PARIS DANS SA SPLENDEUR.
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le roi arriva au Pont-Neuf; un trône avait été préparé sur l’estrade élevée en face de la statue du Béarnais. M. le marquis de
Larbois, président des souscripteurs, prit la parole et adressa au roi un discours de circonstance : « Que cette statue, dit-il en
terminant, soit au milieu de cette grande cité comme un génie tutélaire, et qu’à sa vue toutes les haines s’éteignent. » Vœu
touchant qui ne devait point être réalisé. Le roi répondit d’une manière remarquable. Quand il eut cessé de parler, lord Wellington,
qui assistait à la cérémonie, lui demanda une copie de son discours : « Je ne me rappelle jamais mes discours, dit Louis XVIII, je
suis comme la sibylle de Cumes; j’écris sur des feuilles, et le vent les emporte. » Le reste de la journée fut consacré à des
réjouissances populaires. — Le même jour, 2S août, eut lieu à l’institut la séance solennelle des quatre académies; M. Cuvier fut
reçu membre de l’Académie Française, et un jeune homme, aujourd’hui haut placé dans la magistrature, M. Berville, fut assez
heureux pour se voir décerner le prix d’éloquence. — Peu de jours après, le 7 septembre 1818, fut établie pour la première
fois à Paris une « Caisse d’Épargne et de Bienfaisance, » institution qui, depuis lors, a été puissamment développée et qui a
porté des fruits utiles.
L’histoire politique de Paris, durant les années qui suivirent, se confondit dans l’histoire générale de la France, et nous
trouverions difficilement le moyen de l’isoler et de faire entrevoir par où la capitale vivait d’une vie distincte de celle du royaume.
Disons toutefois que Paris, alors plus que jamais, depuis 1789, résumait en lui les instincts bons ou mauvais de la France, qu’il
était l’âme et le cœur de l’opposition qu’on appelait libérale, et qui, soit qu’elle voulût renverser les Bourbons, soit qu’elle se
résignât à les accepter, travaillait sans relâche à réveiller dans les masses les instincts révolutionnaires, à amoindrir le pouvoir, à
organiser la liberté comme un instrument de guerre. Dans les sociétés secrètes on conspirait audacieusement en faveur des idées
républicaines; dans les journaux, en dépit de la sévérité des juges et parfois malgré la censure, on battait en brèche tout ce qui
servait de base à la morale, à l’ordre monarchique, aux croyances religieuses. La parole, la tribune, l’art théâtral, toutes les
manifestations de la pensée enfin étaient mises en œuvre pour déconsidérer les Bourbons et leur susciter des ennemis. Les sentinelles
perdues de la Révolution se faisaient remarquer au premier rang dans cette guerre, et beaucoup de conspirateurs obscurs ou
dévoués périssaient sur l’échafaud ou subissaient la prison; les chefs, pour la plupart membres de la haute bourgeoisie ou de la
haute banque, se contentaient d’excitations sourdes, d’encouragements pécuniaires et de sacrifices peu dangereux. Le plus
redoutable, mais le plus timide de ces chefs secrets, celui qui, presque sous l’abri du trône, ralliait ou cherchait à rallier toutes
les nuances éparses du parti national, était le duc d’Orléans, cousin du roi, et prétendant au trône. Le roi ne l’aimait pas et le
surveillait; mais le duc, sans s’écarter des nécessités de la circonspection et de la réserve, sans jamais laisser percer au dehors le
mystère de son opposition, ne négligeait aucun moyen possible d’accroître sa popularité et d’augmenter le nombre des ennemis
de la branche aînée.
De 1819 à 1823, il y eut incessamment à Paris des complots, des procès de presse, des agitations de carrefours, des
démonstrations libérales; plus ces symptômes révélaient les dangers de la situation, plus les Bourbons s’attachaient à tendre les
ressorts de l’autorité publique, à circonscrire le terrain de la liberté, à chercher dans des lois nouvelles des moyens d’action
contre leurs opiniâtres ennemis. On ne trouvera point ici l’histoire de ces agressions et de ces résistances : nous ne racontons
point l’histoire de la France; nous indiquons seulement quelle réaction les événements exercèrent sur la capitale.
