HISTOIRE.
PARIS ANCIEN.
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s’éleva le temple de la Félicité, avec figures et devises. Le carrousel dura trois jours, au milieu d’une affluence sans égale qui
se pressait autour des barrières, s’élevait sur des échafauds jusqu’au premier étage des maisons, encombrait les fenêtres et se
répandait jusque sur les entablements et les corniches. On portait cette population à quatre-vingt mille têtes. Quant aux figurants,
ils étaient au nombre de deux mille. On remarquait parmi eux les chevaliers du Soleil, les chevaliers du Lys, le Persée français
(Henri de Montmorency), le chevalier du Phénix (le duc de Longueville), les quatre Vents, les nymphes de Diane, dont le léger
costume recouvrait quatre futurs maréchaux de France. Ils étaient suivis de vingt charriots formant théâtres, avec machines et
personnages, d’un rocher roulant chargé de musique, d’un char triomphal, du haut duquel des divinités mythologiques débitaient
des vers; puis venaient des géants, des éléphants, un rhinocéros et un monstre marin, qui accroissaient encore la pompe du
cortège. On se disputa la bague, on courut'la quintaine. Le second jour, un feu d’artifice jaillit du temple de la Félicité, au bruit
des coups de deux cents canons; et le troisième jour, les chevaliers parcoururent la ville à la clarté de mille torches, ce qui donna
lieu à deux incendies. Le récit de ces fêtes forme un volume in-4°, en tête duquel se trouvent les portraits des jeunes époux,
Louis XIII et Anne d’Autriche, placés l’un vis-à-vis de l’autre, de manière que le livré ne puisse se fermer sans qu’ils se
touchent. Au-dessous se lit le quatrain suivant :
, Ne trouble- plus longtemps leur aise !
Ce roi, bien qu’il soit enflammé,
Est si discret qu’il ne la baise
Que lorsque le livre est fermé.
Deux ans après ce carrousel qui reproduisait les anciens tournois de la chevalerie sous une forme adoucie et romanesque,
Paris fut témoin d’une autre solennité qui rappelait également les vieilles coutumes de nos pères. Les Etats généraux du royaume
avaient été convoqués pour le mois d’octobre 1614. Le dimanche donc 26 de ce mois, après trois jours de jeûne, la cour et les
États se réunirent dans l’église des Augustins, sur le quai de ce nom, afin d’assister à la procession du Saint-Sacrement qui
devait se rendre solennellement à Notre-Dame, dans le but d’appeler sur les travaux de rassemblée les grâces divines. On comptait
cent quatre-vingt-douze députés du tiers, cent trente-deux membres de la noblesse et cent quarante représentants de l’Église,
parmi lesquels quarante-sept évêques, sept archevêques et cinq cardinaux. Le Saint-Sacrement était porté par l’archevêque de
Paris sous un dais de toile d’argent que soutenaient Monsieur, frère du roi, le prince de Coudé, le duc de Guise et le prince de
Joinville. Le roi marchait derrière sous un autre dais. Il était suivi par la reine et les princesses, toutes à pied et tête nue. Le
Parlement et les autres cours souveraines fermaient la marche.
Le lendemain, les États s’ouvrirent par une séance royale dans la salle du Petit-Bourbon, qui passait pour être la plus vaste de
France. C’était un débris de l’ancien hôtel du Connétable qui s’élevait en avant du Louvre, du côté de Saint-Germain-l’Auxerrois.
