HISTOIRE.
PARIS MODERNE.
63
Quelques officiers d’état-major furent l’objet des mêmes sévices. En ce moment se présenta, non loin du Château-d’Eau,
M. Étienne Arago, l’un des chefs du mouvement; il était en uniforme de chef de bataillon de la garde nationale. Quelques autres
chefs républicains, parmi lesquels on remarquait M. Victor Considérant, vinrent l’y rejoindre. Vers une heure, la tête de la
manifestation arriva à la hauteur de la rue de la Paix. Soudain le général Changarnier, secondé par des officiers d’élite, lui
barra le passage et fit faire les sommations légales. Les émeutiers, refusant de se disperser, la troupe avança résolument, et
plusieurs charges de cavalerie ordonnées à propos dégagèrent le boulevard. Les insurgés s’enfuirent dans toutes les directions,
appelant le peuple aux armes. On les vit bientôt se rallier, se porter aux dépôts d’armes, élever des barricades et essayer quelque
résistance. Des collisions isolées s’engagèrent, mais grâce à l’énergie des chefs militaires et aux dispositions habiles prises pour
couper les colonnes d’émeutiers, en isoler les tronçons et accabler la révolte par la force, ces engagements coûtèrent peu de sang,
et le résultat de la journée ne fut pas un seul moment incertain. Vaincus dans la rue, les instigateurs du mouvement, à la tête
desquels figuraient MM. Ledru-Rollin, Gambon, Rattier, Boichot, Commissaire, Considérant, Guinard, Suchet, Fargin-Fayolles et
Pilhes, s’installèrent au Conservatoire des Arts-et-Métiers, et cherchèrent, en quelque sorte, à fonctionner comme parlement
national, chargé des intérêts révolutionnaires. Un nombre assez considérable de représentants montagnards vinrent se joindre
à eux. Sur ces entrefaites, la troupe arrivait et s’emparait successivement de toutes les positions qui avoisinaient le Conservatoire.
L’artillerie de la garde nationale chercha à protéger les conspirateurs, mais ses efforts, mal combinés, furent promptement déjoués,
et bientôt après la déroute des révolutionnaires fut complète. M. Ledru-Rollin s’enfuit en passant par un vasistas; la plupart de ses
collègues réussirent à s’évader à travers le jardin, et en gagnant par des chemins dérobés les rues voisines du Conservatoire.
Vers le soir, l’ordre matériel était rétabli, et il ne restait de cette tentative désespérée que la conviction de son impuissance.
Quelques mois après, la haute cour de Versailles faisait justice des coupables, et condamnait la plupart des chefs à la déportation
et à la détention.
Cette journée, signalée par la victoire du parti de l’ordre, rallia de plus en plus au gouvernement du prince Louis-Napoléon
tous les hommes honnêtes que menaçait la démagogie. On remarqua l’attitude énergique du chef de l’État, on rendit hommage à
la vigueur intelligente de ses dispositions, et quand il eut fait afficher sur les murs de Paris cette proclamation célèbre où il était
dit: « Il faut désormais que les bons se rassurent et que les méchants tremblent! » Ce langage si naturel, mais qui était alors
nouveau, tant la vérité avait fléchi depuis vingt ans, fut le signal d’une réaction presque unanime en faveur de la justice et des
lois. Par un décret émané de f Assemblée Nationale, Paris fut mis en état de siège; La même mesure ne tarda pas à être prise à
l’égard de Lyon, où l’insurrection s’était manifestée plus sinistre et plus meurtrière. On vit, avec une douloureuse émotion, que
les entreprises des factieux coïncidaient avec les ravages inouis qu’exerçait alors le choléra, et on maudit avec d’autant plus
d’indignation des crimes impies que n’avait point découragés le deuil des familles.
