30 PARIS DANS SA SPLENDEUR.
les généraux, les courtisans, les électeurs avaient pris place sur les gradins; les troupes formaient autour d’eux un grand carré de
toutes armes. Sur le trône l’Empereur avait pris place, et près de lui se tenaient ses deux frères, le prince Lucien et le roi Jérôme.
Non loin de la pyramide, un autel avait été dressé. L’archevêque de Tours, M. de Barrai, assisté du cardinal de Bayonne et de
plusieurs évêques, célébra la Messe. Au moment de l’élévation, l’Empereur, le peuple et l’armée s’agenouillèrent et implorèrent la
protection de Dieu : on remarqua le profond recueillement de Napoléon. Après le Saint Sacrifice, M. Dubois (d’Angers), au nom des
électeurs, de l’armée et du peuple, adressa à l’Empereur une harangue d’apparat, qui commençait ainsi : « Le peuple français
vous avait donné la couronne; vous l’avez déposée sans son aveu : ses suffrages viennent de vous imposer le devoir de la
reprendre. Un contrat nouveau s’est formé entre la nation et l’Empereur. » Quand l’orateur eut cessé de parler, un héraut
d’armes proclama le vote du peuple français en faveur de l’Acte additionnel. Après un roulement de tambours, l’Empereur se
leva: il était revêtu d’un manteau de velours pourpre, doublé d’hermine et brodé d’or; sur la tête, il avait une toque noire,
ombragée de plumes: « Empereur, consul, soldat, dit-il, je tiens tout du peuple; dans la prospérité, dans l’adversité, sur le
champ de bataille, au conseil, sur le trône, dans l’exil, la France a été l’objet unique de mes pensées et de mes actions. Comme
ce roi d’Athènes, je me suis sacrifié pour mon peuple, dans l’espoir de voir se réaliser la promesse de conserver à la France son
intégrité naturelle, ses honneurs et ses droits. L’indignation de voir ces droits sacrés, acquis par vingt années de victoires,
méconnus et perdus à jamais, le cri de l’honneur français flétri, les vœux de la nation m’ont ramené sur ce trône qui m’est cher,
parce qu’il est le palladium de l’honneur, de l’indépendance et des droits du peuple » Après le discours impérial, Napoléon et
les élus du peuple se lièrent entr’eux par de nouveaux serments, et on procéda à la distribution des aigles. Le lendemain, il
fallait songer à la guerre, et déjà l’attitude hautaine de la Chambre des Représentants annonçait à l’Empereur qu’au moment où il
allait marcher à la frontière, avec les débris de ses grandes armées, il laissait à Paris les plus opiniâtres et les plus dangereux
de ses ennemis, abrités par la loi, et disposés à lui tendre des embûches en invoquant la liberté et les droits de l’homme. Avant
de partir, Napoléon adressa à ces hommes qui choisissaient si mal leur temps, le conseil de ne point ressembler aux rhéteurs du
Bas-Empire qui disputaient sur des mots alors que le bélier brisait les portes de Constantinople. Cet avertissement prophétique ne
fut point écouté.
La dernière campagne de l’Empereur s’ouvrit le 14 juin 181b, sur les bords de la Sambre; quatre jours après eut lieu la
glorieuse défaite de Waterloo, dont nous n’avons point ici à décrire les phases émouvantes. En ce jour sinistre, selon l’expression
du poète anglais, l’aigle impériale s’abattit, traînant encore à ses serres quelques anneaux brisés de la chaîne du inonde.
