HISTOIRE.
PARIS MODERNE.
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de la France et voulaient rétrograder au delà de 1789. M. de Polignac fut le chef de ce cabinet impopulaire qui jeta le gant aux
idées libérales et eut à combattre l’immense majorité de la France, habilement disciplinée par les journaux et par les sociétés
secrètes. La Chambre des Députés, ayant cru pouvoir, en 1830, protester auprès du roi par une adresse que votèrent deux cent
vingt-et-un membres de l’opposition, cette assemblée fut dissoute, et le roi fit appel au pays. Nonobstant la joie et l’honneur que
venait de répandre dans les rangs du peuple la glorieuse nouvelle de la conquête d’Alger, les élections furent en grande majorité
hostiles au Gouvernement, et, de part et d’autre, la situation parut si grave et si menaçante, qu’on crut ne pouvoir en sortir que
par une révolution ou par un coup d’Etat.
Le 26 juillet 1830, le Moniteur publia quatre ordonnances royales, rendues en vertu des pouvoirs que le roi paraissait
tenir (par une interprétation fausse et abusive) de l’article 14 de la Charte constitutionnelle. Ces ordonnances suspendaient ou
modifiaient plusieurs droits publics établis par la loi fondamentale; entr’autres dispositions, elles abrogeaient la liberté de la presse,
et changeaient le système électoral. C’était, de la part du roi, engager la lutte, et il fallait vaincre; mais il fut vaincu. Le même
jour, 26 juillet, la résistance commença dans les imprimeries de quelques journaux libéraux, et l’on fit publiquement entendre
à Paris les cris de vive la presse! vive la Charte! à bas les ordonnances! Le 27 juillet, des rassemblements se formèrent dans
les rues^ et la force armée fut envoyée dans les bureaux du National pour briser les presses de cet établissement; on résista. 11
en fut de même dans les bureaux du Temps. Vers midi, on fut obligé de déployer un grand appareil de répression aux abords du
Palais-Royal, dans la rue Saint-Honoré, sur les boulevards et dans la rue des Capucines. L’infanterie de ligne, qui ne servait
qu’à contre-cœur, ne mit aucune énergie dans ses mouvements, et le Gouvernement eut recours à la garde royale. Des barricades
furent élevées, attaquées, défendues et prises près du Palais-Royal, près de la Banque, près du palais de la Bourse. Partout le
peuple était dispersé et refoulé; mais on promenait les blessés sur des civières, on portait les morts à travers les rues, on criait:
Vengeance! et pour une barricade détruite, il s’en formait trois autres. Vers onze heures du soir, les troupes, lassées de la lutte,
rentrèrent dans les casernes. Le lendemain 28 juillet, Paris fut déclaré en état de siège, et le gouvernement militaire de la capitale
fut confié au maréchal Marmont, duc de Raguse. Ce jour-là, la lutte recommença plus opiniâtre et plus sanglante que la veille.
