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PARIS DANS SA SPLENDEUR.
Cette circonscription, dont on peut, de nos jours, se faire une idée exacte, puisque le mur d’octroi subsiste encore, permettait
de saisir d’un coup-d’œil l’étendue des agrandissements successifs de Paris, durant le XVIIIe siècle; il était dit, en effet, dans une
déclaration du roi, édictée au commencement du règne de Louis XV: « La ville de Paris doit être bornée à ce qui est renfermé
d’arbres depuis l’Arsenal jusqu’à la porte Saint-Honoré, et de là, en suivant le fossé, jusqu’à la rivière; et de Vautre côté de la
rivière, en suivant l’alignement du rempart, depuis la rivière jusqu’à la rue de Vaugirard; et de là, en suivant le rempart jusqu’à
la rue d’Enfer où il finit; de là, en allant le long de la rue de la Bourbe, à côté du monastère de Port-Royal, ledit monastère
étant hors de l’enceinte; et de là, allant aboutir à la rue Saint-Jacques, et en partie, par une petite rue qui est attenante aux
Capucins, allant gagner le boulevard qui est derrière le Val-de-Grâce; et, dudit boulevard, en suivant la rue des Bourguignons,
et en suivant la rue de Lourcine jusqu’à la rue Mouffetard, et de cette rue, en suivant la vieille rue Saint-Jacques (la rue Censier)
dans toute sa longueur, jusqu’à la rue Saint-Victor, et, de là, en côtoyant le Jardin-Royal (le Jardin des Plantes) jusqu’au
boulevard qui aboutit à la rivière. » On voit que les fermiers généraux, en développant le mur d’enceinte fort au delà de ces,
limites, avaient enserré dans le Paris de 1789 des villages et des paroisses d’une assez grande étendue, et, en outre, de vastes
terrains, des plaines et des portions de rues dont on se fait une idée en comparant les plans de la ville moderne aux anciennes
cartes établies à l’avénement de Louis XVI.
On venait de terminer le théâtre de l’Odéon, et d’ouvrir les nouvelles rues qui aboutissent à cette salle plus splendide que
fréquentée; on complétait les travaux de construction de la Comédie Française, sur l’emplacement de l’ancien parterre d’Énée;
on jetait les fondations du théâtre Feydeau. Depuis quelques années, on avait vu se terminer les galeries du Palais-Royal, et le
duc d’Orléans venait de faire élever à grands frais, au centre de cet édifice, un vaste cirque qui, dix ans plus tard (1798), fut
entièrement détruit par un incendie. Le pont Notre-Dame et le Pont-au-Change avaient été tout récemment débarrassés des
maisons qui bordaient leur voie. Depuis deux ans, on élevait sur les dessins de Perronet, ingénieur justement célèbre, le pont
magnifique auquel on donnait alors le nom de Louis XVI. Le Jardin des Plantes venait d’être agrandi. Les revenus de la ville,
qui s’élevaient alors à plus de trente-six millions de livres, permettaient d’entreprendre à la fois et de réaliser en peu de temps
d’immenses travaux d’assainissement et d’embellissement, et quelque fiers que'nous puissions être, de nos jours, des splendeurs
de la Capitale, nous n’en devons pas moins reconnaître que le mouvement auquel nous assistons^ et qui se manifeste chaque
année par tant de merveilles, avait commencé sous le règne de Louis XVI.
En 1789, Paris comptait vingt-quatre quartiers ou cantons, plus de mille rues, près de trente mille maisons, cinq cents
hôtels, soixante églises paroissiales, vingt chapitres et églises collégiales, quatre-vingts églises ou chapelles qui n’avaient pas
attributions de paroisses, trois abbayes d’hommes, huit abbayes de filles, cinquante-trois couvents et communautés d’hommes,
soixante-dix couvents et communautés de femmes, trois juridictions ecclésiastiques et treize séculières. Outre ses monuments
publics, ses édifices, ses vastes établissements religieux, scientifiques ou charitables, que ce n’est point ici le moment d’énumérer,
Paris renfermait cinquante-deux fontaines publiques, vingt quais, douze marchés, vingt ponts, douze ports, un vaste égout, huit
jardins et grandes promenades; l’éclairage (on s’enorgueillissait alors de ce luxe prodigieux) se bornait à quatre mille réverbères;
le nombre des voitures privées et des voitures de louage s’élevait à quatorze mille; la sûreté de la ville avait pour garanties douze
corps-de-garde et des troupes de police comprenant environ quinze cents hommes à pied ou à cheval ; il y avait une compagnie
de garde-pompes répartis en seize postes différents.
