HISTOIRE. - PARIS ANCIEN.
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le Capitulaire de Quierzy (877), mais qu’elle remonte plus haut : l’extrême faiblesse des descendants de Charles le prouve assez.
Louis-le-Bègue, qui avait eu pour principal conseiller l’évêque Ingelwin, ne fit rien pour Paris; Louis III, malgré sa victoire de
Saucourt en Vimeux (881), et Carloman, malgré quelque léger avantage, ne purent empêcher les Northmans plus nombreux et
plus acharnés que jamais de faire un grand, un suprême effort contre Paris, dès que la lâcheté de Charles-le-Gros leur eut
prouvé qu’ils n’avaient aucune résistance à craindre de la part du chef du pouvoir (88 b).
Le grand siège de Paris qui, comme celui de Troie, a trouvé son Homère (Abbon), est un événement important non-seulement
pour l’histoire de la ville, mais pour celle de la France, de la Chrétienté entière. Ce fut le dernier effort des barbares établis en
France pour renverser cette barrière trois fois ébranlée, trois fois résistante qui les empêchait de s’établir au cœur du royaume,
et s’ils avaient triomphé, peut-être eût-il fallu dire adieu à la civilisation chrétienne au moins pour quelques siècles. Trois hommes
héroïques sauvèrent Paris et la France : Gozlin l’évêque, Eudes le comte, Ebles l’abbé. Gozlin, qui avait succédé en 883 à Ingelwin,
était de haute naissance, peut-être fils d’une femme de Louis-le-Débonnaire; d’abord abbé de Saint-Germain et de Saint-Denis,
il était vieux à l’époque du siège. Le comte Eudes, successeur de Conrad, est cet illustre ancêtre des Capétiens qui parvint au
trône du vivant même des Carolingiens et annonça ainsi la chute prochaine de leur dynastie. Fils de Robert-le-Fort, l’adversaire
implacable des Northmans, Eudes avait hérité du courage et de la haine de son père. A la fois comte de Paris et duc de France,
il personnifiait en lui la naissante nationalité française dont les Carolingiens allaient de plus en plus s’écarter en redevenant
Allemands. Quant à Ebles, c’était le neveu de l’évêque; deux fois abbé comme lui, il devint chancelier du roi Eudes; robuste,
intelligent et sensuel, ce moine guerrier rappelle involontairement frère Jean des Entommeures; Rabelais semble l’avoir eu sous
les yeux en traçant cette grotesque mais énergique figure.
Abbon nomme plusieurs guerriers moins connus qui secondèrent ces vaillants défenseurs; ils étaient peu nombreux, mais ils
combattaient pro avis et focis, et cette pensée centuplait leurs forces; les Northmans étaient plus de trente mille, et commandés
par Siegfried, un de leurs quatre rois. L’attaque commença le 27 novembre 88b, au point du jour. Les Scandinaves portèrent
leurs efforts sur la tour qui défendait au Nord le pont-rempart de Charles-le-Chauve : ils furent repoussés deux jours de suite,
puis se retirèrent dans leur camp fortifié, près Saint-Germain-l’Auxerrois : l’église même leur servait de citadelle.
Le 28 janvier 886 ils recommencèrent l’assaut; pendant plusieurs jours leurs machines de guerre et leurs traits sont inutiles,
mais le 7 février lé pont du Midi (Petit-Pont) est renversé en partie par un débordement subit. Douze combattants se trouvent
alors isolés dans une tour bâtie sur ce pont. Les Northmans les assiègent, mettent le feu à la tour : les douze guerriers se battent
comme des lions, mais ils sont pris et massacrés.
Les Northmans ralentirent alors leurs attaques et pillèrent le plat pays vers le Sud. Henri, duc de Saxe, auquel l’évêque Gozlin
avait demandé secours, arriva en mars et livra un combat indécis aux Danois restés dans leur camp. Ennuyé de ce long blocus
inutile, Siegfried traita en particulier avec l’évêque et moyennant 60 livres d’argent essaya de détourner ses hommes de leur
entreprise. Il ne fut pas écouté, et toute l’armée ennemie vint se jeter avec fureur sur la cité elle-même; mais les assiégés firent
une sortie meurtrière; une sanglante mêlée s’ensuivit et les barbares reculèrent. Siegfried les quitta alors. Malheureusement pour
Paris, Gozlin mourut sur ces entrefaites (avril 886), et le comte Eudes partit pour aller demander des secours à l’empereur
Charles; il reparut bientôt avec des renforts et réussit à se, jeter dans la ville, suivi de près par le duc Henri de Saxe qui périt
presque aussitôt dans une embuscade sous les coups des Danois.