Paris, depuis le départ de l’Empereur, avait été en proie à l’anxiété, à la crainte, à l’espérance. Le 18 juin, à la nouvelle de
la victoire de Ligny, on avait tiré le canon des Invalides, et la confiance avait pris le dessus; le 21, au lever du jour, un bruit
étrange parcourut la ville, et l’on apprit qu’en une seule journée la grande armée avait été détruite et la France ouverte de nouveau
au torrent des invasions. On se disait que l’Empereur était rentré dans sa capitale et s’était retiré à l’Elysée, comme pour
y préparer sa seconde abdication. Un immense gémissement parcourut la ville à mesure que les citoyens sortirent de leurs
demeures pour s’assurer de la réalité du désastre. On se parlait bas, on s’efforcait de douter encore; à huit heures tout était
confirmé. Tandis que la population passait d’une émotion à une autre, attendant d’heure en heure la réalisation de l’avenir, les
Chambres s’assemblaient et prenaient l’attitude de la menace. Carnot se rallia de plus en plus à l’Empereur, en qui seul il vit le
représentant de la cause nationale; Lafayette s’imagina follement que F ère de la monarchie républicaine allait surgir; Fouché,
qui, depuis deux mois, négociait avec les Bourbons et l’étranger, disposa tout pour en finir avec la dynastie impériale; Manuel,
d’Argenson, Dupin, Jay et les chefs du parti libéral se dirent que le moment était venu d’arracher le pouvoir aux mains de
Napoléon vaincu, et de faire prévaloir les théories constitutionnelles imitées de la Charte anglaise et du Code de 1791. Sur la
proposition de Lafayette, la Chambre des Représentants se déclara en permanence, proclama que l’indépendance de la nation était
menacée, et vota des remercîments aux armées du Nord. Elle ne fit aucune mention de l’Empereur, et ce silence très-significatif
avertit Napoléon du danger nouveau qui menaçait sa couronne. La lutte n’était plus possible; les représentants de la France, au
lieu d’instituer la dictature, ne songeaient qu’aux ambitions de la tribune; Napoléon ne pouvait qu’abdiquer : pour la seconde fois
il se résigna.
Les deux Chambres reconnurent Napoléon II pour empereur; après ce simulacre de respect donné à la dynastie, elles se
tinrent à la disposition des événements, et laissèrent agir les négociateurs de bonne foi, mais impuissants, et les traîtres qui
tenaient en mains les destinées de la France et ne stipulaient qu’au profit de leur fortune personnelle. Cependant les abords de
l’Elysée étaient encombrés de citoyens qui faisaient retentir l’air des cris de vive /’Empereur! « Vous le voyez, dit Napoléon à
ceux qui l’entouraient, ce ne sont pas là ceux que j’ai comblés d’honneurs et de trésors : je les ai laissés pauvres; l’instinct de
la nécessité les éclaire, la voix du pays parle par leur bouche, et si je le veux, dans une heure la Chambre rebelle n’existera
plus..... Mais la vie d’un homme ne vaut pas ce prix Je ne suis pas revenu de l’île d’Elbe pour que Paris soit inondé de sang. »
Les autres circonstances de ce drame n’appartiennent pas à notre récit, et nous n’avons à décrire ni le départ de Napoléon pour
les généraux, les courtisans, les électeurs avaient pris place sur les gradins; les troupes formaient autour d’eux un grand carré de
toutes armes. Sur le trône l’Empereur avait pris place, et près de lui se tenaient ses deux frères, le prince Lucien et le roi Jérôme.
Non loin de la pyramide, un autel avait été dressé. L’archevêque de Tours, M. de Barrai, assisté du cardinal de Bayonne et de
plusieurs évêques, célébra la Messe. Au moment de l’élévation, l’Empereur, le peuple et l’armée s’agenouillèrent et implorèrent la
protection de Dieu : on remarqua le profond recueillement de Napoléon. Après le Saint Sacrifice, M. Dubois (d’Angers), au nom des
électeurs, de l’armée et du peuple, adressa à l’Empereur une harangue d’apparat, qui commençait ainsi : « Le peuple français
vous avait donné la couronne; vous l’avez déposée sans son aveu : ses suffrages viennent de vous imposer le devoir de la
reprendre. Un contrat nouveau s’est formé entre la nation et l’Empereur. » Quand l’orateur eut cessé de parler, un héraut
d’armes proclama le vote du peuple français en faveur de l’Acte additionnel. Après un roulement de tambours, l’Empereur se
leva: il était revêtu d’un manteau de velours pourpre, doublé d’hermine et brodé d’or; sur la tête, il avait une toque noire,
ombragée de plumes: « Empereur, consul, soldat, dit-il, je tiens tout du peuple; dans la prospérité, dans l’adversité, sur le
champ de bataille, au conseil, sur le trône, dans l’exil, la France a été l’objet unique de mes pensées et de mes actions. Comme
ce roi d’Athènes, je me suis sacrifié pour mon peuple, dans l’espoir de voir se réaliser la promesse de conserver à la France son
intégrité naturelle, ses honneurs et ses droits. L’indignation de voir ces droits sacrés, acquis par vingt années de victoires,
méconnus et perdus à jamais, le cri de l’honneur français flétri, les vœux de la nation m’ont ramené sur ce trône qui m’est cher,
parce qu’il est le palladium de l’honneur, de l’indépendance et des droits du peuple » Après le discours impérial, Napoléon et
les élus du peuple se lièrent entr’eux par de nouveaux serments, et on procéda à la distribution des aigles. Le lendemain, il
fallait songer à la guerre, et déjà l’attitude hautaine de la Chambre des Représentants annonçait à l’Empereur qu’au moment où il
allait marcher à la frontière, avec les débris de ses grandes armées, il laissait à Paris les plus opiniâtres et les plus dangereux
de ses ennemis, abrités par la loi, et disposés à lui tendre des embûches en invoquant la liberté et les droits de l’homme. Avant
de partir, Napoléon adressa à ces hommes qui choisissaient si mal leur temps, le conseil de ne point ressembler aux rhéteurs du
Bas-Empire qui disputaient sur des mots alors que le bélier brisait les portes de Constantinople. Cet avertissement prophétique ne
fut point écouté.