D’après les données statistiques dont l’exactitude rigoureuse est loin d’être incontestable, mais qu’à cette époque tout le monde
acceptait, les six cent mille habitants de Paris consommaient, année commune, neuf cents muids de sel, douze mille huit cents
muids de blé, soixante-dix-sept mille bœufs, douze mille veaux, cinq cent quarante mille moutons, trente-deux mille porcs, du
poisson frais ou salé en quantité proportionnelle, et, en outre, pour les usages ordinaires de la vie, quarante-quatre mille muids
de charbon, quatre cent mille voies de bois, trois mille cinq cents muids d’avoine, etc. Nous comparerons ailleurs ces chiffres à
ceux que fournissent les statistiques récentes, et on pourra juger du développement inouï que la consommation de la Capitale a
dû prendre à mesure que se sont accrus les besoins et le nombre de ses habitants. Pour le moment, nous nous contentons de
consigner des points de départ.
Le gouvernement de Paris était à la fois ecclésiastique, civil et militaire, et ici nous bornerons notre résumé à une analyse
très-succincte, de peur qu’en résumant les attributions administratives, politiques et judiciaires des corps constitués en 1789,
notre récit ne fasse double emploi avec les détails historiques dont le développement sera donné par plusieurs de nos honorables
collaborateurs.
L’archevêque de Paris était alors le vénérable Le Clerc de Juigné, sacré évêque de Châlons-sur-Marne en 1764, et appelé,
en 1781, à l’administration du diocèse de Paris. Les revenus de l’archevêché s’élevaient à deux cent mille livres, et neuf fiefs,
dans la seule ville de Paris, dépendaient de l’archevêque, savoir: le fief de la Trémouille, situé rue des Bourdonnais; le Roule;
la Grange-Batelière, située à l’extrémité de la rue de Richelieu; le fief ou l’arrière-fief des Rosiers; le fief Outre-Petit-Pont; le
PARIS DANS SA SPLENDEUR.
Cette circonscription, dont on peut, de nos jours, se faire une idée exacte, puisque le mur d’octroi subsiste encore, permettait
de saisir d’un coup-d’œil l’étendue des agrandissements successifs de Paris, durant le XVIIIe siècle; il était dit, en effet, dans une
déclaration du roi, édictée au commencement du règne de Louis XV: « La ville de Paris doit être bornée à ce qui est renfermé
d’arbres depuis l’Arsenal jusqu’à la porte Saint-Honoré, et de là, en suivant le fossé, jusqu’à la rivière; et de Vautre côté de la
rivière, en suivant l’alignement du rempart, depuis la rivière jusqu’à la rue de Vaugirard; et de là, en suivant le rempart jusqu’à
la rue d’Enfer où il finit; de là, en allant le long de la rue de la Bourbe, à côté du monastère de Port-Royal, ledit monastère
étant hors de l’enceinte; et de là, allant aboutir à la rue Saint-Jacques, et en partie, par une petite rue qui est attenante aux
Capucins, allant gagner le boulevard qui est derrière le Val-de-Grâce; et, dudit boulevard, en suivant la rue des Bourguignons,
et en suivant la rue de Lourcine jusqu’à la rue Mouffetard, et de cette rue, en suivant la vieille rue Saint-Jacques (la rue Censier)
dans toute sa longueur, jusqu’à la rue Saint-Victor, et, de là, en côtoyant le Jardin-Royal (le Jardin des Plantes) jusqu’au
boulevard qui aboutit à la rivière. » On voit que les fermiers généraux, en développant le mur d’enceinte fort au delà de ces,
limites, avaient enserré dans le Paris de 1789 des villages et des paroisses d’une assez grande étendue, et, en outre, de vastes
terrains, des plaines et des portions de rues dont on se fait une idée en comparant les plans de la ville moderne aux anciennes
cartes établies à l’avénement de Louis XVI.
