38
PARIS DANS SA SPLENDEUR.
y vit un symptôme de révolution; les libéraux accusèrent la police d’avoir soudoyé de prétendus factieux, pour exercer sur les
élections l’influence de la peur : sur les plaintes simultanées des journaux et du parquet, la cour royale évoqua l’affaire, et après
une instruction qui dura plusieurs mois, on ne put découvrir aucun coupable.
Tandis que Paris était en proie à ces émotions et à ces luttes, la chronique rivalisait avec l’histoire, et n’était pas moins qu’elle
fertile en incidents dont nous nous bornerons à mentionner les moins obscurs. Au mois de janvier 1828 avait eu lieu l’exposition
des produits des manufactures royales, et on avait pu constater, une fois de plus, les progrès rapides de l’industrie française;
— le 13 février, le Théâtre Français avait donné au public la première représentation de Louis XI à Péronne, tragédie de
M., Casimir Delavigne; — le 24 février, le tribunal de la Seine avait jugé M. de Maubreuil, coupable de coups et blessures
portés au prince de Talleyrand, et une vive curiosité politique s’était attachée à ce procès, — le b mai avait eu lieu l’ouverture
du théâtre des Nouveautés, dans un édifice nouvellement construit, et qui est aujourd’hui le théâtre du Vaudeville; — le 4 7 avril,
à l’Académie Française, réception de MM. Fourier et Feletz; — le 19, M. Royer-Collard fut élu membre de la même assemblée,
en remplacement d’un savant illustre, M. de La Place; — le 13 mai, il y eut des désordres au Collège de France, à l’occasion
de la nomination du docteur Récamier, désigné par le Gouvernement pour occuper l’une des chaires vacantes, et que les
journaux du temps se plaisaient à désigner comme l’homme du clergé; — le 31, au Théâtre Français, première représentation
des Trois Quartiers, comédie de MM. Picard et Mazières; — le 13, incendie de la salle de VAmbigu-Comique ; — le 1er octobre,
ouverture du Néorama. En la même année, remarquable exposition de peinture : parmi les œuvres d’art qui se partagèrent
l’admiration du public, il importe de signaler l’Apothéose d’Homère, de M. Ingres; le Marc-Antoine, de M. Court; la Mort d’Elisabeth,
par Paul Delaroche; la Naissance de Henri IV, par Eug. Dévéria; les Femmes Souliotes, de M. Scheffer; Pierre-le-Grand,
par M. Steuben.
Cette esquisse de l’histoire de Paris sous la Restauration serait incomplète si nous omettions de constater qu’au milieu des luttes
parlementaires et des agitations politiques, il s’opérait dans l’ordre des choses de la littérature et des arts un mouvement de
progrès éminemment remarquable. Le règne de Charles X, malgré sa courte durée, a été une époque de grand développement
intellectuel. La poésie se dégageait avec énergie des vieilles formes dont, depuis plus d’un siècle, on persistait à l’envelopper, et
des hommes d’un génie fécond autant qu’énergique cherchaient à ouvrir à l’art des voies nouvelles. Sans doute leurs espérances
furent en partie déçues; audacieux Colombs de la littérature et du drame, ils n’eurent pas le bonheur de découvrir le monde vers
lequel ils cinglaient à pleines voiles, au risque de sombrer dans les abîmes de l’inconnu et du faux; mais si leur courage ne fut
pas récompensé par de vastes conquêtes, du moins est-il certain que la littérature française dut à ces jeunes hommes, à ces
aventuriers du génie, une gloire sérieuse, des aperçus nouveaux, de plus nobles et de plus grands horizons. Déjà sous le règne
précédent, et à la suite des désastres de 1813, un jeune poète, Casimir Delavigne, avait entrepris de consoler la France en
publiant ses Messéniennes et en chantant les gloires proscrites; en 1819, il avait donné au Théâtre Français les Vêpres Siciliennes;
l’année 1820, encore plus favorisée, avait vu paraître les Méditations Poétiques, de M. de Lamartine; Marie Stuart, de M. Lebrun ;
la Démence de Charles VI, de Népomucène Lemercier; les Comédiens, de Casimir Delavigne; en 1823 , ce dernier poète avait
donné au public parisien l’École des Vieillards, l’un des chefs-d’œuvre de la scène française; l’année suivante parurent les Odes
et Ballades, de M. Victor Hugo; bientôt après, MM. Alfred de Vigny, Sainte-Beuve, Barthélemy et Méry, Emile Deschamps,
Béranger, et nombre d’autres qu’il serait trop long de citer, donnèrent un libre et puissant essor à la poésie française. Sous ce même
règne débuta par des essais, plus étranges que sérieux, un poète dont le nom devait avoir un juste retentissement; nous voulons
parler d’Alfred de Musset. C’était le temps où, en dépit des précautions jalouses du pouvoir, MM. Guizot, Cousin, Villemain
donnaient à la jeunesse des écoles un enseignement littéraire et historique qu’on n’a point oublié, et qui alors remuait profondément
la jeunesse. M. Thiers écrivait son grand ouvrage sur la Révolution Française; les deux Thierry ouvraient à l’histoire de nouvelles
routes. Pourquoi fallait-il que la plupart des hommes de talent ou de génie, dont nous venons de mentionner les noms, se crussent
obligés de chercher les applaudissements de la foule en faisant trop souvent bon marché de la vérité et des principes? Nous savons
bien qu’ils assistaient à des luttes et que bien souvent ils prenaient part à la grande bataille engagée contre le pouvoir; mais la
vertu, la religion, la morale ont des droits imprescriptibles que plusieurs de ces illustres écrivains ne craignirent pas de méconnaître,
et nous avons droit de nous en plaindre.