On était arrivé au mois d’août; l’ennemi profitant des basses eaux, donne un second assaut à la ville et y pénètre même sur
un point; mais il est repoussé partout ailleurs et se retire avec perte. On ne savait quand finirait cet interminable siège, quand
arriva enfin Charles-le-Gros (octobre). Sa présence ne fut qu’une calamité de plus; quoiqu’à la tête d’une armée respectable, il
ne sut que donner un nouvel évêque (Anschéric) et faire un traité déshonorant : il promit 700 livres aux païens et leur permit
d’aller ravager la Bourgogne. Paris en fut ainsi délivré (novembre 886).
Naturellement leur retour ne se fit pas attendre; ils revinrent demander leur argent (mars 887) et s’établirent dans le pré
Saint-Germain. Quand ils eurent les 700 livres, ils se gardèrent bien de tenir leur promesse et de descendre vers la mer : ils
s’apprêtaient à remonter la Seine, mais l’évêque Anschéric et l’abbé Ebles les attaquent énergiquement. Les Northmans se
résignent, demandent la paix et restent à Paris dont on leur ouvre les portes, ce qui ne les empêche pas de trahir une seconde
fois et d’envahir la Champagne : cinq cents d’entr’eux sont massacrés par les Parisiens indignés.
La honteuse connivence de Charles-le-Gros le fit déposer à la diète de Tribur (888), et des souverains nationaux furent élus
par tous les peuples formant l’empire de Charlemagne. Les Français — on peut désormais leur donner ce nom — élurent
Eudes. Son règne ne fut qu’une lutte de dix ans contre les barbares du Nord. En partant pour l’Aquitaine, il confia le comté de
Paris à l’évêque Anschéric qui eut à repousser une seconde (889), puis une troisième attaque des Northmans; ces tentatives
n’eurent pas de succès, et depuis lors on ne voit plus reparaître ces infatigables brigands sous les murs de Paris.
La dynastie carolingienne occupa encore à diverses reprises le trône pendant cent ans, traînant ainsi une longue agonie;
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le Capitulaire de Quierzy (877), mais qu’elle remonte plus haut : l’extrême faiblesse des descendants de Charles le prouve assez.
Louis-le-Bègue, qui avait eu pour principal conseiller l’évêque Ingelwin, ne fit rien pour Paris; Louis III, malgré sa victoire de
Saucourt en Vimeux (881), et Carloman, malgré quelque léger avantage, ne purent empêcher les Northmans plus nombreux et
plus acharnés que jamais de faire un grand, un suprême effort contre Paris, dès que la lâcheté de Charles-le-Gros leur eut
prouvé qu’ils n’avaient aucune résistance à craindre de la part du chef du pouvoir (88 b).
Le grand siège de Paris qui, comme celui de Troie, a trouvé son Homère (Abbon), est un événement important non-seulement
pour l’histoire de la ville, mais pour celle de la France, de la Chrétienté entière. Ce fut le dernier effort des barbares établis en
France pour renverser cette barrière trois fois ébranlée, trois fois résistante qui les empêchait de s’établir au cœur du royaume,
et s’ils avaient triomphé, peut-être eût-il fallu dire adieu à la civilisation chrétienne au moins pour quelques siècles. Trois hommes
héroïques sauvèrent Paris et la France : Gozlin l’évêque, Eudes le comte, Ebles l’abbé. Gozlin, qui avait succédé en 883 à Ingelwin,
était de haute naissance, peut-être fils d’une femme de Louis-le-Débonnaire; d’abord abbé de Saint-Germain et de Saint-Denis,
il était vieux à l’époque du siège. Le comte Eudes, successeur de Conrad, est cet illustre ancêtre des Capétiens qui parvint au
trône du vivant même des Carolingiens et annonça ainsi la chute prochaine de leur dynastie. Fils de Robert-le-Fort, l’adversaire
implacable des Northmans, Eudes avait hérité du courage et de la haine de son père. A la fois comte de Paris et duc de France,
il personnifiait en lui la naissante nationalité française dont les Carolingiens allaient de plus en plus s’écarter en redevenant
Allemands. Quant à Ebles, c’était le neveu de l’évêque; deux fois abbé comme lui, il devint chancelier du roi Eudes; robuste,
intelligent et sensuel, ce moine guerrier rappelle involontairement frère Jean des Entommeures; Rabelais semble l’avoir eu sous
les yeux en traçant cette grotesque mais énergique figure.