L’Hôtel-de-Ville tomba au pouvoir des insurgés; le tocsin sonna; sur tous les points de nouveaux combats s’engagèrent. Le duc de
Raguse avait formé quatre colonnes d’attaque. Vers dix heures elles se mirent en mouvement. L’une d’elles reprit l’Hôtel-de-Ville;
mais à peine s’y était-elle installée, qu’elle y fut assiégée par des insurgés accourus en armes de tous les faubourgs de l’Est. Une
autre colonne, engagée sur les boulevards, entre la rue Montmartre et la Bastille, eut de nombreux combats à livrer, et éprouva de
nombreuses pertes d’hommes; vers le soir, elle fut contrainte de se replier sur les Tuileries. Le reste des troupes, engagées dans
les quartiers populeux et aux abords des halles, n’eut pas moins à souffrir. Le même soir, les députés présents à Paris assayèrent
d’entrer en pourparlers et d’agir comme médiateurs entre le roi et le peuple. Leur intervention fut inefficace. Le lendemain
29 juillet, la lutte s’engagea plus meurtrière encore que la veille, et ce jour-là, elle fut décisive. L’École Polytechnique fournit
des chefs aux insurgés; la garde nationale, dissoute depuis trois ans, reprit ses armes, et se mit du côté du peuple; le be et le
63e régiments de ligne, rangés en bataille sur la place Vendôme, refusèrent de continuer le feu, et la garde royale, aussi bien que
les troupes suisses, se trouvèrent hors d’état de vaincre. En quelques heures les Tuileries, le Louvre, les postes principaux furent
occupés par le peuple; le drapeau tricolore flotta sur les tours de Notre-Dame, et la famille royale qui, retirée à Saint-Cloud,
apprenait de moments en moments la ruine de ses espérances, ne tarda pas à se voir dans la nécessité de chercher son salut en
se repliant d’abord sur Versailles, puis sur Rambouillet. A plusieurs reprises, le gouvernement royal essaya de conjurer la
tempête populaire, en promettant de retirer les ordonnances et d’en appeler au conseil de ministres pris dans les rangs du parti
victorieux. A ces ouvertures tentées au nom de Charles X, le général Lafayette répondit: Il est trop tard! Déjà (31 juillet) le
duc d’Orléans avait été proclamé lieutenant-général du royaume par la réunion des députés présents à Paris, et il avait accepté
ces fonctions. Son parti, plus habile que nombreux, le poussa aussitôt vers l’Hôtel-de-Ville; il y arriva à travers les barricades,
sans gardes, sans escorte, et accompagné seulement de deux cents députés. En cet instant suprême, Charles X et son fils,
M. le Dauphin, tentèrent un dernier effort. Ils adressèrent au duc d’Orléans leur abdication en faveur du jeune duc de Bordeaux,
enfant de dix ans, héritier de leurs droits. Cette tentative, repoussée avec dédain par les députés et éludée par le duc d’Orléans,
fut réputée non avenue, et la candidature de Henri V fut écartée sans discussion. La branche aînée des Bourbons avait cessé de
régner; la révolution de Juillet était accomplie; la population de Paris venait de disposer de la France.
PARIS MODERNE.
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de la France et voulaient rétrograder au delà de 1789. M. de Polignac fut le chef de ce cabinet impopulaire qui jeta le gant aux
idées libérales et eut à combattre l’immense majorité de la France, habilement disciplinée par les journaux et par les sociétés
secrètes. La Chambre des Députés, ayant cru pouvoir, en 1830, protester auprès du roi par une adresse que votèrent deux cent
vingt-et-un membres de l’opposition, cette assemblée fut dissoute, et le roi fit appel au pays. Nonobstant la joie et l’honneur que
venait de répandre dans les rangs du peuple la glorieuse nouvelle de la conquête d’Alger, les élections furent en grande majorité
hostiles au Gouvernement, et, de part et d’autre, la situation parut si grave et si menaçante, qu’on crut ne pouvoir en sortir que
par une révolution ou par un coup d’Etat.
Le 26 juillet 1830, le Moniteur publia quatre ordonnances royales, rendues en vertu des pouvoirs que le roi paraissait
tenir (par une interprétation fausse et abusive) de l’article 14 de la Charte constitutionnelle. Ces ordonnances suspendaient ou
modifiaient plusieurs droits publics établis par la loi fondamentale; entr’autres dispositions, elles abrogeaient la liberté de la presse,
et changeaient le système électoral. C’était, de la part du roi, engager la lutte, et il fallait vaincre; mais il fut vaincu. Le même
jour, 26 juillet, la résistance commença dans les imprimeries de quelques journaux libéraux, et l’on fit publiquement entendre
à Paris les cris de vive la presse! vive la Charte! à bas les ordonnances! Le 27 juillet, des rassemblements se formèrent dans
les rues^ et la force armée fut envoyée dans les bureaux du National pour briser les presses de cet établissement; on résista. 11
en fut de même dans les bureaux du Temps. Vers midi, on fut obligé de déployer un grand appareil de répression aux abords du
Palais-Royal, dans la rue Saint-Honoré, sur les boulevards et dans la rue des Capucines. L’infanterie de ligne, qui ne servait
qu’à contre-cœur, ne mit aucune énergie dans ses mouvements, et le Gouvernement eut recours à la garde royale. Des barricades
furent élevées, attaquées, défendues et prises près du Palais-Royal, près de la Banque, près du palais de la Bourse. Partout le
peuple était dispersé et refoulé; mais on promenait les blessés sur des civières, on portait les morts à travers les rues, on criait:
Vengeance! et pour une barricade détruite, il s’en formait trois autres. Vers onze heures du soir, les troupes, lassées de la lutte,
rentrèrent dans les casernes. Le lendemain 28 juillet, Paris fut déclaré en état de siège, et le gouvernement militaire de la capitale
fut confié au maréchal Marmont, duc de Raguse. Ce jour-là, la lutte recommença plus opiniâtre et plus sanglante que la veille.
