HISTOIRE.
PARIS MODERNE.
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L’exposition de peinture et de sculpture qui eut lieu durant l’hiver (1850-1854) fut à juste titre remarquée; parmi les belles
toiles autour desquelles s’amassa le public amateur des arts, nous devons mentionner le tableau de M. Muller : V Appel des
dernières Victimes de la Terreur ; les Enfants dans les Blés, d’Antigna; la Rebecca, de M. Decamps; la Malaria, par M. Hebert.
Mais en 1851, toutes les préoccupations artistiques et industrielles se concentrèrent sur la grande exposition universelle, qui eut
lieu à Londres, et attira dans cette capitale l’élite des savants, des manufacturiers et des hommes laborieux et utiles que renferme
le monde entier.
Tandis que ces fêtes de l’intelligence et du travail honoraient la Grande-Bretagne, la situation de la France continuait à
s’assombrir. Plus on approchait de l’inquiétante époque de 1852, plus redoublaient les incertitudes du pays, plus les gens qui avaient
quelque chose à perdre s’épouvantaient de l’avenir. La Constitution donnant un démenti à son principe, la souveraineté du
peuple, paralysait aux mains de ce même peuple l’exercice des droits de la France; elle imposait au pays, en 1852, un chef
inconnu, dont le nom devait sortir de l’urne électorale et qui, cette fois, ne pouvait être l’héritier de Napoléon. Le président de
la république compta sur le bon sens des majorités. L’Assemblée Nationale fut appelée à statuer sur des pétitions qui, de tous les
points de la France, réclamaient la révision du pacte de 1848; F Assemblé e repoussa ce vœu du pays et dès lors on pressentit
que la difficulté ne pouvait plus être résolue que par l’épée.
Quelques mois se passèrent durant lesquels l’anxiété redoubla ; chaque jour on s’attendait à un conflit. Partagée entre plusieurs
opinions rivales, F Assemblée Législative avait une majorité de coalition toujours prête à repousser toutes les solutions proposées ;
pour faire prévaloir une combinaison de salut, elle n’avait que des minorités éparses et jalouses. De part et d’autre, les pouvoirs
s’observèrent; ils se dirent que la situation ne se dénouerait que par un coup décisif, et que l’avantage appartiendrait au premier
qui oserait faire appel à la force. Les socialistes se tenaient prêts à recueillir les fruits de ce conflit lamentable et ils nous
menaçaient de la présidence des représentants Miot ou Nadaud, les plus exaltés d’entre leurs chefs; les républicains se ralliaient à
la candidature éventuelle du général Cavaignac; les orléanistes et les légitimistes se mettaient à la suite du général Changarnier : le
peuple, les regards fixés sur l’effigie de l’Empereur, ne voulait d’aucun de ces chefs et ne permettait pas aux partis de lui réserver
un pareil avenir. Bientôt les meneurs de F Assemblée cessèrent de dissimuler : faisant un crime au prince Louis-Napoléon des
sympathies nationales qui se manifestaient en sa faveur, ils laissaient entrevoir l’arrière pensée criminelle d’une tentative contre
les pouvoirs du chef de l’Élat, et dans leur style dédaigneux et dérisoire, ils parlaient tout haut de conduire « Monsieur Bonaparte »
au donjon de Vincennes. Mais le prince avait la conviction profonde d’être investi d’une mission providentielle, il se disait qu’aucun
complot, qu’aucun texte plus ou moins légal ne l’empêcheraient de sauver le pays, dont il avait l’honneur d’être le chef. Or,
tandis que les coteries parlementaires se disposaient à provoquer l’arrestation et la mise en jugement du président, le parti
communiste, de longue main préparé à la lutte, organisait dans les campagnes une nouvelle Jacquerie, une dernière invasion
de barbares. Cette conspiration avait son gouvernement, son armée, ses chefs; elle devait éclater au Nord et au Midi, à
l’Est, à l’Ouest, au centre, sur toute l’étendue du territoire, et pour venir à bout d’un si formidable ennemi, il fallait d’un
seul coup le déconcerter et le surprendre. C’est ce que fit Louis-Napoléon avec cette énergie calme qui convient à la solution
des grandes crises. Il disposa tout; il ne mit dans le secret de sa pensée que trois ou quatre amis dévoués, et quand tout fut
prêt, il agit.