Elle a été démolie dans la suite pour faire place à la Colonnade. , •
Enfin, le jour de la Toussaint, les trois ordres « reçurent le Saint-Sacrement dans l’église des Augustins. » Puis les
délibérations commencèrent. Ces délibérations, qui durèrent près de quatre mois, ne produisirent, en définitive, aucun résultat
sérieux, par la raison que chaque ordre ne concevait les réformes que pour les autres, mais jamais pour lui. Les jalousies,
les oppositions, les paroles acerbes empêchèrent dès lors tout accord utile, malgré quelques bonnes intentions et beaucoup de
sages vues. • z
Et cependant les États de 1614 furent loin d’être stériles, car on peut dire que c’est de leur sein que sortit Richelieu. Orateur
du clergé, quoique le plus jeune de ses membres, on ne fut pas moins frappé de la fermeté de ses idées que de la facilité de sa
parole. Au moment où l’anarchie était partout : dans le pouvoir livré à. Concini, un aventurier italien; dans la haute aristocratie,
toujours, prête à se soulever et à se vendre; dans le Protestantisme, avec ses places de sûreté; dans la eour, avec ses intrigues,
un homme se présentait enfin avec une théorie précise et praticable du gouvernement: moins faire de nouvelles ordonnances
que tenir la main aux anciennes; veiller à leur exécytion non pour un jour, mais pour toujours; donner force à la justice, prix
au mérite, punition au mal, récompense à la «vertu; protéger les arts et les lettres; ménager les finances, vrais nerfs de l’Estât;
retrancher les dépenses, réduire les pensions aux tetmes où le grand Henri les avait établies ; recevoir enfin les décrets du
concile de Trente, et faire ainsi disparaître la marque de désunion qu’au grand étonnement des autres nations catholiques, la
monarchie très-chrétienne portait depuis tant d’années sur le fronts C’était la réforme de l’État par le respect de tous les droits
et l’énergique action du pouvoir.
Richelieu fut appelé au conseil dès l’année 1616; mais la mort de Concini et la disgrâce de Marie de Médicis qui en fut la
suite, lui en fermèrent promptement l’entrée. .
Le meurtre du maréchal d’Ancre est du 24 avril 1617. Concini tomba frappé de trois coups de feu sous le porche du Louvre.
Son corps fut ensuite secrètement enseveli à l’entrée de Saint-Germain-l’Auxerrois ; mais le lendemain matin quelques misérables
le déterrèrent. Qn le traîna alors par les rues; on le pendit aux potences que le tout-puissant ministre avait fait dresser sur le
Pont-Neuf, et on finit par le brûler avec le bois du gibet.
P. — P. A.
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PARIS ANCIEN.
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s’éleva le temple de la Félicité, avec figures et devises. Le carrousel dura trois jours, au milieu d’une affluence sans égale qui
se pressait autour des barrières, s’élevait sur des échafauds jusqu’au premier étage des maisons, encombrait les fenêtres et se
répandait jusque sur les entablements et les corniches. On portait cette population à quatre-vingt mille têtes. Quant aux figurants,
ils étaient au nombre de deux mille. On remarquait parmi eux les chevaliers du Soleil, les chevaliers du Lys, le Persée français
(Henri de Montmorency), le chevalier du Phénix (le duc de Longueville), les quatre Vents, les nymphes de Diane, dont le léger
costume recouvrait quatre futurs maréchaux de France. Ils étaient suivis de vingt charriots formant théâtres, avec machines et
personnages, d’un rocher roulant chargé de musique, d’un char triomphal, du haut duquel des divinités mythologiques débitaient
des vers; puis venaient des géants, des éléphants, un rhinocéros et un monstre marin, qui accroissaient encore la pompe du
cortège. On se disputa la bague, on courut'la quintaine. Le second jour, un feu d’artifice jaillit du temple de la Félicité, au bruit
des coups de deux cents canons; et le troisième jour, les chevaliers parcoururent la ville à la clarté de mille torches, ce qui donna
lieu à deux incendies. Le récit de ces fêtes forme un volume in-4°, en tête duquel se trouvent les portraits des jeunes époux,
Louis XIII et Anne d’Autriche, placés l’un vis-à-vis de l’autre, de manière que le livré ne puisse se fermer sans qu’ils se
touchent. Au-dessous se lit le quatrain suivant :
, Ne trouble- plus longtemps leur aise !
Ce roi, bien qu’il soit enflammé,
Est si discret qu’il ne la baise
Que lorsque le livre est fermé.