En cette même année avait eu lieu, à Paris, l’exposition périodique des produits de l’industrie nationale. En dépit du malheur
des temps, elle avait permis de constater les progrès remarquables de nos manufactures, et la France pouvait être orgueilleuse
de ses fils. Le 11 novembre 1849, le prince-président distribua solennellement les insignes de la Légion-d’Honneur aux fabricants
et aux ouvriers que le grand jury avait jugés dignes de cette récompense. A cette occasion, il prononça un de ces discours que le
public était avide d’entendre et de commenter; on y remarquait les passages suivants: « Le plus grand danger peut-être des
temps modernes vient de cette fausse opinion, inculquée dans les esprits, qu’un gouvernement peut tout, et qu’il est de l’essence
d’un système quelconque de répondre à toutes les exigences, de remédier à tous les maux. Les améliorations ne s’improvisent
pas; elles naissent de celles qui les précèdent: comme l’espèce humaine, elles ont une filiation qui nous permet de mesurer
l’étendue du progrès et de le séparer des utopies. Ne faisons donc pas naître de vaines espérances, mais tâchons d’accomplir toutes
celles qu’il est raisonnable d’accepter Lorsque de retour dans vos départements, vous serez au milieu de vos ouvriers,
affermissez-les dans les bons sentiments, dans les saines maximes, et, par la pratique de cette justice qui récompense chacun
selon ses œuvres, apaisez leurs souffrances, rendez leur condition meilleure. Dites-leur que le pouvoir est animé de deux passions
également vives: l’amour du bien et la volonté de combattre l’erreur et le mensonge » En entendant ces belles paroles, on se
sentait plus à l’aise, on comprenait que la société et la civilisation, l’une et l’autre vaincues en février, remontaient la pente sur
laquelle elles avaient été entraînées loin du vrai et du bien.
La défaite des ennemis de l’ordre, dans la journée du 13 juin, leur condamnation, leur exil, avaient imprimé au parti
socialiste une sorte de découragement. A la faveur de ce répit, la confiance continua de renaître. En ce temps d’utopies, où
chaque monomanie pouvait édifier un temple à ses propres idées, on vit se réunir à Paris, sous la dénomination de Congrès de la
Paix, un certain nombre de publicistes et de penseurs étrangers, la plupart anglais, américains et allemands, qui, associés à des
rêveurs d’origine française, étudièrent en commun les moyens de supprimer désormais la guerre. Les réunions de ces théoriciens
pacifiques, qui nous faisaient rétrograder au temps de Guillaume Penn, demeurèrent fort inaperçues; les vaudevillistes en firent
des textes de couplets, les dessinateurs crayonnèrent des charges, et le fléau de la guerre ne cessa nullement de menacer le monde.
PARIS MODERNE.
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Quelques officiers d’état-major furent l’objet des mêmes sévices. En ce moment se présenta, non loin du Château-d’Eau,
M. Étienne Arago, l’un des chefs du mouvement; il était en uniforme de chef de bataillon de la garde nationale. Quelques autres
chefs républicains, parmi lesquels on remarquait M. Victor Considérant, vinrent l’y rejoindre. Vers une heure, la tête de la
manifestation arriva à la hauteur de la rue de la Paix. Soudain le général Changarnier, secondé par des officiers d’élite, lui
barra le passage et fit faire les sommations légales. Les émeutiers, refusant de se disperser, la troupe avança résolument, et
plusieurs charges de cavalerie ordonnées à propos dégagèrent le boulevard. Les insurgés s’enfuirent dans toutes les directions,
appelant le peuple aux armes. On les vit bientôt se rallier, se porter aux dépôts d’armes, élever des barricades et essayer quelque
résistance. Des collisions isolées s’engagèrent, mais grâce à l’énergie des chefs militaires et aux dispositions habiles prises pour
couper les colonnes d’émeutiers, en isoler les tronçons et accabler la révolte par la force, ces engagements coûtèrent peu de sang,
et le résultat de la journée ne fut pas un seul moment incertain. Vaincus dans la rue, les instigateurs du mouvement, à la tête
desquels figuraient MM. Ledru-Rollin, Gambon, Rattier, Boichot, Commissaire, Considérant, Guinard, Suchet, Fargin-Fayolles et
Pilhes, s’installèrent au Conservatoire des Arts-et-Métiers, et cherchèrent, en quelque sorte, à fonctionner comme parlement
national, chargé des intérêts révolutionnaires. Un nombre assez considérable de représentants montagnards vinrent se joindre
à eux. Sur ces entrefaites, la troupe arrivait et s’emparait successivement de toutes les positions qui avoisinaient le Conservatoire.
L’artillerie de la garde nationale chercha à protéger les conspirateurs, mais ses efforts, mal combinés, furent promptement déjoués,
et bientôt après la déroute des révolutionnaires fut complète. M. Ledru-Rollin s’enfuit en passant par un vasistas; la plupart de ses
collègues réussirent à s’évader à travers le jardin, et en gagnant par des chemins dérobés les rues voisines du Conservatoire.
