HISTOIRE.
PARIS MODERNE.
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des occasions plus favorables. Une impulsion nouvelle était donnée à l’industrie et au commerce. En cette même année, et le
29 juillet,, anniversaire de la révolution de 1830, le roi Louis-Philippe fit replacer sur la colonne delà place Vendôme la statue
de l’empereur Napoléon-le-Grand, et alors toutes les âmes tressaillirent, et l’on vit se manifester la situation annoncée par le
poète politique de cette époque :
Oh! quand sur nos maisons de têtes inondées, Notre Palladium, notre Dieu des armées;
Sublime, il planera grand de quinze coudées! Si jamais le canon tonnant aux bords du Rhin,
Quand il reparaîtra pour la seconde fois, Nous forçait à rouvrir les deux battants d’airain ;
Salué par un cri de trois cent mille voix; Si l’ennemi souillait notre saint territoire,
Comme jadis après ces campagnes rapides, Dans ces quartiers bénis par des noms de victoire,
Le canon triomphal qui dort aux Invalides, léna, Mondovi, Rivoli, Mont-Thabor,
Notre-Dame ébranlant le bourdon de sa tour, Nos soldats, en partant, reparaîtraient encor,
Proclameront encor l’Empereur de retour. Debout et dominant la triomphale rue,
Le voilà radieux sur sa base éternelle, L’Empereur passerait la dernière revue!
Veillant p.our nous, la nuit, comme une sentinelle, Il jugerait, d’en haut, en les suivant des yeux
Et mesurant de- l’œil ce rivage si beau S’ils marchent sur le Rhin, du pas de leurs aïeux,
Où son vœu d’agonie implorait un tombeau. Et fiers en inclinant leurs guidons vers la terre,
. Nos soldats lui rendraient le salut militaire.
Là serait notre appui, sous ses portes fermées, (Némésis, le 5 mai.)
L’année 1834 s’ouvrit sous des auspices plus sombres; les factions avaient repris de l’audace; elles préludaient à une lutte
armée par des actes d’agression isolés, par des bravades, par l’organisation d’agglomérations conspiratrices, telles que la « société
des Droits de l’IIomme. » Au mois, de février, elles se passèrent en revue à l’occasion de la mort déplorable de M. Dulong, député,
tué en duel par le général Bugeaud, l’un de ses collègues à la Chambre. Au mois d’avril, une insurrection préparée de longue
main ensanglanta les rues de Paris. Le même mouvement de guerre civile se produisit à Lyon, dans le Jura, dans la Meurthe,
sur d’autres points du territoire; mais nulle part la lutte ne fut plus longue et plus meurtrière qu’à Lyon. A Paris elle dura deux jours
(12 et 13 avril), et fut signalée, de part et d’autre, par un grand déploiement de forces. La répression donna lieu à un douloureux
événement, trop souvent reproduit dans les luttes intestines. Dans la rue Transnonain, coupée par plusieurs barricades, un coup
de fusil étant parti d’une fenêtre, atteignit un officier du 3be de ligne; les soldats, pour tirer vengeance de ce meurtre, envahirent
la maison, et passèrent à la baïonnette tous ceux qui l’habitaient, sans distinction d’innocents et de coupables. Dès que la
tranquillité fut rétablie, une ordonnance royale renvoya devant la cour des Pairs les auteurs de l’insurrection d’avril, et l’on put
pressentir de nouveaux scandales.
Dans l’ordre des faits littéraires et des choses d’art, l’année 1834 ne fut point entièrement stérile : M. Thiers fut admis dans les
rangs de l’Académie Française; la publication des Paroles d'un Croyant mit le sceau à la déplorable révolte de M. de Lamennais,
et M. de Balsac fit paraître Eugénie Grandet. Un scandale théâtral, qui peut servir à caractériser la déchéance du goût à cette
époque, fut le succès de la pièce de boulevard connue sous le titre de Robert Macaire : sous prétexte de tourner en ridicule des
vices qui fermentaient dans la société, cette pièce et toutes les compositions scéniques de cette nature accoutumaient l’opinion à
ne voir dans ces choses odieuses que le côté risible, et l’opinion ainsi énervée se sentait « désarmée parce qu’elle avait ri. » Le
salon de peinture de cette même année fut justement célèbre. On exposa le Saint Sympharien, deM. Ingres, et la Jane Gray, de
M. Delaroche, et ces deux tableaux, d’un style si différent, se partagèrent l’admiration delà foule et les préoccupations savantes
des artistes. On remarqua, en outre,. Jeanne-la-Folle, de M. Monvoisin; les Femmes d'Alger, de M. Delacroix; le Baptême sous
la Ligne, de M. Biard, et surtout la Défaite des Cimbres, de M. Decamps. En cette même année, eut lieu à Paris la grande
exposition nationale des produits de l’industrie; elle attira dans la capitale un concours prodigieux d’étrangers et de commerçants;
mais, depuis lors, la splendeur de ces fêtes industrielles a été de beaucoup surpassée.
