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PARIS DAMS SA SPLENDEUR.
Puis, comme toujours, le calme se fit. Le Bois sortit de la Liste Civile et rentra dans le domaine national, pour y rester
jusqu’au 2 juin 1852, époque à laquelle il fut cédé à la ville de Paris.
Entr’autres conditions de cette cession, on imposa à la ville fobligation de subvenir aux frais de surveillance et d’entretien;
de consacrer, dans un délai de quatre années, une somme de deux millions à l’embellissement du Bois, en soumettant les
travaux à l’approbation du Gouvernement; enfin, de conserver leur destination à toutes les parties du terrain concédé.
On peut dire que c’est de ce moment que date la merveilleuse transformation dont nous avons été les témoins. Le Bois, en
effet, tel que nous le voyons aujourd’hui, est une création toute récente.
La ville de Paris, en 1852, trouva un sol plat, aux percées rectilignes, aux fourrés monotones et inaccessibles, aux
délimitations vagues, à l’enceinte irrégulière.
Elle en a profondément modifié l’aménagement. Après avoir redressé les limites et défendu les abords du Bois, elle a donné du
mouvement aux terrains, de la pente aux eaux dormantes, de l’air et du soleil aux taillis trop épais. — D’une forêt inculte et'
abandonnée, elle a fait un parc immense et splendide, un délicieux jardin, où rien ne manque de ce qui charme l’âme, de ce qui
enchante l’esprit, de ce qui ravit les yeux. On n’a point obtenu ces résultats sans de grands sacrifices.
Des anciennes dispositions, on n’a conservé que les deux longues allées rectilignes de Longchamps et de la reine Marguerite,
qui s’entrecroisent sur le pont de la petite rivière de Bagatelle. Quant à ces mille autres routes, dont la courbe élégante lutte de
caprices avec la rivière serpentine, contourne les rochers, traverse les massifs, perce les fourrés, s’infléchit au bord des sources,
ou sillonne les clairières semées de myosotis, de violettes et de primevères, nous les devons aux nouveaux ingénieurs du Bois :
nous les devons surtout à l’Empereur, qui suit, ou plutôt qui en dirige le développement avec une sollicitude de chaque jour et
une rare entente de l’effet pittoresque. Louis XIV donnait des conseils à Lenôtre.
Ces belles routes développent leurs mille circuits sur une longueur de 93 kilomètres. On peut donc, sans fouler deux fois la
même trace, faire près de 25 lieues sous les ombrages du Bois de Boulogne. La largeur de ces allées varie depuis 3 mètres
jusqu’à 20. Presque toujours un sentier latéral, qui passe sous bois à travers les massifs, permet au piéton solitaire et rêveur
une promenade que ne troublent ni la roue étincelante des équipages ni le galop fougueux des cavaliers.
Du reste, l’aménagement des plantations et la percée des vues donnent à ces allées une variété infinie.
Tantôt l’ombre des grands bois les surplombe et les resserre, tantôt elles traversent les libres éclaircies, et développent de
lointaines perspectives devant l’œil ravi, qui se repose, à l’horizon, sur la croupe onduleuse des coteaux.
Nous ne pouvons suivre ni décrire toutes ces routes. Qu’il nous suffise d’indiquer les principales.
Voici d’abord l’allée des Gravilliers et l’allée de Longchamps, qui inscrivent dans le Bois un triangle irrégulier, avec l’ancienne
porte de Longchamps pour sommet et la route des Fortifications pour base; puis l’allée de la reine Marguerite, qui coupe ce
triangle aux deux tiers de sa hauteur, et qui traverse le Bois, de Neuilly à Boulogne.
Ce sont là les seules grandes voies rectilignes du Bois, et bien que les unes en circonscrivent admirablement l’étendue, et
que les autres en indiquent non moins heureusement la direction, le public aujourd’hui semble prêt à les abandonner. La mode
capricieuse se détourne de ces magnifiques créations des temps passés; elle se complaît bien davantage dans la fantaisie moderne
et les caprices inattendus de la route des Chênes ou de Saint-Cloud, du lac ou de la mare d’Auteuil, de la butte Mortemart, de la
Mare-aux-Biches, ou de l’allée Fortunée, ou de cette jolie route de l’Espérance, qui sillonne le charmant canton de la Retraite.