Vers le soir, l’ordre matériel était rétabli, et il ne restait de cette tentative désespérée que la conviction de son impuissance.
Quelques mois après, la haute cour de Versailles faisait justice des coupables, et condamnait la plupart des chefs à la déportation
et à la détention.
Cette journée, signalée par la victoire du parti de l’ordre, rallia de plus en plus au gouvernement du prince Louis-Napoléon
tous les hommes honnêtes que menaçait la démagogie. On remarqua l’attitude énergique du chef de l’État, on rendit hommage à
la vigueur intelligente de ses dispositions, et quand il eut fait afficher sur les murs de Paris cette proclamation célèbre où il était
dit: « Il faut désormais que les bons se rassurent et que les méchants tremblent! » Ce langage si naturel, mais qui était alors
nouveau, tant la vérité avait fléchi depuis vingt ans, fut le signal d’une réaction presque unanime en faveur de la justice et des
lois. Par un décret émané de f Assemblée Nationale, Paris fut mis en état de siège; La même mesure ne tarda pas à être prise à
l’égard de Lyon, où l’insurrection s’était manifestée plus sinistre et plus meurtrière. On vit, avec une douloureuse émotion, que
les entreprises des factieux coïncidaient avec les ravages inouis qu’exerçait alors le choléra, et on maudit avec d’autant plus
d’indignation des crimes impies que n’avait point découragés le deuil des familles.
En cette même année avait eu lieu, à Paris, l’exposition périodique des produits de l’industrie nationale. En dépit du malheur
des temps, elle avait permis de constater les progrès remarquables de nos manufactures, et la France pouvait être orgueilleuse
de ses fils. Le 11 novembre 1849, le prince-président distribua solennellement les insignes de la Légion-d’Honneur aux fabricants
et aux ouvriers que le grand jury avait jugés dignes de cette récompense. A cette occasion, il prononça un de ces discours que le
public était avide d’entendre et de commenter; on y remarquait les passages suivants: « Le plus grand danger peut-être des
temps modernes vient de cette fausse opinion, inculquée dans les esprits, qu’un gouvernement peut tout, et qu’il est de l’essence
d’un système quelconque de répondre à toutes les exigences, de remédier à tous les maux. Les améliorations ne s’improvisent
pas; elles naissent de celles qui les précèdent: comme l’espèce humaine, elles ont une filiation qui nous permet de mesurer
l’étendue du progrès et de le séparer des utopies. Ne faisons donc pas naître de vaines espérances, mais tâchons d’accomplir toutes
celles qu’il est raisonnable d’accepter Lorsque de retour dans vos départements, vous serez au milieu de vos ouvriers,
affermissez-les dans les bons sentiments, dans les saines maximes, et, par la pratique de cette justice qui récompense chacun
selon ses œuvres, apaisez leurs souffrances, rendez leur condition meilleure. Dites-leur que le pouvoir est animé de deux passions
également vives: l’amour du bien et la volonté de combattre l’erreur et le mensonge » En entendant ces belles paroles, on se
sentait plus à l’aise, on comprenait que la société et la civilisation, l’une et l’autre vaincues en février, remontaient la pente sur
laquelle elles avaient été entraînées loin du vrai et du bien.
La défaite des ennemis de l’ordre, dans la journée du 13 juin, leur condamnation, leur exil, avaient imprimé au parti
socialiste une sorte de découragement. A la faveur de ce répit, la confiance continua de renaître. En ce temps d’utopies, où
chaque monomanie pouvait édifier un temple à ses propres idées, on vit se réunir à Paris, sous la dénomination de Congrès de la
Paix, un certain nombre de publicistes et de penseurs étrangers, la plupart anglais, américains et allemands, qui, associés à des
rêveurs d’origine française, étudièrent en commun les moyens de supprimer désormais la guerre. Les réunions de ces théoriciens
pacifiques, qui nous faisaient rétrograder au temps de Guillaume Penn, demeurèrent fort inaperçues; les vaudevillistes en firent
des textes de couplets, les dessinateurs crayonnèrent des charges, et le fléau de la guerre ne cessa nullement de menacer le monde.