En 183b, les luttes politiques prirent un caractère d’âpreté et de violence qui prolongea l’agitation dans les esprits et paralysa
le mouvement ascensionnel des affaires.. La Cour des Pairs fut le théâtre des débats orageux suscités par le procès des accusés
d’avril 1834, et dans ces étranges conflits engagés entre les vainqueurs et les vaincus, ces derniers déployèrent une opiniâtreté
et une audace si grandes, que plus d’une fois on eût dit que les juges consentaient eux-mêmes à descendre au rôle d’accusés.
Le procès se termina par un assez grand nombre de condamnations.
Ces violences du prétoire furent comme le signal d’un attentat épouvantable et qui, dans notre histoire, avait eu un douloureux
précédent sous le Consulat, lorsque des assassins essayèrent, au mois de nivôse an IX, de faire périr le premier Consul par
l’explosion d’une machine infernale. Le 28 juillet 183b, le roi, escorté de ses fils et d’un brillant état-major, passait une revue
à l’occasion des fêtes anniversaires de 1830; les régiments de la garnison de Paris et les légions de la garde nationale occupaient
les deux côtés des boulevards dans toute leur longueur, depuis la place de la Madeleine jusqu’à la Bastille. 11 était entre midi et
une heure. Le roi se trouvait devant le front de la 8e légion, à la hauteur du quatrième arbre qui précède la grille d’entrée du
Jardin Turc. Tout-à-coup une forte détonation retentit comme un feu de peloton mal exécuté. A l’instant, autour du roi, un grand
vide se fît sur la chaussée, et le pavé apparut couvert de sang, jonché de morts, de blessés, de chevaux gisants auprès de leurs
PARIS MODERNE.
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des occasions plus favorables. Une impulsion nouvelle était donnée à l’industrie et au commerce. En cette même année, et le
29 juillet,, anniversaire de la révolution de 1830, le roi Louis-Philippe fit replacer sur la colonne delà place Vendôme la statue
de l’empereur Napoléon-le-Grand, et alors toutes les âmes tressaillirent, et l’on vit se manifester la situation annoncée par le
poète politique de cette époque :
Oh! quand sur nos maisons de têtes inondées, Notre Palladium, notre Dieu des armées;
Sublime, il planera grand de quinze coudées! Si jamais le canon tonnant aux bords du Rhin,
Quand il reparaîtra pour la seconde fois, Nous forçait à rouvrir les deux battants d’airain ;
Salué par un cri de trois cent mille voix; Si l’ennemi souillait notre saint territoire,
Comme jadis après ces campagnes rapides, Dans ces quartiers bénis par des noms de victoire,
Le canon triomphal qui dort aux Invalides, léna, Mondovi, Rivoli, Mont-Thabor,
Notre-Dame ébranlant le bourdon de sa tour, Nos soldats, en partant, reparaîtraient encor,
Proclameront encor l’Empereur de retour. Debout et dominant la triomphale rue,
Le voilà radieux sur sa base éternelle, L’Empereur passerait la dernière revue!
Veillant p.our nous, la nuit, comme une sentinelle, Il jugerait, d’en haut, en les suivant des yeux
Et mesurant de- l’œil ce rivage si beau S’ils marchent sur le Rhin, du pas de leurs aïeux,
Où son vœu d’agonie implorait un tombeau. Et fiers en inclinant leurs guidons vers la terre,
. Nos soldats lui rendraient le salut militaire.
Là serait notre appui, sous ses portes fermées, (Némésis, le 5 mai.)
