de régence fut paralysé par la cupidité ou par la peur. Résolu
à ne point tenter une bataille dont il prévoyait l’issue, il songea à pourvoir à sa propre sûreté. La présence de Marie-Louise dans
PARIS DANS SA SPLENDEUR.
de celle de l’impératrice avant d’avoir été présenté selon toutes les formes prescrites par le cérémonial de l’ancienne monarchie. La
cour impériale étalait une grandeur et une magnificence extraordinaires; mais, en dépit des soins de M. de Ségur, grand maître des
cérémonies, il manquait à cette société plus habituée à la gloire qu’au respect de l’étiquette, ces habitudes qui ne se transmettent
pas du maître au sujet en vertu d’une charte de duc ou d’un diplôme de comte. Beaucoup de seigneurs de la vieille cour, quoique
assez empressés de recueillir les faveurs impériales, se trouvaient gênés dans ces Tuileries, où tout leur rappelait encore
Louis XVI et Marie-Antoinette. Ces souvenirs douloureux pesaient à leur âme, et ils croyaient rêver en se voyant enchaînés au char
d’un héros. Les anoblis impériaux qui devaient d’ailleurs leur fortune à des services réels, se sentaient embarrassés sous leurs
broderies et leurs panaches: les hommes de guerre n’avaient pu entièrement dépouiller leurs allures soldatesques et la franche
brutalité des camps. Les femmes, douées d’un esprit plus fin et d’un tact moins imparfait, réussissaient mieux à élever leurs
manières au niveau de leur nouveau rôle : quelques-unes, en petit nombre, gardaient les dehors de leur origine; mais l’Empereur
voulait qu’on respectât en elles la gloire de leurs maris, et dans ces occasions il donnait l’exemple.
Au milieu des splendeurs de la paix, sous l’empire des émotions de la guerre, le Paris impérial de cette grande époque se
passionnait toujours pour les fêtes, pour les représentations théâtrales, pour les pompes de l’Opéra. Napoléon, bien que son
instruction eut été négligée, au point de vue littéraire, était fort sensible à la poésie et aux triomphes du génie. Sous son règne
cependant Paris n’eut pas à saluer des gloires artistiques au niveau des gloires militaires. Le bruit des armes couvrait les chants
des poètes. A cette époque, néanmoins, vivaient encore Bernardin de Saint-Pierre, Delille et Ducis, qui jouissaient en paix de
leur renommée; dans un ordre inférieur, on citait Legouvé, Esménard, Parseval de Grandmaison, Berchoux, Chenedollé, Baour
Lormian, Campenon, Laya; deux vrais poètes, Lebrun et Chénier, venaient de s’éteindre. M. de Fontanes écrivait avec une
froide élégance ses doucereuses élégies; Millevoye révélait à la France un talent pur et qui n’a pas tenu ses promesses;
Raynouard, Alexandre Duval, Étienne, Picard, Collin d’Harleville ajoutaient de beaux fleurons à la couronne dramatique de la
France; Népomucène Lemercier s’efforcait d’ouvrir à l’art de nouvelles voies; Béranger, encore inconnu, préludait par des refrains,
trop souvent sans chasteté, à la réputation qu’il allait bientôt conquérir. Parmi les prosateurs, on remarquait à juste titre
MM. de Jouy, Guinguené, Daru, M. Guizot lui-même qui s’essayait dans des revues. Puis, au-dessus de tous ces noms, et dans
une sphère réservée à la gloire du génie, planaient les noms de Chateaubriand et de Mrae de Staël.
Vint de nouveau la nécessité d’entrer en lutte contre la Russie, et, dès ce moment, jusqu’au dernier jour de sa puissance,
Napoléon ne put trouver le loisir de remettre l’épée dans le fourreau. Est-il besoin de dire combien de tristesse répandit dans
les familles de Paris le gigantesque désastre qu’on appelle la retraite de Moscou. Or, en 1812, au mois d’octobre, lorsque
retentissaient au fond des cœurs les terribles nouvelles qui arrivaient de Russie, la ville de Paris vit presque en même temps se
former, triompher et disparaître une conspiration étrange, organisée dans le fond d’une prison par le général Mallet, et qui,
pendant deux heures, substitua un gouvernement provisoire au gouvernement de l’Empereur, assis en apparence sur des bases
inébranlables. L’année suivante (1813) fut tout entière donnée aux préoccupations de la grande guerre poursuivie à la fois en
Espagne et en Allemagne, et, dans ces deux contrées, nos aigles, après de glorieux triomphes, se virent forcées de replier leurs
ailes et de se réfugier, poursuivies par l’Europe, sur nos frontières des Pyrénées, des Alpes et du Rhin. Le grand empire
napoléonien se dissolvait pierre à pierre, et le sol de la France était entamé sur trois points différents (janvier 1814).
La France, épuisée par la guerre, en proie aux excitations des partis, s’abandonnait elle-même, et par son découragement
inopportun, facilitait le triomphe de l’invasion étrangère. L’Empereur lui donna l’exemple d’une ardeur et d’une persévérance
opiniâtre, mais elle ne s’y associa qu’à moitié, et, malgré le génie extraordinaire de l’homme qui luttait à sa tête, et pour elle, la
France cessa d’être à la hauteur de la résistance de 1792, au niveau des sacrifices qu’elle avait à subir. Les grands corps de
l’État donnaient d’ailleurs l’exemple de la défection, et l’Empereur, justement inquiet des dispositions du Corps Législatif, n’hésita
pas à le dissoudre. Bientôt il fit appel à la garde nationale de Paris et lui fit donner des armes. Le 24 janvier 1 814, ayant réuni
autour de lui les principaux chefs de cette milice, il leur fit des adieux touchants et solennels, et, prêt à partir pour combattre, il
confia à leur fidélité et à leur dévoùment « ce qu’il avait de plus cher au monde, son fils et sa femme. » Elevant ensuite dans
ses bras le jeune et noble héritier de l’Empire, il le montra aux citoyens, et de toutes parts les acclamations mêlées de sanglots
lui donnèrent espoir et confiance. Cette scène fut grande et mémorable. On assistait au dénoùment de la grande épopée militaire
inaugurée autrefois à Valmy, dans ces mêmes provinces où l’étranger déployait de nouveau ses légions. La lutte recommença, à la
fois glorieuse, immortelle et impuissante. Après deux mois d’une campagne durant laquelle l’Empereur et les débris de la grande
armée accomplirent des prodiges d’activité et de dévoùment, les armées de la coalition parurent en vue de Paris, et les femmes
de nos faubourgs virent la fumée des bivouacs de l’ennemi. Ce fut une heure décisive dans notre histoire.
En ce jour, où il s’agissait de Paris, et où Paris résumait à lui seul toute la France, les hommes que Napoléon avait placés au
premier rang de la défense, défaillirent l’un après l’autre; le conseil de régence fut paralysé par la cupidité ou par la peur. Résolu
à ne point tenter une bataille dont il prévoyait l’issue, il songea à pourvoir à sa propre sûreté. La présence de Marie-Louise dans