Dans la nuit du 1er au 2 décembre 1854, le prince assigna à chacun sa mission; le 2, avant l’aube, le préfet de police, M. de
Maupas, associé l’un des premiers au secret du coup d’Etat, donna des ordres aux commissaires et aux officiers de police, et sur
le champ, à la même heure, dans les divers quartiers de Paris, les chefs politiques et militaires de F Assemblée Législative furent
mis en état d’arrestation. De ce nombre furent MM. Cavaignac, Changarnier, Bedeau, Lamoricière^ Thiers, Charras, Lagrange,
Grcppo, Miot, Nadaud, etc. Le palais de F Assemblée fut occupé militairement par le colonel Espinasse, un des plus intrépides
officiers de notre jeune armée, et qui avait fait ses preuves à l’assaut de Rome et dans les campagnes d’Afrique. Dans l’enceinte
législative furent arrêtés MM. Le Flô et Bazc, questeurs de l’Asscmblée. Surpris par l’homme dont ils avaient eux-mêmes médité
l’arrestation, ils firent preuve d’une vive irritation et s’exhalèrent en menaces. M. de Persigny qui avait activement secondé l’élan
de la troupe vint rendre compte au président de l’exécution de ses ordres. Il était à peine sept heures du matin, et déjà les
principaux postes de la capitale étaient au pouvoir du prince, et M. de Morny, déjà installé au ministère de l’intérieur, transmettait
dans tous les départements les ordres que la circonstance réclamait. En peu d’instants, sur tous les murs de la capitale, on lisait
les décrets et les proclamations qui manifestaient à la France le vœu, l’ordre et les appels du prince Louis-Napoléon.
Les citoyens de Paris et l’armée se montrèrent profondément émus de la situation nouvelle que leur révélaient ces actes. On
s’y était attendu, mais on ne se trouvait pas, sans inquiétude, témoin d’une révolution dont on ne pouvait pressentir les phases.
Les soldats et leurs chefs se trouvèrent fiers, selon l’expression du prince, d’avoir à relever l’honneur et la puissance du pays;
les habitants paisibles, les citadins habitués à fronder tous les gouvernements, à leur obéir, à les desservir, eurent un moment peur
pour eux-mêmes, et ne se montrèrent disposés à adhérer au neveu de l’Empereur qu’autant qu’il remporterait la victoire. Le
2”. p. — P. M.
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PARIS MODERNE.
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L’exposition de peinture et de sculpture qui eut lieu durant l’hiver (1850-1854) fut à juste titre remarquée; parmi les belles
toiles autour desquelles s’amassa le public amateur des arts, nous devons mentionner le tableau de M. Muller : V Appel des
dernières Victimes de la Terreur ; les Enfants dans les Blés, d’Antigna; la Rebecca, de M. Decamps; la Malaria, par M. Hebert.
Mais en 1851, toutes les préoccupations artistiques et industrielles se concentrèrent sur la grande exposition universelle, qui eut
lieu à Londres, et attira dans cette capitale l’élite des savants, des manufacturiers et des hommes laborieux et utiles que renferme
le monde entier.
Tandis que ces fêtes de l’intelligence et du travail honoraient la Grande-Bretagne, la situation de la France continuait à
s’assombrir. Plus on approchait de l’inquiétante époque de 1852, plus redoublaient les incertitudes du pays, plus les gens qui avaient
quelque chose à perdre s’épouvantaient de l’avenir. La Constitution donnant un démenti à son principe, la souveraineté du
peuple, paralysait aux mains de ce même peuple l’exercice des droits de la France; elle imposait au pays, en 1852, un chef
inconnu, dont le nom devait sortir de l’urne électorale et qui, cette fois, ne pouvait être l’héritier de Napoléon. Le président de
la république compta sur le bon sens des majorités. L’Assemblée Nationale fut appelée à statuer sur des pétitions qui, de tous les
points de la France, réclamaient la révision du pacte de 1848; F Assemblé e repoussa ce vœu du pays et dès lors on pressentit
que la difficulté ne pouvait plus être résolue que par l’épée.