Le 26 février 184 9, les cendres de Mabillon, de Montfaucon et de René Descartes, recueillies durant la Révolution dans le
jardin du Musée des Monuments Français, furent transférées en grande pompe à l’église Saint-Germain-des-Prés et déposées
dans la chapelle de Saint-François de Sales. — Le 30 mars eut lieu, à midi, la présentation au roi de l’ambassadeur persan
Mirza-Abdoul-Hassan-Khan ; la curiosité des Parisiens s’émerveilla grandement à ce spectacle. Abdoul-Hassan était vêtu d’une
robe en cachemire blanc broché en or; sa ceinture et son poignard étaient garnis de pierreries, ainsi que son bonnet blanc, en
forme de cône, sur lequel était posée une riche aigrette en diamants.—• Le 15 juin, un autre personnage, bien autrement
célèbre, et aujourd’hui non moins oublié, fit sensation à Paris; nous voulons parler de l’héroïne de Rhodez, Mme Manson, qui
avait si étrangement figuré au procès Fualdès. — Le 30, il y eut des désordres à l’École de Droit, à l’occasion du cours de
M. Bavoux, jurisconsulte, qui parut trop libéral au ministère de Louis XVIII, et dont les leçons furent suspendues par ordre.
— Le 21 septembre vint au monde S. A. R. Louise-Marie-Thérèse d’Artois, aujourd’hui Mme la duchesse régente de Parme._Le
2 octobre eut lieu la distribution des prix décernés par l’Académie royale des Beaux-Arts; M. Ilalévy, âgé de vingt ans, remporta
le prix de composition musicale. — En cette même année 1819, Paris fut affligé d’un grand nombre de duels politiques, suivis
de mort, et la manie des suicides fit beaucoup de victimes. — Vers le même temps, on se préoccupa très-sérieusement d’une
singulière espèce de malfaiteurs qui blessaient en pleines rues les femmes et les jeunes filles, à l’aide d’instruments pointus et de
cannes à dard. On les nommait piqueurs. Cet étrange délit n’eut qu’un temps, mais on ne put livrer à la justice qu’un très-petit
nombre de coupables.
Au mois de février 1820, M. de Gazes étant président du conseil des ministres, et les esprits se trouvant profondément divisés
par les querelles de parti, un crime odieux jeta la consternation dans Paris. Le 13 février, le duc de Berry s’était rendu à l’Opéra
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le roi arriva au Pont-Neuf; un trône avait été préparé sur l’estrade élevée en face de la statue du Béarnais. M. le marquis de
Larbois, président des souscripteurs, prit la parole et adressa au roi un discours de circonstance : « Que cette statue, dit-il en
terminant, soit au milieu de cette grande cité comme un génie tutélaire, et qu’à sa vue toutes les haines s’éteignent. » Vœu
touchant qui ne devait point être réalisé. Le roi répondit d’une manière remarquable. Quand il eut cessé de parler, lord Wellington,
qui assistait à la cérémonie, lui demanda une copie de son discours : « Je ne me rappelle jamais mes discours, dit Louis XVIII, je
suis comme la sibylle de Cumes; j’écris sur des feuilles, et le vent les emporte. » Le reste de la journée fut consacré à des
réjouissances populaires. — Le même jour, 2S août, eut lieu à l’institut la séance solennelle des quatre académies; M. Cuvier fut
reçu membre de l’Académie Française, et un jeune homme, aujourd’hui haut placé dans la magistrature, M. Berville, fut assez
heureux pour se voir décerner le prix d’éloquence. — Peu de jours après, le 7 septembre 1818, fut établie pour la première
fois à Paris une « Caisse d’Épargne et de Bienfaisance, » institution qui, depuis lors, a été puissamment développée et qui a
porté des fruits utiles.
L’histoire politique de Paris, durant les années qui suivirent, se confondit dans l’histoire générale de la France, et nous
trouverions difficilement le moyen de l’isoler et de faire entrevoir par où la capitale vivait d’une vie distincte de celle du royaume.
