PARIS DANS SA SPLENDEUR.
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le mal cessa. Innocent II qui vint à Paris l’année suivante (les papes de cette époque étaient souvent en France), consacra la
mémoire du miracle par une fête (1131), et l’église de Sainte-Geneviève-des-Ardents s’éleva près de Notre-Dame pour en
perpétuer le souvenir. De curieuses cérémonies racontées longuement par les historiens de Paris marquèrent le passage du
Souverain Pontife dans la capitale de la France, et la ville sortait à peine des réjouissances et des solennités quand elle fut attristée
par la mort du fils aîné de Louis-le-Gros, Philippe, tué par accident dans une de ses rues. Cet accident, étrange à nos yeux (un
porc était venu se jeter aux jambes du cheval qui portait le jeune prince), témoigne énergiquement du désordre et de l’abandon
rustique où vivait le Paris du moyen-âge : aussi un pareil fait paraît-il n’avoir alors surpris personne. La police ne devait naître
que bien des années plus tard. •
Louis VI ne survécut pas longtemps à son fils aîné Philippe: il mourut en 1137, laissant Paris agrandi, déjà influent et
célèbre, enrichi, outre Saint-Victor, d’un grand nombre d’églises : Saint-Jacques-la-Boucherie, Sainte-Geneviève-des-Ardents,
Saint-Nicolas-des-Champs, l’hôpital de Saint-Lazare, etc., et déjà entouré d’une enceinte dont il ne reste aucune trace, et qui avait
déjà disparu au temps de Philippe-Auguste. Sur la rive droite de la Seine, l’ancienne porte connue sous le nom d’Arche-Saint-Merry,
la porte Baudoyer, une vieille tour de la rue des Deux-Portes-Saint-Jean, peut-être d’anciennes fortifications remplacées par la rue
des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois; sur la rive gauche, une tour située dans la rue Saint-Victor, au bas delà rue de Versailles,
sont les seuls débris qui peuvent servir à déterminer approximativement cette antique enceinte.
Le long règne de Louis VII le Jeune (11 37-1179) voit continuer, avec des alternatives, d’obscurité et de ralentissement, la
progression croissante de Paris. « Le jeune roi, dit M. Michelet, avait été élevé bien dévotement dans le cloître de Notre-Dame;
c’était un enfant sans aucune méchanceté ; le vrai roi fut son précepteur, Suger, abbé de Saint-Denis. » Les premières années de
Louis-le-Jeune, qu’il passa à Paris, sont vides de faits. L’évêque Thibaud fut élu en 1143 ; après la fin du démêlé entre Louis VII
et Innocent II, démêlé qui avait amené l’interdit jeté sur le royaume et le pillage des biens de l’église de Paris par le roi, celui-ci
racheta par d’extrêmes déférences envers le clergé les actes qu’il s’était permis contre lui et surtout le crime de Vitry-le-Brûlé.
Aussi les chanoines de Notre-Dame, dont le relâchement était notoire, abusèrent-ils envers lui de sa faiblesse et de ses remords.
Le pape Eugène III, chassé par Arnaud de Brescia, vint bientôt auprès du roi de France comme son prédécesseur, fut reçu
comme lui avec pompe dans Paris et engagea Louis à partir pour la Croisade (114-7)-. On sait de quelle sagesse Suger, régent
du royaume, fit preuve durant son absence, et quelles suites déplorables eut la répudiation d’Eléonore de Guyenne. Le puissant
Henri II Plantagenet vint à Paris en 1138 pour y conclure une apparence de réconciliation, et fut reçu avec honneur par son
faible rival. La plupart des autres actes de ce roi, homme d’une intelligence vraiment médiocre et de. peu d’activité réelle,
n’intéressent que très-faiblement Paris.
Nous les laisserons donc de côté pour résumer l’histoire intérieure et domestique de la ville, pendant la seconde moitié du siècle.
La vie des évêques en est toujours la partie la plus intéressante, car l’histoire de l’Église est l’histoire du peuple, a dit M. Guizot.