Des événements graves eurent lieu dans l’ordre politique. En 1828, le ministère de M. de Villèle fut renvoyé , et Charles X
remplaça cette administration par un ministère choisi dans les rangs de la droite constitutionnelle, et qui reçut, de son chef
principal, la dénomination de ministère Martignac. Cette administration faible, mais bien intentionnée, rétablit un peu de calme
dans le pays, et fit espérer un avenir pacifique. Mais Charles X, livré à d’imprudents conseillers, crut que sa couronne était trahie
par des ministres qui acceptaient volontiers la Charte de 1814 et la situation que cette loi fondamentale faisait à la royauté. Pour
conjurer forage révolutionnaire dont il se disait menacé, le roi, en 1829, eut la téméraire pensée de renouveler le ministère, et
de choisir les membres de la nouvelle administration dans les rangs de ceux qui regrettaient ouvertement l’ancienne constitution
PARIS DANS SA SPLENDEUR.
y vit un symptôme de révolution; les libéraux accusèrent la police d’avoir soudoyé de prétendus factieux, pour exercer sur les
élections l’influence de la peur : sur les plaintes simultanées des journaux et du parquet, la cour royale évoqua l’affaire, et après
une instruction qui dura plusieurs mois, on ne put découvrir aucun coupable.
Tandis que Paris était en proie à ces émotions et à ces luttes, la chronique rivalisait avec l’histoire, et n’était pas moins qu’elle
fertile en incidents dont nous nous bornerons à mentionner les moins obscurs. Au mois de janvier 1828 avait eu lieu l’exposition
des produits des manufactures royales, et on avait pu constater, une fois de plus, les progrès rapides de l’industrie française;
— le 13 février, le Théâtre Français avait donné au public la première représentation de Louis XI à Péronne, tragédie de
M., Casimir Delavigne; — le 24 février, le tribunal de la Seine avait jugé M. de Maubreuil, coupable de coups et blessures
portés au prince de Talleyrand, et une vive curiosité politique s’était attachée à ce procès, — le b mai avait eu lieu l’ouverture
du théâtre des Nouveautés, dans un édifice nouvellement construit, et qui est aujourd’hui le théâtre du Vaudeville; — le 4 7 avril,
à l’Académie Française, réception de MM. Fourier et Feletz; — le 19, M. Royer-Collard fut élu membre de la même assemblée,
en remplacement d’un savant illustre, M. de La Place; — le 13 mai, il y eut des désordres au Collège de France, à l’occasion
de la nomination du docteur Récamier, désigné par le Gouvernement pour occuper l’une des chaires vacantes, et que les
journaux du temps se plaisaient à désigner comme l’homme du clergé; — le 31, au Théâtre Français, première représentation
des Trois Quartiers, comédie de MM. Picard et Mazières; — le 13, incendie de la salle de VAmbigu-Comique ; — le 1er octobre,
ouverture du Néorama. En la même année, remarquable exposition de peinture : parmi les œuvres d’art qui se partagèrent
l’admiration du public, il importe de signaler l’Apothéose d’Homère, de M. Ingres; le Marc-Antoine, de M. Court; la Mort d’Elisabeth,
par Paul Delaroche; la Naissance de Henri IV, par Eug. Dévéria; les Femmes Souliotes, de M. Scheffer; Pierre-le-Grand,
par M. Steuben.