On venait de terminer le théâtre de l’Odéon, et d’ouvrir les nouvelles rues qui aboutissent à cette salle plus splendide que
fréquentée; on complétait les travaux de construction de la Comédie Française, sur l’emplacement de l’ancien parterre d’Énée;
on jetait les fondations du théâtre Feydeau. Depuis quelques années, on avait vu se terminer les galeries du Palais-Royal, et le
duc d’Orléans venait de faire élever à grands frais, au centre de cet édifice, un vaste cirque qui, dix ans plus tard (1798), fut
entièrement détruit par un incendie. Le pont Notre-Dame et le Pont-au-Change avaient été tout récemment débarrassés des
maisons qui bordaient leur voie. Depuis deux ans, on élevait sur les dessins de Perronet, ingénieur justement célèbre, le pont
magnifique auquel on donnait alors le nom de Louis XVI. Le Jardin des Plantes venait d’être agrandi. Les revenus de la ville,
qui s’élevaient alors à plus de trente-six millions de livres, permettaient d’entreprendre à la fois et de réaliser en peu de temps
d’immenses travaux d’assainissement et d’embellissement, et quelque fiers que'nous puissions être, de nos jours, des splendeurs
de la Capitale, nous n’en devons pas moins reconnaître que le mouvement auquel nous assistons^ et qui se manifeste chaque
année par tant de merveilles, avait commencé sous le règne de Louis XVI.
En 1789, Paris comptait vingt-quatre quartiers ou cantons, plus de mille rues, près de trente mille maisons, cinq cents
hôtels, soixante églises paroissiales, vingt chapitres et églises collégiales, quatre-vingts églises ou chapelles qui n’avaient pas
attributions de paroisses, trois abbayes d’hommes, huit abbayes de filles, cinquante-trois couvents et communautés d’hommes,
soixante-dix couvents et communautés de femmes, trois juridictions ecclésiastiques et treize séculières. Outre ses monuments
publics, ses édifices, ses vastes établissements religieux, scientifiques ou charitables, que ce n’est point ici le moment d’énumérer,
Paris renfermait cinquante-deux fontaines publiques, vingt quais, douze marchés, vingt ponts, douze ports, un vaste égout, huit
jardins et grandes promenades; l’éclairage (on s’enorgueillissait alors de ce luxe prodigieux) se bornait à quatre mille réverbères;
le nombre des voitures privées et des voitures de louage s’élevait à quatorze mille; la sûreté de la ville avait pour garanties douze
corps-de-garde et des troupes de police comprenant environ quinze cents hommes à pied ou à cheval ; il y avait une compagnie
de garde-pompes répartis en seize postes différents.
D’après les données statistiques dont l’exactitude rigoureuse est loin d’être incontestable, mais qu’à cette époque tout le monde
acceptait, les six cent mille habitants de Paris consommaient, année commune, neuf cents muids de sel, douze mille huit cents
muids de blé, soixante-dix-sept mille bœufs, douze mille veaux, cinq cent quarante mille moutons, trente-deux mille porcs, du
poisson frais ou salé en quantité proportionnelle, et, en outre, pour les usages ordinaires de la vie, quarante-quatre mille muids
de charbon, quatre cent mille voies de bois, trois mille cinq cents muids d’avoine, etc. Nous comparerons ailleurs ces chiffres à
ceux que fournissent les statistiques récentes, et on pourra juger du développement inouï que la consommation de la Capitale a
dû prendre à mesure que se sont accrus les besoins et le nombre de ses habitants. Pour le moment, nous nous contentons de
consigner des points de départ.
Le gouvernement de Paris était à la fois ecclésiastique, civil et militaire, et ici nous bornerons notre résumé à une analyse
très-succincte, de peur qu’en résumant les attributions administratives, politiques et judiciaires des corps constitués en 1789,
notre récit ne fasse double emploi avec les détails historiques dont le développement sera donné par plusieurs de nos honorables
collaborateurs.
L’archevêque de Paris était alors le vénérable Le Clerc de Juigné, sacré évêque de Châlons-sur-Marne en 1764, et appelé,
en 1781, à l’administration du diocèse de Paris. Les revenus de l’archevêché s’élevaient à deux cent mille livres, et neuf fiefs,
dans la seule ville de Paris, dépendaient de l’archevêque, savoir: le fief de la Trémouille, situé rue des Bourdonnais; le Roule;
la Grange-Batelière, située à l’extrémité de la rue de Richelieu; le fief ou l’arrière-fief des Rosiers; le fief Outre-Petit-Pont; le