Disons toutefois que Paris, alors plus que jamais, depuis 1789, résumait en lui les instincts bons ou mauvais de la France, qu’il
était l’âme et le cœur de l’opposition qu’on appelait libérale, et qui, soit qu’elle voulût renverser les Bourbons, soit qu’elle se
résignât à les accepter, travaillait sans relâche à réveiller dans les masses les instincts révolutionnaires, à amoindrir le pouvoir, à
organiser la liberté comme un instrument de guerre. Dans les sociétés secrètes on conspirait audacieusement en faveur des idées
républicaines; dans les journaux, en dépit de la sévérité des juges et parfois malgré la censure, on battait en brèche tout ce qui
servait de base à la morale, à l’ordre monarchique, aux croyances religieuses. La parole, la tribune, l’art théâtral, toutes les
manifestations de la pensée enfin étaient mises en œuvre pour déconsidérer les Bourbons et leur susciter des ennemis. Les sentinelles
perdues de la Révolution se faisaient remarquer au premier rang dans cette guerre, et beaucoup de conspirateurs obscurs ou
dévoués périssaient sur l’échafaud ou subissaient la prison; les chefs, pour la plupart membres de la haute bourgeoisie ou de la
haute banque, se contentaient d’excitations sourdes, d’encouragements pécuniaires et de sacrifices peu dangereux. Le plus
redoutable, mais le plus timide de ces chefs secrets, celui qui, presque sous l’abri du trône, ralliait ou cherchait à rallier toutes
les nuances éparses du parti national, était le duc d’Orléans, cousin du roi, et prétendant au trône. Le roi ne l’aimait pas et le
surveillait; mais le duc, sans s’écarter des nécessités de la circonspection et de la réserve, sans jamais laisser percer au dehors le
mystère de son opposition, ne négligeait aucun moyen possible d’accroître sa popularité et d’augmenter le nombre des ennemis
de la branche aînée.
De 1819 à 1823, il y eut incessamment à Paris des complots, des procès de presse, des agitations de carrefours, des
démonstrations libérales; plus ces symptômes révélaient les dangers de la situation, plus les Bourbons s’attachaient à tendre les
ressorts de l’autorité publique, à circonscrire le terrain de la liberté, à chercher dans des lois nouvelles des moyens d’action
contre leurs opiniâtres ennemis. On ne trouvera point ici l’histoire de ces agressions et de ces résistances : nous ne racontons
point l’histoire de la France; nous indiquons seulement quelle réaction les événements exercèrent sur la capitale.
Le 26 février 184 9, les cendres de Mabillon, de Montfaucon et de René Descartes, recueillies durant la Révolution dans le
jardin du Musée des Monuments Français, furent transférées en grande pompe à l’église Saint-Germain-des-Prés et déposées
dans la chapelle de Saint-François de Sales. — Le 30 mars eut lieu, à midi, la présentation au roi de l’ambassadeur persan
Mirza-Abdoul-Hassan-Khan ; la curiosité des Parisiens s’émerveilla grandement à ce spectacle. Abdoul-Hassan était vêtu d’une
robe en cachemire blanc broché en or; sa ceinture et son poignard étaient garnis de pierreries, ainsi que son bonnet blanc, en
forme de cône, sur lequel était posée une riche aigrette en diamants.—• Le 15 juin, un autre personnage, bien autrement
célèbre, et aujourd’hui non moins oublié, fit sensation à Paris; nous voulons parler de l’héroïne de Rhodez, Mme Manson, qui
avait si étrangement figuré au procès Fualdès. — Le 30, il y eut des désordres à l’École de Droit, à l’occasion du cours de
M. Bavoux, jurisconsulte, qui parut trop libéral au ministère de Louis XVIII, et dont les leçons furent suspendues par ordre.
— Le 21 septembre vint au monde S. A. R. Louise-Marie-Thérèse d’Artois, aujourd’hui Mme la duchesse régente de Parme._Le
2 octobre eut lieu la distribution des prix décernés par l’Académie royale des Beaux-Arts; M. Ilalévy, âgé de vingt ans, remporta
le prix de composition musicale. — En cette même année 1819, Paris fut affligé d’un grand nombre de duels politiques, suivis
de mort, et la manie des suicides fit beaucoup de victimes. — Vers le même temps, on se préoccupa très-sérieusement d’une
singulière espèce de malfaiteurs qui blessaient en pleines rues les femmes et les jeunes filles, à l’aide d’instruments pointus et de
cannes à dard. On les nommait piqueurs. Cet étrange délit n’eut qu’un temps, mais on ne put livrer à la justice qu’un très-petit
nombre de coupables.
Au mois de février 1820, M. de Gazes étant président du conseil des ministres, et les esprits se trouvant profondément divisés
par les querelles de parti, un crime odieux jeta la consternation dans Paris. Le 13 février, le duc de Berry s’était rendu à l’Opéra