Toutes ces belles routes, qui traversent le Bois dans cent directions, et qui percent à jour ses massifs les plus profonds, lui
ont enlevé quelque chose de sa solitude et de son mystère. La morale y gagne ce qu’y perd la rêverie.
Ce serait un récit curieux que celui des duels célèbres dont le Bois de Boulogne a été le théâtre à diverses époques. On y
trouverait les plus grands noms de la monarchie et les plus piquants souvenirs du théâtre. Ici, c’est le comte d’Artois (depuis
Charles X), qui croise le fer avec le duc de Bourbon, le dernier des Condé. Plus loin, c’est une Française sémillante, qui reçoit
un coup d’épée d’une Polonaise impétueuse. Ces dames trouvaient que les hommes s’étaient trop longtemps battus pour les
femmes : elles voulurent nous donner une revanche. Un chanteur de l’Opéra, du nom de Chassé, fut le Pâris dont ces deux
Hélènes se disputèrent la pomme. La Française fut blessée. Aussitôt guérie, on la mit au couvent; la Polonaise fut renvoyée sur
les bords glacés de la Vistule.
Quant à l’heureux faquin, objet de la querelle, le duc de Richelieu, alors intendant des Menus, le fit appeler, et lui enjoignit,
au nom du roi, d’être désormais plus réservé dans sa conduite. « Dites à Sa Majesté, répondit le chanteur, que je n’ai vraiment
rien à me reprocher. Ce n’est pas ma faute, si ces dames se sont battues : c’est celle de la Providence, qui a fait de moi l’homme
le mieux tourné et le plus aimable du royaume. — Apprenez, maraud, répliqua le duc, non moins fat que le chanteur, apprenez
que vous ne venez qu’en troisième : le roi passe avant vous, et moi après le roi. »
Les suicides ne furent pas moins nombreux que les duels au Bois de Boulogne, et les gardes, en faisant leur ronde, cueillirent
quelquefois des pendus, en guise de fruits, aux arbres de la Retraite. La fureur des duels, la folie du suicide se sont un peu
PARIS DAMS SA SPLENDEUR.
Puis, comme toujours, le calme se fit. Le Bois sortit de la Liste Civile et rentra dans le domaine national, pour y rester
jusqu’au 2 juin 1852, époque à laquelle il fut cédé à la ville de Paris.
Entr’autres conditions de cette cession, on imposa à la ville fobligation de subvenir aux frais de surveillance et d’entretien;
de consacrer, dans un délai de quatre années, une somme de deux millions à l’embellissement du Bois, en soumettant les
travaux à l’approbation du Gouvernement; enfin, de conserver leur destination à toutes les parties du terrain concédé.
On peut dire que c’est de ce moment que date la merveilleuse transformation dont nous avons été les témoins. Le Bois, en
effet, tel que nous le voyons aujourd’hui, est une création toute récente.
La ville de Paris, en 1852, trouva un sol plat, aux percées rectilignes, aux fourrés monotones et inaccessibles, aux
délimitations vagues, à l’enceinte irrégulière.
Elle en a profondément modifié l’aménagement. Après avoir redressé les limites et défendu les abords du Bois, elle a donné du
mouvement aux terrains, de la pente aux eaux dormantes, de l’air et du soleil aux taillis trop épais. — D’une forêt inculte et'
abandonnée, elle a fait un parc immense et splendide, un délicieux jardin, où rien ne manque de ce qui charme l’âme, de ce qui
enchante l’esprit, de ce qui ravit les yeux. On n’a point obtenu ces résultats sans de grands sacrifices.
Des anciennes dispositions, on n’a conservé que les deux longues allées rectilignes de Longchamps et de la reine Marguerite,
qui s’entrecroisent sur le pont de la petite rivière de Bagatelle. Quant à ces mille autres routes, dont la courbe élégante lutte de
caprices avec la rivière serpentine, contourne les rochers, traverse les massifs, perce les fourrés, s’infléchit au bord des sources,
ou sillonne les clairières semées de myosotis, de violettes et de primevères, nous les devons aux nouveaux ingénieurs du Bois :
nous les devons surtout à l’Empereur, qui suit, ou plutôt qui en dirige le développement avec une sollicitude de chaque jour et
une rare entente de l’effet pittoresque. Louis XIV donnait des conseils à Lenôtre.