A l’évêque Thibaud (mort en 1137), les chanoines voulurent faire succéder Philippe de France, frère du roi Louis VII, et
archidiacre de Paris, mais sa modestie lui fit décliner cet honneur, et il renonça à la dignité épiscopale en faveur de son ancien
précepteur, l’illustre Pierre Lombard ou plutôt le Lombard, de Novare. Le Maître des sentences. ne fit que passer sur le siège
de Paris (1139-1160), mais il s’y signala par un acte trop noble et trop touchant pour que nous puissions l’omettre. Sa mère,
pauvre paysanne italienne, était venue de Novare à Paris voir son fils, le savant docteur, l’évêque puissant, et ses compagnons
l’avaient revêtue d’habits magnifiques, malgré la résistance de la vieille femme qui répétait : « Je connais mon fils; ces beaux habits
ne lui plairont point. » En effet, l’évêque dit tristement en la voyant: « Ce n’est pas là ma mère, car je suis né d’une pauvre
femme.» Mais quand elle entrepris son costume habituel, Pierre se jeta dans ses bras, la fit asseoir auprès de lui, et la paysanne
pleurant de joie disait aux seigneurs qui l’avaient si mal conseillée : « Jq vous avais bien dit que je connaissais mon fils ! »
Enfin arrive Maurice de Sully, ce grand évêque d’abord mendiant comme Sixte-Quint, comme lui actif, entreprenant, créateur,
enfin, pour tout dire, le fondateur de Notre-Dame. Son pontificat de trente-six ans (1160-1196) fut tout dévoué à cette œuvre
immense, dont nous laissons les détails au savant écrivain, chargé de cette monographie. La première pierre du nouvel édifice fut
posée en 1163, par le pape Alexandre III, fuyant devant Frédéric Barberousse. Le 21 avril de la même année, à la prière de
Hugues de Monceaux, le même pape consacra l’abside récemment reconstruite de Saint-Germain-des-Prés. Vingt ans après,
en 1182, le maître-autel fut consacré par le légat du Saint-Siège. En 1183, le patriarche de Jérusalem Héraclius, venu à Paris
pour prêcher une troisième Croisade, officia dans le chœur de la nouvelle cathédrale; enfin, lorsque Maurice de Sully mourut, il
laissa cent livres (environ 3,000 fr.), pour faire au chœur une couverture en plomb. L’abside, dit M. de Guilhermy, devait alors
être terminée depuis plusieurs années et la nef elle-même être en bon état de construction.
De pareils soins ne remplirent pourtant pas exclusivement l’existence de l’évêque Maurice: il construisit deux ponts de pierre,
l’un sur la Marne, l’autre à Paris, sur la Seine (c’était le Petit-Pont, déjà plusieurs fois incendié ou entraîné par les inondations) ;
il lutta contre les moines de Saint-Germain-des-Prés, fit une foule de transactions, acquisitions, donations et reçut dans son palais
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le mal cessa. Innocent II qui vint à Paris l’année suivante (les papes de cette époque étaient souvent en France), consacra la
mémoire du miracle par une fête (1131), et l’église de Sainte-Geneviève-des-Ardents s’éleva près de Notre-Dame pour en
perpétuer le souvenir. De curieuses cérémonies racontées longuement par les historiens de Paris marquèrent le passage du
Souverain Pontife dans la capitale de la France, et la ville sortait à peine des réjouissances et des solennités quand elle fut attristée
par la mort du fils aîné de Louis-le-Gros, Philippe, tué par accident dans une de ses rues. Cet accident, étrange à nos yeux (un
porc était venu se jeter aux jambes du cheval qui portait le jeune prince), témoigne énergiquement du désordre et de l’abandon
rustique où vivait le Paris du moyen-âge : aussi un pareil fait paraît-il n’avoir alors surpris personne. La police ne devait naître
que bien des années plus tard. •
Louis VI ne survécut pas longtemps à son fils aîné Philippe: il mourut en 1137, laissant Paris agrandi, déjà influent et
célèbre, enrichi, outre Saint-Victor, d’un grand nombre d’églises : Saint-Jacques-la-Boucherie, Sainte-Geneviève-des-Ardents,
Saint-Nicolas-des-Champs, l’hôpital de Saint-Lazare, etc., et déjà entouré d’une enceinte dont il ne reste aucune trace, et qui avait
déjà disparu au temps de Philippe-Auguste. Sur la rive droite de la Seine, l’ancienne porte connue sous le nom d’Arche-Saint-Merry,
la porte Baudoyer, une vieille tour de la rue des Deux-Portes-Saint-Jean, peut-être d’anciennes fortifications remplacées par la rue
des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois; sur la rive gauche, une tour située dans la rue Saint-Victor, au bas delà rue de Versailles,
sont les seuls débris qui peuvent servir à déterminer approximativement cette antique enceinte.