Cette esquisse de l’histoire de Paris sous la Restauration serait incomplète si nous omettions de constater qu’au milieu des luttes
parlementaires et des agitations politiques, il s’opérait dans l’ordre des choses de la littérature et des arts un mouvement de
progrès éminemment remarquable. Le règne de Charles X, malgré sa courte durée, a été une époque de grand développement
intellectuel. La poésie se dégageait avec énergie des vieilles formes dont, depuis plus d’un siècle, on persistait à l’envelopper, et
des hommes d’un génie fécond autant qu’énergique cherchaient à ouvrir à l’art des voies nouvelles. Sans doute leurs espérances
furent en partie déçues; audacieux Colombs de la littérature et du drame, ils n’eurent pas le bonheur de découvrir le monde vers
lequel ils cinglaient à pleines voiles, au risque de sombrer dans les abîmes de l’inconnu et du faux; mais si leur courage ne fut
pas récompensé par de vastes conquêtes, du moins est-il certain que la littérature française dut à ces jeunes hommes, à ces
aventuriers du génie, une gloire sérieuse, des aperçus nouveaux, de plus nobles et de plus grands horizons. Déjà sous le règne
précédent, et à la suite des désastres de 1813, un jeune poète, Casimir Delavigne, avait entrepris de consoler la France en
publiant ses Messéniennes et en chantant les gloires proscrites; en 1819, il avait donné au Théâtre Français les Vêpres Siciliennes;
l’année 1820, encore plus favorisée, avait vu paraître les Méditations Poétiques, de M. de Lamartine; Marie Stuart, de M. Lebrun ;
la Démence de Charles VI, de Népomucène Lemercier; les Comédiens, de Casimir Delavigne; en 1823 , ce dernier poète avait
donné au public parisien l’École des Vieillards, l’un des chefs-d’œuvre de la scène française; l’année suivante parurent les Odes
et Ballades, de M. Victor Hugo; bientôt après, MM. Alfred de Vigny, Sainte-Beuve, Barthélemy et Méry, Emile Deschamps,
Béranger, et nombre d’autres qu’il serait trop long de citer, donnèrent un libre et puissant essor à la poésie française. Sous ce même
règne débuta par des essais, plus étranges que sérieux, un poète dont le nom devait avoir un juste retentissement; nous voulons
parler d’Alfred de Musset. C’était le temps où, en dépit des précautions jalouses du pouvoir, MM. Guizot, Cousin, Villemain
donnaient à la jeunesse des écoles un enseignement littéraire et historique qu’on n’a point oublié, et qui alors remuait profondément
la jeunesse. M. Thiers écrivait son grand ouvrage sur la Révolution Française; les deux Thierry ouvraient à l’histoire de nouvelles
routes. Pourquoi fallait-il que la plupart des hommes de talent ou de génie, dont nous venons de mentionner les noms, se crussent
obligés de chercher les applaudissements de la foule en faisant trop souvent bon marché de la vérité et des principes? Nous savons
bien qu’ils assistaient à des luttes et que bien souvent ils prenaient part à la grande bataille engagée contre le pouvoir; mais la
vertu, la religion, la morale ont des droits imprescriptibles que plusieurs de ces illustres écrivains ne craignirent pas de méconnaître,
et nous avons droit de nous en plaindre.
Des événements graves eurent lieu dans l’ordre politique. En 1828, le ministère de M. de Villèle fut renvoyé , et Charles X
remplaça cette administration par un ministère choisi dans les rangs de la droite constitutionnelle, et qui reçut, de son chef
principal, la dénomination de ministère Martignac. Cette administration faible, mais bien intentionnée, rétablit un peu de calme
dans le pays, et fit espérer un avenir pacifique. Mais Charles X, livré à d’imprudents conseillers, crut que sa couronne était trahie
par des ministres qui acceptaient volontiers la Charte de 1814 et la situation que cette loi fondamentale faisait à la royauté. Pour
conjurer forage révolutionnaire dont il se disait menacé, le roi, en 1829, eut la téméraire pensée de renouveler le ministère, et
de choisir les membres de la nouvelle administration dans les rangs de ceux qui regrettaient ouvertement l’ancienne constitution