L’Hôtel-de-Ville tomba au pouvoir des insurgés; le tocsin sonna; sur tous les points de nouveaux combats s’engagèrent. Le duc de
Raguse avait formé quatre colonnes d’attaque. Vers dix heures elles se mirent en mouvement. L’une d’elles reprit l’Hôtel-de-Ville;
mais à peine s’y était-elle installée, qu’elle y fut assiégée par des insurgés accourus en armes de tous les faubourgs de l’Est. Une
autre colonne, engagée sur les boulevards, entre la rue Montmartre et la Bastille, eut de nombreux combats à livrer, et éprouva de
nombreuses pertes d’hommes; vers le soir, elle fut contrainte de se replier sur les Tuileries. Le reste des troupes, engagées dans
les quartiers populeux et aux abords des halles, n’eut pas moins à souffrir. Le même soir, les députés présents à Paris assayèrent
d’entrer en pourparlers et d’agir comme médiateurs entre le roi et le peuple. Leur intervention fut inefficace. Le lendemain
29 juillet, la lutte s’engagea plus meurtrière encore que la veille, et ce jour-là, elle fut décisive. L’École Polytechnique fournit
des chefs aux insurgés; la garde nationale, dissoute depuis trois ans, reprit ses armes, et se mit du côté du peuple; le be et le
63e régiments de ligne, rangés en bataille sur la place Vendôme, refusèrent de continuer le feu, et la garde royale, aussi bien que
les troupes suisses, se trouvèrent hors d’état de vaincre. En quelques heures les Tuileries, le Louvre, les postes principaux furent
occupés par le peuple; le drapeau tricolore flotta sur les tours de Notre-Dame, et la famille royale qui, retirée à Saint-Cloud,
apprenait de moments en moments la ruine de ses espérances, ne tarda pas à se voir dans la nécessité de chercher son salut en
se repliant d’abord sur Versailles, puis sur Rambouillet. A plusieurs reprises, le gouvernement royal essaya de conjurer la
tempête populaire, en promettant de retirer les ordonnances et d’en appeler au conseil de ministres pris dans les rangs du parti
victorieux. A ces ouvertures tentées au nom de Charles X, le général Lafayette répondit: Il est trop tard! Déjà (31 juillet) le
duc d’Orléans avait été proclamé lieutenant-général du royaume par la réunion des députés présents à Paris, et il avait accepté
ces fonctions. Son parti, plus habile que nombreux, le poussa aussitôt vers l’Hôtel-de-Ville; il y arriva à travers les barricades,
sans gardes, sans escorte, et accompagné seulement de deux cents députés. En cet instant suprême, Charles X et son fils,
M. le Dauphin, tentèrent un dernier effort. Ils adressèrent au duc d’Orléans leur abdication en faveur du jeune duc de Bordeaux,
enfant de dix ans, héritier de leurs droits. Cette tentative, repoussée avec dédain par les députés et éludée par le duc d’Orléans,
fut réputée non avenue, et la candidature de Henri V fut écartée sans discussion. La branche aînée des Bourbons avait cessé de
régner; la révolution de Juillet était accomplie; la population de Paris venait de disposer de la France.