Ces belles routes développent leurs mille circuits sur une longueur de 93 kilomètres. On peut donc, sans fouler deux fois la
même trace, faire près de 25 lieues sous les ombrages du Bois de Boulogne. La largeur de ces allées varie depuis 3 mètres
jusqu’à 20. Presque toujours un sentier latéral, qui passe sous bois à travers les massifs, permet au piéton solitaire et rêveur
une promenade que ne troublent ni la roue étincelante des équipages ni le galop fougueux des cavaliers.
Du reste, l’aménagement des plantations et la percée des vues donnent à ces allées une variété infinie.
Tantôt l’ombre des grands bois les surplombe et les resserre, tantôt elles traversent les libres éclaircies, et développent de
lointaines perspectives devant l’œil ravi, qui se repose, à l’horizon, sur la croupe onduleuse des coteaux.
Nous ne pouvons suivre ni décrire toutes ces routes. Qu’il nous suffise d’indiquer les principales.
Voici d’abord l’allée des Gravilliers et l’allée de Longchamps, qui inscrivent dans le Bois un triangle irrégulier, avec l’ancienne
porte de Longchamps pour sommet et la route des Fortifications pour base; puis l’allée de la reine Marguerite, qui coupe ce
triangle aux deux tiers de sa hauteur, et qui traverse le Bois, de Neuilly à Boulogne.
Ce sont là les seules grandes voies rectilignes du Bois, et bien que les unes en circonscrivent admirablement l’étendue, et
que les autres en indiquent non moins heureusement la direction, le public aujourd’hui semble prêt à les abandonner. La mode
capricieuse se détourne de ces magnifiques créations des temps passés; elle se complaît bien davantage dans la fantaisie moderne
et les caprices inattendus de la route des Chênes ou de Saint-Cloud, du lac ou de la mare d’Auteuil, de la butte Mortemart, de la
Mare-aux-Biches, ou de l’allée Fortunée, ou de cette jolie route de l’Espérance, qui sillonne le charmant canton de la Retraite.
Toutes ces belles routes, qui traversent le Bois dans cent directions, et qui percent à jour ses massifs les plus profonds, lui
ont enlevé quelque chose de sa solitude et de son mystère. La morale y gagne ce qu’y perd la rêverie.
Ce serait un récit curieux que celui des duels célèbres dont le Bois de Boulogne a été le théâtre à diverses époques. On y
trouverait les plus grands noms de la monarchie et les plus piquants souvenirs du théâtre. Ici, c’est le comte d’Artois (depuis
Charles X), qui croise le fer avec le duc de Bourbon, le dernier des Condé. Plus loin, c’est une Française sémillante, qui reçoit
un coup d’épée d’une Polonaise impétueuse. Ces dames trouvaient que les hommes s’étaient trop longtemps battus pour les
femmes : elles voulurent nous donner une revanche. Un chanteur de l’Opéra, du nom de Chassé, fut le Pâris dont ces deux
Hélènes se disputèrent la pomme. La Française fut blessée. Aussitôt guérie, on la mit au couvent; la Polonaise fut renvoyée sur
les bords glacés de la Vistule.
Quant à l’heureux faquin, objet de la querelle, le duc de Richelieu, alors intendant des Menus, le fit appeler, et lui enjoignit,
au nom du roi, d’être désormais plus réservé dans sa conduite. « Dites à Sa Majesté, répondit le chanteur, que je n’ai vraiment
rien à me reprocher. Ce n’est pas ma faute, si ces dames se sont battues : c’est celle de la Providence, qui a fait de moi l’homme
le mieux tourné et le plus aimable du royaume. — Apprenez, maraud, répliqua le duc, non moins fat que le chanteur, apprenez
que vous ne venez qu’en troisième : le roi passe avant vous, et moi après le roi. »
Les suicides ne furent pas moins nombreux que les duels au Bois de Boulogne, et les gardes, en faisant leur ronde, cueillirent
quelquefois des pendus, en guise de fruits, aux arbres de la Retraite. La fureur des duels, la folie du suicide se sont un peu