Le long règne de Louis VII le Jeune (11 37-1179) voit continuer, avec des alternatives, d’obscurité et de ralentissement, la
progression croissante de Paris. « Le jeune roi, dit M. Michelet, avait été élevé bien dévotement dans le cloître de Notre-Dame;
c’était un enfant sans aucune méchanceté ; le vrai roi fut son précepteur, Suger, abbé de Saint-Denis. » Les premières années de
Louis-le-Jeune, qu’il passa à Paris, sont vides de faits. L’évêque Thibaud fut élu en 1143 ; après la fin du démêlé entre Louis VII
et Innocent II, démêlé qui avait amené l’interdit jeté sur le royaume et le pillage des biens de l’église de Paris par le roi, celui-ci
racheta par d’extrêmes déférences envers le clergé les actes qu’il s’était permis contre lui et surtout le crime de Vitry-le-Brûlé.
Aussi les chanoines de Notre-Dame, dont le relâchement était notoire, abusèrent-ils envers lui de sa faiblesse et de ses remords.
Le pape Eugène III, chassé par Arnaud de Brescia, vint bientôt auprès du roi de France comme son prédécesseur, fut reçu
comme lui avec pompe dans Paris et engagea Louis à partir pour la Croisade (114-7)-. On sait de quelle sagesse Suger, régent
du royaume, fit preuve durant son absence, et quelles suites déplorables eut la répudiation d’Eléonore de Guyenne. Le puissant
Henri II Plantagenet vint à Paris en 1138 pour y conclure une apparence de réconciliation, et fut reçu avec honneur par son
faible rival. La plupart des autres actes de ce roi, homme d’une intelligence vraiment médiocre et de. peu d’activité réelle,
n’intéressent que très-faiblement Paris.
Nous les laisserons donc de côté pour résumer l’histoire intérieure et domestique de la ville, pendant la seconde moitié du siècle.
La vie des évêques en est toujours la partie la plus intéressante, car l’histoire de l’Église est l’histoire du peuple, a dit M. Guizot.
A l’évêque Thibaud (mort en 1137), les chanoines voulurent faire succéder Philippe de France, frère du roi Louis VII, et
archidiacre de Paris, mais sa modestie lui fit décliner cet honneur, et il renonça à la dignité épiscopale en faveur de son ancien
précepteur, l’illustre Pierre Lombard ou plutôt le Lombard, de Novare. Le Maître des sentences. ne fit que passer sur le siège
de Paris (1139-1160), mais il s’y signala par un acte trop noble et trop touchant pour que nous puissions l’omettre. Sa mère,
pauvre paysanne italienne, était venue de Novare à Paris voir son fils, le savant docteur, l’évêque puissant, et ses compagnons
l’avaient revêtue d’habits magnifiques, malgré la résistance de la vieille femme qui répétait : « Je connais mon fils; ces beaux habits
ne lui plairont point. » En effet, l’évêque dit tristement en la voyant: « Ce n’est pas là ma mère, car je suis né d’une pauvre
femme.» Mais quand elle entrepris son costume habituel, Pierre se jeta dans ses bras, la fit asseoir auprès de lui, et la paysanne
pleurant de joie disait aux seigneurs qui l’avaient si mal conseillée : « Jq vous avais bien dit que je connaissais mon fils ! »
Enfin arrive Maurice de Sully, ce grand évêque d’abord mendiant comme Sixte-Quint, comme lui actif, entreprenant, créateur,
enfin, pour tout dire, le fondateur de Notre-Dame. Son pontificat de trente-six ans (1160-1196) fut tout dévoué à cette œuvre
immense, dont nous laissons les détails au savant écrivain, chargé de cette monographie. La première pierre du nouvel édifice fut
posée en 1163, par le pape Alexandre III, fuyant devant Frédéric Barberousse. Le 21 avril de la même année, à la prière de
Hugues de Monceaux, le même pape consacra l’abside récemment reconstruite de Saint-Germain-des-Prés. Vingt ans après,
en 1182, le maître-autel fut consacré par le légat du Saint-Siège. En 1183, le patriarche de Jérusalem Héraclius, venu à Paris
pour prêcher une troisième Croisade, officia dans le chœur de la nouvelle cathédrale; enfin, lorsque Maurice de Sully mourut, il
laissa cent livres (environ 3,000 fr.), pour faire au chœur une couverture en plomb. L’abside, dit M. de Guilhermy, devait alors
être terminée depuis plusieurs années et la nef elle-même être en bon état de construction.
De pareils soins ne remplirent pourtant pas exclusivement l’existence de l’évêque Maurice: il construisit deux ponts de pierre,
l’un sur la Marne, l’autre à Paris, sur la Seine (c’était le Petit-Pont, déjà plusieurs fois incendié ou entraîné par les inondations) ;
il lutta contre les moines de Saint-Germain-des-Prés, fit une foule de transactions, acquisitions, donations et reçut dans son palais