Deux ans après ce carrousel qui reproduisait les anciens tournois de la chevalerie sous une forme adoucie et romanesque,
Paris fut témoin d’une autre solennité qui rappelait également les vieilles coutumes de nos pères. Les Etats généraux du royaume
avaient été convoqués pour le mois d’octobre 1614. Le dimanche donc 26 de ce mois, après trois jours de jeûne, la cour et les
États se réunirent dans l’église des Augustins, sur le quai de ce nom, afin d’assister à la procession du Saint-Sacrement qui
devait se rendre solennellement à Notre-Dame, dans le but d’appeler sur les travaux de rassemblée les grâces divines. On comptait
cent quatre-vingt-douze députés du tiers, cent trente-deux membres de la noblesse et cent quarante représentants de l’Église,
parmi lesquels quarante-sept évêques, sept archevêques et cinq cardinaux. Le Saint-Sacrement était porté par l’archevêque de
Paris sous un dais de toile d’argent que soutenaient Monsieur, frère du roi, le prince de Coudé, le duc de Guise et le prince de
Joinville. Le roi marchait derrière sous un autre dais. Il était suivi par la reine et les princesses, toutes à pied et tête nue. Le
Parlement et les autres cours souveraines fermaient la marche.
Le lendemain, les États s’ouvrirent par une séance royale dans la salle du Petit-Bourbon, qui passait pour être la plus vaste de
France. C’était un débris de l’ancien hôtel du Connétable qui s’élevait en avant du Louvre, du côté de Saint-Germain-l’Auxerrois.
Elle a été démolie dans la suite pour faire place à la Colonnade. , •
Enfin, le jour de la Toussaint, les trois ordres « reçurent le Saint-Sacrement dans l’église des Augustins. » Puis les
délibérations commencèrent. Ces délibérations, qui durèrent près de quatre mois, ne produisirent, en définitive, aucun résultat
sérieux, par la raison que chaque ordre ne concevait les réformes que pour les autres, mais jamais pour lui. Les jalousies,
les oppositions, les paroles acerbes empêchèrent dès lors tout accord utile, malgré quelques bonnes intentions et beaucoup de
sages vues. • z
Et cependant les États de 1614 furent loin d’être stériles, car on peut dire que c’est de leur sein que sortit Richelieu. Orateur
du clergé, quoique le plus jeune de ses membres, on ne fut pas moins frappé de la fermeté de ses idées que de la facilité de sa
parole. Au moment où l’anarchie était partout : dans le pouvoir livré à. Concini, un aventurier italien; dans la haute aristocratie,
toujours, prête à se soulever et à se vendre; dans le Protestantisme, avec ses places de sûreté; dans la eour, avec ses intrigues,
un homme se présentait enfin avec une théorie précise et praticable du gouvernement: moins faire de nouvelles ordonnances
que tenir la main aux anciennes; veiller à leur exécytion non pour un jour, mais pour toujours; donner force à la justice, prix
au mérite, punition au mal, récompense à la «vertu; protéger les arts et les lettres; ménager les finances, vrais nerfs de l’Estât;
retrancher les dépenses, réduire les pensions aux tetmes où le grand Henri les avait établies ; recevoir enfin les décrets du
concile de Trente, et faire ainsi disparaître la marque de désunion qu’au grand étonnement des autres nations catholiques, la
monarchie très-chrétienne portait depuis tant d’années sur le fronts C’était la réforme de l’État par le respect de tous les droits
et l’énergique action du pouvoir.
Richelieu fut appelé au conseil dès l’année 1616; mais la mort de Concini et la disgrâce de Marie de Médicis qui en fut la
suite, lui en fermèrent promptement l’entrée. .
Le meurtre du maréchal d’Ancre est du 24 avril 1617. Concini tomba frappé de trois coups de feu sous le porche du Louvre.
Son corps fut ensuite secrètement enseveli à l’entrée de Saint-Germain-l’Auxerrois ; mais le lendemain matin quelques misérables
le déterrèrent. Qn le traîna alors par les rues; on le pendit aux potences que le tout-puissant ministre avait fait dresser sur le
Pont-Neuf, et on finit par le brûler avec le bois du gibet.
P. — P. A.
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