HISTOIRE.
PARIS ANCIEN.
73
cinq heures du matin à cinq heures du soir, même par la pluie et la boue, le cimetière devint le théâtre de convulsions et de
scènes qui rappelaient assez peu les miracles de Jésus-Christ et des Apôtres.
Au Parlement le Jansénisme ne montrait guère moins d’audace; les appels comme d’abûs s’y succédaient contre les prêtres et
les évêques; les Jésuites étaient proscrits; l’administration des Sacrements aux appelants de la bulle Unigenitus était ordonnée par
voie d’huissier. « Pour moi qui vois tout en ce moment couleur de rose, écrivait alors d’Alembert, je vois d’ici les Jansénistes
mourant, l’année prochaine, de leur belle mort, après avoir fait périr, cette année-ci, les Jésuites de mort violente, la tolérance
s’établir, les Protestants rappelés, Jes prêtres mariés, la confession abolie et le fanatisme écrasé sans qu’on s’en aperçoive. »
RÉGNE DE LOUIS XVI.
1774-1789.
el était l’état des esprits lorsque Louis XVI succéda, encore jeune, à un prince qui avait tout profané. « Le peuple
n’a pas sans doute le droit de murmurer, avait dit un évêque sur la tombe dû roi mort; mais sans doute aussi il
a le droit de se taire, et son silence est la leçon des rois. » Depuis longtemps, en effet, il se taisait autour de
sailles, et tandis que les philosophes promettaient à la marquise de Pompadour, à la concubine royale, le suffrage
savent penser (Voltaire),Je peuple plus sévère, plus digne, témoignait par son silence, de sa tristesse et de son
ï l’avénemcnt de Louis XVI, il retrouve cet amour inné du Français pour ses princes. Quel prince y eut plus
de droits! Si la droiture et la bonté étaient le génie, Louis XVI eût égalé Louis XIV et rappelé saint Louis, son ancêtre.
Louis XVI était d’ailleurs peu connu encore à Paris, et les fêtes de son mariage y avaient été signalées par d’affreux malheurs.
Au moment où le peuple, qui s’était entassé sur la place Louis XV, pour assister au feu d’artifice, commençait à s’écouler par la
rue Royale, les inégalités de cette rue dont le pavé n’embrassait pas encore toute la largeur, occasionnèrent des chutes qui se
multiplièrent sous la pression irrésistible de la foule. Les cris, l’effroi, la confusion que les voleurs augmentent par leur audace,
portent bientôt le désordre à son comble. Cinq cents personnes sont écrasées ou par un mouvement de recul jetées dans la Seine.
Le Dauphin envoya aussitôt sa pension du mois pour être distribuée aux familles atteintes; et, l’une des dames de la Dauphine,
voulant adoucir ses chagrins en lui disant que des voleurs avaient été trouvés, les poches pleines, parmi les victimes:
« Qu’importe! avait répondu la princesse, ils sont morts à côté des honnêtes gens. »
Marie-Antoinette réunissait la dignité à la grâce; Louis XVI se distinguait surtout par une bonhomie franche et ouverte qui,
elle aussi, n’était pas sans dignité. Lorsque ce jeune prince vint à Paris avec la Dauphine, les acclamations allèrent jusqu’à l’ivresse.
Le soir, on joua le Siège de Calais', et au moment où facteur prononça ces vers :
Le Français dans son prince aime à trouver un frère
Qui, né fils de l’Élat, en devienne le père, . . -
la salle entière se leva comme par un mouvement électrique. Puis, lorsque vint cet autre vers :
Rendre heureux qui nous aime est un si doux devoir,
le prince s’inclina vers l’assemblée avec émotion.
Malheureusement, le bien était loin d’être aussi facile que le supposait le poète; et, à côté des espérances, germait un
mécontentement qui déjà ne craignait plus de se faire jour. C’est de cette époque qua date l’enseigne de la Poule au pot, avec
ces vers quelque peu hardis :
Enfin, la poule au pot sera donc bientôt mise,
Il faut du moins le présumer,
Car, depuis deux.cents ans qu’on nous l’avait promise,
On n’a cessé de la plumer.
Lorsque Louis XVI monta sur le trône, les parlements étaient dissous et remplacés, depuis plusieurs années déjà, par des
tribunaux uniquement occupés de rendre la justice. La vénalité des charges avait été en même temps abolie. C’étaient de grandes
réformes qu’il ne s’agissait plus que de maintenir; mais, dans son désir aveugle de complaire à l’ancienne opposition qui
redemandait les parlements, Louis XVI se remit, lui et l’avenir, sous la tutelle désordonnée de la Grand’Çhambre. La chanson
des Revenants qui courut à l’occasion du rappel des anciennes cours, exprime vivement les craintes des hommes sages:
Quoi qu’en disent les préambules Sortis gonflés de leurs ténèbres,
Et toutes royales cédules, Résolus, pour être célèbres,
Hochets d’enfant; D’être insolents ;
Pour le trône et pour son ministre, Tyrans sans frein et sans contrainte,-
C’est un phénomène sinistre Ilsvont justifier la crainte
Qu’un Revenant. Des Revenants.
2mê p. — P. A.