Abbon nomme plusieurs guerriers moins connus qui secondèrent ces vaillants défenseurs; ils étaient peu nombreux, mais ils
combattaient pro avis et focis, et cette pensée centuplait leurs forces; les Northmans étaient plus de trente mille, et commandés
par Siegfried, un de leurs quatre rois. L’attaque commença le 27 novembre 88b, au point du jour. Les Scandinaves portèrent
leurs efforts sur la tour qui défendait au Nord le pont-rempart de Charles-le-Chauve : ils furent repoussés deux jours de suite,
puis se retirèrent dans leur camp fortifié, près Saint-Germain-l’Auxerrois : l’église même leur servait de citadelle.
Le 28 janvier 886 ils recommencèrent l’assaut; pendant plusieurs jours leurs machines de guerre et leurs traits sont inutiles,
mais le 7 février lé pont du Midi (Petit-Pont) est renversé en partie par un débordement subit. Douze combattants se trouvent
alors isolés dans une tour bâtie sur ce pont. Les Northmans les assiègent, mettent le feu à la tour : les douze guerriers se battent
comme des lions, mais ils sont pris et massacrés.
Les Northmans ralentirent alors leurs attaques et pillèrent le plat pays vers le Sud. Henri, duc de Saxe, auquel l’évêque Gozlin
avait demandé secours, arriva en mars et livra un combat indécis aux Danois restés dans leur camp. Ennuyé de ce long blocus
inutile, Siegfried traita en particulier avec l’évêque et moyennant 60 livres d’argent essaya de détourner ses hommes de leur
entreprise. Il ne fut pas écouté, et toute l’armée ennemie vint se jeter avec fureur sur la cité elle-même; mais les assiégés firent
une sortie meurtrière; une sanglante mêlée s’ensuivit et les barbares reculèrent. Siegfried les quitta alors. Malheureusement pour
Paris, Gozlin mourut sur ces entrefaites (avril 886), et le comte Eudes partit pour aller demander des secours à l’empereur
Charles; il reparut bientôt avec des renforts et réussit à se, jeter dans la ville, suivi de près par le duc Henri de Saxe qui périt
presque aussitôt dans une embuscade sous les coups des Danois.
On était arrivé au mois d’août; l’ennemi profitant des basses eaux, donne un second assaut à la ville et y pénètre même sur
un point; mais il est repoussé partout ailleurs et se retire avec perte. On ne savait quand finirait cet interminable siège, quand
arriva enfin Charles-le-Gros (octobre). Sa présence ne fut qu’une calamité de plus; quoiqu’à la tête d’une armée respectable, il
ne sut que donner un nouvel évêque (Anschéric) et faire un traité déshonorant : il promit 700 livres aux païens et leur permit
d’aller ravager la Bourgogne. Paris en fut ainsi délivré (novembre 886).
Naturellement leur retour ne se fit pas attendre; ils revinrent demander leur argent (mars 887) et s’établirent dans le pré
Saint-Germain. Quand ils eurent les 700 livres, ils se gardèrent bien de tenir leur promesse et de descendre vers la mer : ils
s’apprêtaient à remonter la Seine, mais l’évêque Anschéric et l’abbé Ebles les attaquent énergiquement. Les Northmans se
résignent, demandent la paix et restent à Paris dont on leur ouvre les portes, ce qui ne les empêche pas de trahir une seconde
fois et d’envahir la Champagne : cinq cents d’entr’eux sont massacrés par les Parisiens indignés.
La honteuse connivence de Charles-le-Gros le fit déposer à la diète de Tribur (888), et des souverains nationaux furent élus
par tous les peuples formant l’empire de Charlemagne. Les Français — on peut désormais leur donner ce nom — élurent
Eudes. Son règne ne fut qu’une lutte de dix ans contre les barbares du Nord. En partant pour l’Aquitaine, il confia le comté de
Paris à l’évêque Anschéric qui eut à repousser une seconde (889), puis une troisième attaque des Northmans; ces tentatives
n’eurent pas de succès, et depuis lors on ne voit plus reparaître ces infatigables brigands sous les murs de Paris.
La dynastie carolingienne occupa encore à diverses reprises le trône pendant cent ans, traînant ainsi une longue agonie;