Quelques mois se passèrent durant lesquels l’anxiété redoubla ; chaque jour on s’attendait à un conflit. Partagée entre plusieurs
opinions rivales, F Assemblée Législative avait une majorité de coalition toujours prête à repousser toutes les solutions proposées ;
pour faire prévaloir une combinaison de salut, elle n’avait que des minorités éparses et jalouses. De part et d’autre, les pouvoirs
s’observèrent; ils se dirent que la situation ne se dénouerait que par un coup décisif, et que l’avantage appartiendrait au premier
qui oserait faire appel à la force. Les socialistes se tenaient prêts à recueillir les fruits de ce conflit lamentable et ils nous
menaçaient de la présidence des représentants Miot ou Nadaud, les plus exaltés d’entre leurs chefs; les républicains se ralliaient à
la candidature éventuelle du général Cavaignac; les orléanistes et les légitimistes se mettaient à la suite du général Changarnier : le
peuple, les regards fixés sur l’effigie de l’Empereur, ne voulait d’aucun de ces chefs et ne permettait pas aux partis de lui réserver
un pareil avenir. Bientôt les meneurs de F Assemblée cessèrent de dissimuler : faisant un crime au prince Louis-Napoléon des
sympathies nationales qui se manifestaient en sa faveur, ils laissaient entrevoir l’arrière pensée criminelle d’une tentative contre
les pouvoirs du chef de l’Élat, et dans leur style dédaigneux et dérisoire, ils parlaient tout haut de conduire « Monsieur Bonaparte »
au donjon de Vincennes. Mais le prince avait la conviction profonde d’être investi d’une mission providentielle, il se disait qu’aucun
complot, qu’aucun texte plus ou moins légal ne l’empêcheraient de sauver le pays, dont il avait l’honneur d’être le chef. Or,
tandis que les coteries parlementaires se disposaient à provoquer l’arrestation et la mise en jugement du président, le parti
communiste, de longue main préparé à la lutte, organisait dans les campagnes une nouvelle Jacquerie, une dernière invasion
de barbares. Cette conspiration avait son gouvernement, son armée, ses chefs; elle devait éclater au Nord et au Midi, à
l’Est, à l’Ouest, au centre, sur toute l’étendue du territoire, et pour venir à bout d’un si formidable ennemi, il fallait d’un
seul coup le déconcerter et le surprendre. C’est ce que fit Louis-Napoléon avec cette énergie calme qui convient à la solution
des grandes crises. Il disposa tout; il ne mit dans le secret de sa pensée que trois ou quatre amis dévoués, et quand tout fut
prêt, il agit.
Dans la nuit du 1er au 2 décembre 1854, le prince assigna à chacun sa mission; le 2, avant l’aube, le préfet de police, M. de
Maupas, associé l’un des premiers au secret du coup d’Etat, donna des ordres aux commissaires et aux officiers de police, et sur
le champ, à la même heure, dans les divers quartiers de Paris, les chefs politiques et militaires de F Assemblée Législative furent
mis en état d’arrestation. De ce nombre furent MM. Cavaignac, Changarnier, Bedeau, Lamoricière^ Thiers, Charras, Lagrange,
Grcppo, Miot, Nadaud, etc. Le palais de F Assemblée fut occupé militairement par le colonel Espinasse, un des plus intrépides
officiers de notre jeune armée, et qui avait fait ses preuves à l’assaut de Rome et dans les campagnes d’Afrique. Dans l’enceinte
législative furent arrêtés MM. Le Flô et Bazc, questeurs de l’Asscmblée. Surpris par l’homme dont ils avaient eux-mêmes médité
l’arrestation, ils firent preuve d’une vive irritation et s’exhalèrent en menaces. M. de Persigny qui avait activement secondé l’élan
de la troupe vint rendre compte au président de l’exécution de ses ordres. Il était à peine sept heures du matin, et déjà les
principaux postes de la capitale étaient au pouvoir du prince, et M. de Morny, déjà installé au ministère de l’intérieur, transmettait
dans tous les départements les ordres que la circonstance réclamait. En peu d’instants, sur tous les murs de la capitale, on lisait
les décrets et les proclamations qui manifestaient à la France le vœu, l’ordre et les appels du prince Louis-Napoléon.
Les citoyens de Paris et l’armée se montrèrent profondément émus de la situation nouvelle que leur révélaient ces actes. On
s’y était attendu, mais on ne se trouvait pas, sans inquiétude, témoin d’une révolution dont on ne pouvait pressentir les phases.
Les soldats et leurs chefs se trouvèrent fiers, selon l’expression du prince, d’avoir à relever l’honneur et la puissance du pays;
les habitants paisibles, les citadins habitués à fronder tous les gouvernements, à leur obéir, à les desservir, eurent un moment peur
pour eux-mêmes, et ne se montrèrent disposés à adhérer au neveu de l’Empereur qu’autant qu’il remporterait la victoire. Le
2”. p. — P. M.
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