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PARIS ANCIEN.
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cinq heures du matin à cinq heures du soir, même par la pluie et la boue, le cimetière devint le théâtre de convulsions et de
scènes qui rappelaient assez peu les miracles de Jésus-Christ et des Apôtres.
Au Parlement le Jansénisme ne montrait guère moins d’audace; les appels comme d’abûs s’y succédaient contre les prêtres et
les évêques; les Jésuites étaient proscrits; l’administration des Sacrements aux appelants de la bulle Unigenitus était ordonnée par
voie d’huissier. « Pour moi qui vois tout en ce moment couleur de rose, écrivait alors d’Alembert, je vois d’ici les Jansénistes
mourant, l’année prochaine, de leur belle mort, après avoir fait périr, cette année-ci, les Jésuites de mort violente, la tolérance
s’établir, les Protestants rappelés, Jes prêtres mariés, la confession abolie et le fanatisme écrasé sans qu’on s’en aperçoive. »
RÉGNE DE LOUIS XVI.
1774-1789.
el était l’état des esprits lorsque Louis XVI succéda, encore jeune, à un prince qui avait tout profané. « Le peuple
n’a pas sans doute le droit de murmurer, avait dit un évêque sur la tombe dû roi mort; mais sans doute aussi il
a le droit de se taire, et son silence est la leçon des rois. » Depuis longtemps, en effet, il se taisait autour de
sailles, et tandis que les philosophes promettaient à la marquise de Pompadour, à la concubine royale, le suffrage
savent penser (Voltaire),Je peuple plus sévère, plus digne, témoignait par son silence, de sa tristesse et de son
ï l’avénemcnt de Louis XVI, il retrouve cet amour inné du Français pour ses princes. Quel prince y eut plus
de droits! Si la droiture et la bonté étaient le génie, Louis XVI eût égalé Louis XIV et rappelé saint Louis, son ancêtre.
Louis XVI était d’ailleurs peu connu encore à Paris, et les fêtes de son mariage y avaient été signalées par d’affreux malheurs.
Au moment où le peuple, qui s’était entassé sur la place Louis XV, pour assister au feu d’artifice, commençait à s’écouler par la
rue Royale, les inégalités de cette rue dont le pavé n’embrassait pas encore toute la largeur, occasionnèrent des chutes qui se
multiplièrent sous la pression irrésistible de la foule. Les cris, l’effroi, la confusion que les voleurs augmentent par leur audace,
portent bientôt le désordre à son comble. Cinq cents personnes sont écrasées ou par un mouvement de recul jetées dans la Seine.
Le Dauphin envoya aussitôt sa pension du mois pour être distribuée aux familles atteintes; et, l’une des dames de la Dauphine,
voulant adoucir ses chagrins en lui disant que des voleurs avaient été trouvés, les poches pleines, parmi les victimes:
« Qu’importe! avait répondu la princesse, ils sont morts à côté des honnêtes gens. »
Marie-Antoinette réunissait la dignité à la grâce; Louis XVI se distinguait surtout par une bonhomie franche et ouverte qui,
elle aussi, n’était pas sans dignité. Lorsque ce jeune prince vint à Paris avec la Dauphine, les acclamations allèrent jusqu’à l’ivresse.
Le soir, on joua le Siège de Calais', et au moment où facteur prononça ces vers :
Le Français dans son prince aime à trouver un frère
Qui, né fils de l’Élat, en devienne le père, . . -
la salle entière se leva comme par un mouvement électrique. Puis, lorsque vint cet autre vers :
Rendre heureux qui nous aime est un si doux devoir,
le prince s’inclina vers l’assemblée avec émotion.
Malheureusement, le bien était loin d’être aussi facile que le supposait le poète; et, à côté des espérances, germait un
mécontentement qui déjà ne craignait plus de se faire jour. C’est de cette époque qua date l’enseigne de la Poule au pot, avec
ces vers quelque peu hardis :
Enfin, la poule au pot sera donc bientôt mise,
Il faut du moins le présumer,
Car, depuis deux.cents ans qu’on nous l’avait promise,
On n’a cessé de la plumer.
Lorsque Louis XVI monta sur le trône, les parlements étaient dissous et remplacés, depuis plusieurs années déjà, par des
tribunaux uniquement occupés de rendre la justice. La vénalité des charges avait été en même temps abolie. C’étaient de grandes
réformes qu’il ne s’agissait plus que de maintenir; mais, dans son désir aveugle de complaire à l’ancienne opposition qui
redemandait les parlements, Louis XVI se remit, lui et l’avenir, sous la tutelle désordonnée de la Grand’Çhambre. La chanson
des Revenants qui courut à l’occasion du rappel des anciennes cours, exprime vivement les craintes des hommes sages:
Quoi qu’en disent les préambules Sortis gonflés de leurs ténèbres,
Et toutes royales cédules, Résolus, pour être célèbres,
Hochets d’enfant; D’être insolents ;
Pour le trône et pour son ministre, Tyrans sans frein et sans contrainte,-
C’est un phénomène sinistre Ilsvont justifier la crainte
Qu’un Revenant. Des Revenants.
2mê p. — P. A.
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