L’année 1834 s’ouvrit sous des auspices plus sombres; les factions avaient repris de l’audace; elles préludaient à une lutte
armée par des actes d’agression isolés, par des bravades, par l’organisation d’agglomérations conspiratrices, telles que la « société
des Droits de l’IIomme. » Au mois, de février, elles se passèrent en revue à l’occasion de la mort déplorable de M. Dulong, député,
tué en duel par le général Bugeaud, l’un de ses collègues à la Chambre. Au mois d’avril, une insurrection préparée de longue
main ensanglanta les rues de Paris. Le même mouvement de guerre civile se produisit à Lyon, dans le Jura, dans la Meurthe,
sur d’autres points du territoire; mais nulle part la lutte ne fut plus longue et plus meurtrière qu’à Lyon. A Paris elle dura deux jours
(12 et 13 avril), et fut signalée, de part et d’autre, par un grand déploiement de forces. La répression donna lieu à un douloureux
événement, trop souvent reproduit dans les luttes intestines. Dans la rue Transnonain, coupée par plusieurs barricades, un coup
de fusil étant parti d’une fenêtre, atteignit un officier du 3be de ligne; les soldats, pour tirer vengeance de ce meurtre, envahirent
la maison, et passèrent à la baïonnette tous ceux qui l’habitaient, sans distinction d’innocents et de coupables. Dès que la
tranquillité fut rétablie, une ordonnance royale renvoya devant la cour des Pairs les auteurs de l’insurrection d’avril, et l’on put
pressentir de nouveaux scandales.
Dans l’ordre des faits littéraires et des choses d’art, l’année 1834 ne fut point entièrement stérile : M. Thiers fut admis dans les
rangs de l’Académie Française; la publication des Paroles d'un Croyant mit le sceau à la déplorable révolte de M. de Lamennais,
et M. de Balsac fit paraître Eugénie Grandet. Un scandale théâtral, qui peut servir à caractériser la déchéance du goût à cette
époque, fut le succès de la pièce de boulevard connue sous le titre de Robert Macaire : sous prétexte de tourner en ridicule des
vices qui fermentaient dans la société, cette pièce et toutes les compositions scéniques de cette nature accoutumaient l’opinion à
ne voir dans ces choses odieuses que le côté risible, et l’opinion ainsi énervée se sentait « désarmée parce qu’elle avait ri. » Le
salon de peinture de cette même année fut justement célèbre. On exposa le Saint Sympharien, deM. Ingres, et la Jane Gray, de
M. Delaroche, et ces deux tableaux, d’un style si différent, se partagèrent l’admiration delà foule et les préoccupations savantes
des artistes. On remarqua, en outre,. Jeanne-la-Folle, de M. Monvoisin; les Femmes d'Alger, de M. Delacroix; le Baptême sous
la Ligne, de M. Biard, et surtout la Défaite des Cimbres, de M. Decamps. En cette même année, eut lieu à Paris la grande
exposition nationale des produits de l’industrie; elle attira dans la capitale un concours prodigieux d’étrangers et de commerçants;
mais, depuis lors, la splendeur de ces fêtes industrielles a été de beaucoup surpassée.
En 183b, les luttes politiques prirent un caractère d’âpreté et de violence qui prolongea l’agitation dans les esprits et paralysa
le mouvement ascensionnel des affaires.. La Cour des Pairs fut le théâtre des débats orageux suscités par le procès des accusés
d’avril 1834, et dans ces étranges conflits engagés entre les vainqueurs et les vaincus, ces derniers déployèrent une opiniâtreté
et une audace si grandes, que plus d’une fois on eût dit que les juges consentaient eux-mêmes à descendre au rôle d’accusés.
Le procès se termina par un assez grand nombre de condamnations.
Ces violences du prétoire furent comme le signal d’un attentat épouvantable et qui, dans notre histoire, avait eu un douloureux
précédent sous le Consulat, lorsque des assassins essayèrent, au mois de nivôse an IX, de faire périr le premier Consul par
l’explosion d’une machine infernale. Le 28 juillet 183b, le roi, escorté de ses fils et d’un brillant état-major, passait une revue
à l’occasion des fêtes anniversaires de 1830; les régiments de la garnison de Paris et les légions de la garde nationale occupaient
les deux côtés des boulevards dans toute leur longueur, depuis la place de la Madeleine jusqu’à la Bastille. 11 était entre midi et
une heure. Le roi se trouvait devant le front de la 8e légion, à la hauteur du quatrième arbre qui précède la grille d’entrée du
Jardin Turc. Tout-à-coup une forte détonation retentit comme un feu de peloton mal exécuté. A l’instant, autour du roi, un grand
vide se fît sur la chaussée, et le pavé apparut couvert de sang, jonché de morts, de blessés, de chevaux gisants auprès de leurs