La dernière campagne de l’Empereur s’ouvrit le 14 juin 181b, sur les bords de la Sambre; quatre jours après eut lieu la
glorieuse défaite de Waterloo, dont nous n’avons point ici à décrire les phases émouvantes. En ce jour sinistre, selon l’expression
du poète anglais, l’aigle impériale s’abattit, traînant encore à ses serres quelques anneaux brisés de la chaîne du inonde.
Paris, depuis le départ de l’Empereur, avait été en proie à l’anxiété, à la crainte, à l’espérance. Le 18 juin, à la nouvelle de
la victoire de Ligny, on avait tiré le canon des Invalides, et la confiance avait pris le dessus; le 21, au lever du jour, un bruit
étrange parcourut la ville, et l’on apprit qu’en une seule journée la grande armée avait été détruite et la France ouverte de nouveau
au torrent des invasions. On se disait que l’Empereur était rentré dans sa capitale et s’était retiré à l’Elysée, comme pour
y préparer sa seconde abdication. Un immense gémissement parcourut la ville à mesure que les citoyens sortirent de leurs
demeures pour s’assurer de la réalité du désastre. On se parlait bas, on s’efforcait de douter encore; à huit heures tout était
confirmé. Tandis que la population passait d’une émotion à une autre, attendant d’heure en heure la réalisation de l’avenir, les
Chambres s’assemblaient et prenaient l’attitude de la menace. Carnot se rallia de plus en plus à l’Empereur, en qui seul il vit le
représentant de la cause nationale; Lafayette s’imagina follement que F ère de la monarchie républicaine allait surgir; Fouché,
qui, depuis deux mois, négociait avec les Bourbons et l’étranger, disposa tout pour en finir avec la dynastie impériale; Manuel,
d’Argenson, Dupin, Jay et les chefs du parti libéral se dirent que le moment était venu d’arracher le pouvoir aux mains de
Napoléon vaincu, et de faire prévaloir les théories constitutionnelles imitées de la Charte anglaise et du Code de 1791. Sur la
proposition de Lafayette, la Chambre des Représentants se déclara en permanence, proclama que l’indépendance de la nation était
menacée, et vota des remercîments aux armées du Nord. Elle ne fit aucune mention de l’Empereur, et ce silence très-significatif
avertit Napoléon du danger nouveau qui menaçait sa couronne. La lutte n’était plus possible; les représentants de la France, au
lieu d’instituer la dictature, ne songeaient qu’aux ambitions de la tribune; Napoléon ne pouvait qu’abdiquer : pour la seconde fois
il se résigna.
Les deux Chambres reconnurent Napoléon II pour empereur; après ce simulacre de respect donné à la dynastie, elles se
tinrent à la disposition des événements, et laissèrent agir les négociateurs de bonne foi, mais impuissants, et les traîtres qui
tenaient en mains les destinées de la France et ne stipulaient qu’au profit de leur fortune personnelle. Cependant les abords de
l’Elysée étaient encombrés de citoyens qui faisaient retentir l’air des cris de vive /’Empereur! « Vous le voyez, dit Napoléon à
ceux qui l’entouraient, ce ne sont pas là ceux que j’ai comblés d’honneurs et de trésors : je les ai laissés pauvres; l’instinct de
la nécessité les éclaire, la voix du pays parle par leur bouche, et si je le veux, dans une heure la Chambre rebelle n’existera
plus..... Mais la vie d’un homme ne vaut pas ce prix Je ne suis pas revenu de l’île d’Elbe pour que Paris soit inondé de sang. »
Les autres circonstances de ce drame n’appartiennent pas à notre récit, et nous n’avons à décrire ni le départ de Napoléon pour